Cosmopolitan (France)

HISTOIRE VRAIE : J’AI POSTULÉ POUR DEVENIR ESPIONNE

Rentrer dans les services secrets, vivre une vie d’aventure aux quatre coins du monde… Hannah s’est dit : pourquoi pas ?

- PAR HÉLÈNE FAURE. ILLUSTRATI­ON DELPHINE CAULY.

Rentrer dans les services secrets, vivre une vie d’aventure aux quatre coins du monde… Hannah s’est dit : pourquoi pas ?

« J’ai 32 ans, mon travail en politique touche à sa fin, je me suis récemment séparée de mon mec… À ce momentlà de ma vie, je suis en recherche de repères. Et je commence à regarder la série Le Bureau des légendes.

Il y a quelque chose dans cet univers des services secrets qui me parle : ces vies ouvertes sur l’étranger, ce sentiment d’utilité publique, cette équipe qui fait corps autour de moments forts… Ça répond à mon besoin du moment, de trouver un moule dans lequel je pourrais me glisser sans trop me poser de questions. Surtout, je trouve ça cool. Je me dis : voilà, je vais devenir agente secrète.

Je parle de cette idée à un militaire rencontré dans mon précédent job. Je crois qu’il va me donner des astuces pour me faire « repérer », mais non : il me transfère une adresse mail générique pour adresser une candidatur­e spontanée. Je m’exécute – CV, lettre de motivation… Je cible un poste d’« analyste », qui consiste à rédiger des notes de synthèse sur des sujets géopolitiq­ues.

Quelques semaines plus tard, je reçois un appel en numéro masqué. Au téléphone, le conseiller RH ne fait aucune mention explicite de la DGSE : il me parle de ma candidatur­e auprès de « l’administra­tion ». Je suis convoquée pour un premier entretien. Tout de suite, j’ai le sentiment excitant d’être dans le secret.

Les premiers entretiens

Rendez-vous au siège, boulevard Mortier, à Paris. Arrivée à la station de métro, je scrute les gens qui descendent pour repérer les espions (sans succès). En approchant, j’observe les murs surmontés de barbelés, les plaques interdisan­t de prendre des photos… Clairement, on pénètre dans une enceinte militaire. À l’entrée, je suis contrôlée, scannée des pieds à la tête, priée de laisser mon portable au vestiaire. J’entre dans la cour intérieure, les bâtiments sont les mêmes que dans n’importe quel siège d’entreprise mais j’ai le sentiment de pénétrer dans un nouveau monde. J’essaie de prendre l’air de la fille pas impression­née, mais je regarde avec curiosité ces gens qui travaillen­t là tous les jours.

L’entretien est assez court : le conseiller RH me fait parler de moi, de mon expérience, de ma motivation. Je me demande s’il me teste selon des méthodes inconnues (a-t-il fouillé mon historique en ligne ? que déduitil de mon langage corporel ? suis-je suivie ?)… mais tout se passe comme un entretien RH classique.

Je suis reconvoqué­e quelques semaines plus tard pour rencontrer un comité de sélection : des agents issus des différente­s directions de la DGSE qui verront chacun si je présente un intérêt pour leur service. Faute de savoir à quoi m’attendre, je me prépare sur Wikipédia. Je lis quelque part que les agents recrutés suivent une formation de plusieurs années, avec des exercices du type : « apparaître à la fenêtre d’un immeuble inconnu en cinq minutes », « attirer sur soi l’attention d’un bar entier pour faire diversion »… Je me sens incapable de faire ça, mais c’est précisémen­t cette tentation de sortir de ma zone de confort qui m’intéresse. Juste avant l’entretien, je dois faire un test écrit – une note de synthèse à partir d’un dossier d’articles. La discussion se déroule sur cette base. Le comité composé de quatre hommes – je ne connais pas leurs noms, j’essaie de deviner qui appartient à quel service – m’interroge également sur mon parcours : je mets en avant ma fine connaissan­ce des États-Unis… Ils me rappellent que les États-Unis sont un pays allié : ils n’ont pas énormément de besoins de ce côté-là. Certes.

Je suis néanmoins rappelée quelques jours plus tard : j’ai passé cette étape. Je suis plutôt fière. Plus que deux entretiens.

Psychologi­e et sécurité

Le processus de recrutemen­t me fait réaliser à quel point la DGSE est une institutio­n exaltante mais également une administra­tion française dans tout ce qu’elle a de plus… administra­tif. On me demande de remplir la notice « 94A », d’envoyer par la poste des dossiers faisant état de mes

diplômes, mes fiches de paie (plus deux timbres au tarif en vigueur)… Je ne suis pas encore recrutée que le conseiller RH me parle déjà de statuts, de grades, de corps. On m’explique que je devrais, si j’intégrais « l’administra­tion », commencer tout en bas de l’échelle hiérarchiq­ue et salariale.

Un peu échaudée, je passe néanmoins les tests psychologi­ques : une série de questions psychotech­niques sur ordinateur, pour évaluer ma stabilité mentale (« Avez-vous déjà eu des pensées noires ? ») puis un entretien avec une psychologu­e. Celle-ci me questionne sur mon travail de collaborat­rice d’élu : elle craint le décalage, si j’étais recrutée, avec mon niveau de responsabi­lité actuelle… Elle a peur que je m’ennuie à la DGSE. Je trouve ça drôle, mais aussi légèrement inquiétant. Je vois, sur son bureau, une photo de la série Le Bureau des légendes.

Je passe cette étape, aussi. Plus que la dernière : l’habilitati­on sécurité. Pour moi, c’est une formalité. Je me projette déjà à la DGSE : je me demande à quel point la réalité du métier me plairait vraiment… À ce moment-là, je n’ai parlé de mon projet à personne : le conseiller RH ne m’a jamais donné de consigne de confidenti­alité, mais j’ai toujours dans un coin de la tête cette idée qu’on peut me tester à mon insu. Au fond de moi, j’aime bien ce sentiment privilégié de ne rien dire à personne ; mais je me demande ce que ce serait, si j’étais recrutée, de ne jamais pouvoir parler de mon métier. L’entretien sécurité consiste à remplir un questionna­ire listant extensivem­ent mes amis, ma famille, mes loisirs – tous les gens qui peuvent accéder à moi et m’influencer. On m’informe que l’étude de ce dossier prendra plusieurs semaines.

Au même moment, l’élu pour lequel je travaille perd l’élection, et moi mon poste… Sans nouvelles de la DGSE, je lance d’autres pistes profession­nelles. Je ne pense donc plus du tout à eux quand je reçois, au mois de mars – plus de six mois après ma candidatur­e initiale – une lettre standard, m’informant que ma candidatur­e n’a pas été retenue. Petite déception… d’ego, surtout. Qu’est-ce qui n’a pas marché dans cette dernière procédure de sécurité ? Est-ce mon parcours en politique ? Le fait que mon frère soit journalist­e ? Les sites de rencontre sur lesquels j’étais inscrite ? Je ne le saurai jamais… Un peu tout ça sans doute. Toujours est-il que cette démarche, initiée par le visionnage d’une série, m’a finalement permis d’identifier ce que j’avais vraiment envie de faire. Trois ans plus tard, je suis devenue scénariste. »

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