Cosmopolitan (France)

AU SECOURS, MON MEC EST SUSCEPTIBL­E !

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Une remarque innocente et c’est la fin du monde. À croire que de notre bouche à ses oreilles, il y a un traducteur invisible qui aiguise nos mots… Enquête sur les origines de sa susceptibi­lité et comment y faire face.

Une remarque innocente et c’est la fin du monde. À croire que de notre bouche à ses oreilles, il y a un traducteur invisible qui aiguise nos mots… Enquête sur les origines de sa susceptibi­lité et comment y faire face.

PAR MATHILDE EFFOSSE. PHOTO DIMA SIKORSKI.

Des réactions démesurées

« Parfois, j’ai l’impression que Mathieu cherche la mouise, confie Barbara, 31 ans. L’autre jour, on dîne entre amis et il part en débat avec une copine avocate sur les délais de prescripti­on. Elle lui explique de combien ils sont selon les crimes et Mathieu n’est pas d’accord. Au bout d’un moment, je lui chuchote : “Chéri, c’est quand même son métier.” Monsieur se braque et sort fumer une clope, vexé. » Une attitude puérile, selon Barbara : « Il me fait penser à ma nièce de 6 ans qui arrête de jouer avec quiconque fait une réflexion sur les fringues qu’elle met à sa Barbie. » Et quand son mec est revenu ? « Il est resté froid tout le reste de la soirée, comme s’il faisait la gueule… Et d’ailleurs, quand on s’est retrouvés tous les deux, j’ai compris qu’il n’avait pas fini de m’en vouloir ; il m’a à peine parlé jusqu’au lendemain. »

L’avis de la psy : D’où vient cette tendance à tout prendre mal ? Selon Marie-Laure Aubignat, psychologu­e-clinicienn­e à Paris, c’est un trait de personnali­té secondaire, « qui cache autre chose de profondéme­nt enraciné dans l’histoire de la personne ». Une réaction à un traumatism­e ancien : le susceptibl­e est souvent « un enfant dont l’éducation a été peu chaleureus­e, qui a été ignoré dans sa famille ou parmi ses camarades, humilié à un moment de son passé ». Des instants difficiles profondéme­nt ancrés. Marie-Laure Aubignat évoque le « syndrôme de Calimero », ce pauvre petit poussin noir qui ne cesse de se plaindre « parce qu’il a été rejeté et abandonné par sa mère à cause de la couleur de son plumage ». Un traumatism­e qui explique pourquoi tout est toujours trop injuste pour lui.

Des accusation­s exagérées

« Hier soir, on regarde un film sur l’ordi de Pierre, et au moment où le suspense est à son comble, une notif WhatsApp apparaît », se souvient Juliette, 28 ans. « L’écran repasse en petit, la notif reste affichée dans le coin et Pierre ne fait rien ! Complèteme­nt prise dans le film, je balaye l’air de la main pour lui faire comprendre : enlève-moi ça ! Il l’a hyper mal pris, m’accusant de lui parler comme

à un chien et a refusé de reprendre le film avant d’avoir reçu des excuses. » Une réaction qui exaspère Juliette : « Il demande en permanence des excuses pour tout et n’importe quoi, comme si je le martyrisai­s à longueur de journée. Il suffit que je lui coupe la parole sans faire exprès pour qu’il crie au scandale… C’est usant. »

L’avis de la psy : « Il faut comprendre que le susceptibl­e a tendance à attribuer aux autres des pensées qu’ils n’ont pas », explique Marie-Laure Aubignat. Une interpréta­tion erronée et négative du monde qui fait que, à cause de son manque de confiance en soi, il se sent persécuté. Cette attitude s’explique, encore une fois, par un traumatism­e passé « qui a laissé la trace profonde d’un sentiment de “détresse apprise”. Des années après, les réponses du susceptibl­e à l’environnem­ent sont imprégnées de ces premières traces mnésiques : il se sent dévalorisé, rabaissé ou moqué, encore aujourd’hui, comme privé de soutien. » Bon, au moins une bonne nouvelle pour nous : ce n’est pas notre faute.

Réagir ou ne pas réagir ?

Vivre tous les jours avec quelqu’un qui prend la mouche au premier mot, blessé ou pas, c’est relou. Elena, 34 ans, a pris une décision radicale : « J’en ai tellement ras-le-bol d’avoir sans cesse l’impression de marcher sur des oeufs que maintenant, je ne dis plus rien. Par exemple : normalemen­t, c’est moi qui fais le café le matin. Mais quand il se lève plus tôt, c’est Alex qui s’en charge… et son café est toujours dégueulass­e. Il ne sait pas doser ! Je lui ai fait remarquer quelques fois qu’il ferait mieux d’utiliser trois doses de café plutôt qu’une, mais il s’énerve : il fait de son mieux, je le critique tout le temps, lui trouve son café très bon, bla bla bla… Maintenant, je me sers une tasse de son eau au café l’air de rien et derrière son dos, je m’en refais un. » L’avis de la psy : s’enfermer dans le silence n’est pas la bonne solution. « Ça ne fait qu’accentuer le mal. Mais à l’inverse, trop en parler ne résout rien et finit par exténuer l’autre partenaire ! » Il peut bien sûr arriver que la coupe soit pleine, mais si on tient à notre relation, une seule issue : en parler. « Il s’agit pour nous de comprendre et décoder ses plaintes pour y porter remède : elles doivent être extérioris­ées pour être soulagées. Seule la parole peut l’en libérer », explique MarieLaure Aubignat. Elle appelle à la bienveilla­nce et à la compréhens­ion : « Sa confiance en soi est altérée, il a un sentiment de rejet, de mauvaise estime de soi dont il se défend agressivem­ent dans le présent. Il attend inconsciem­ment de son environnem­ent qu’on le rassure. »

L’art de bien critiquer

Pour communique­r avec quelqu’un qui prend tout pour des reproches et rester positive, on commence par prendre une proooofond­e inspiratio­n… pour garder

une attitude ouverte et bienveilla­nte. « On le met en valeur, on lui rappelle ses qualités, ses réussites qu’il a tendance à ne pas voir ou à oublier », conseille Marie-Laure Aubignat. On l’encourage pour développer sa confiance en lui. « Le bonheur vient de soi, rappelle-t-elle. On peut parler du “contenu manifeste” de son discours, ses broutilles dites avec l’humeur maussade, qui camoufle un “contenu latent” : ses réelles difficulté­s à exprimer ses souffrance­s, les injustices passées non consolées. » Sans endosser pour autant un rôle de psy, on se concentre sur ses blessures, coupables de sa susceptibi­lité, pour comprendre ce qui entrave son bonheur aujourd’hui.

Si rien n’y fait…

Parfois, on ne se sent pas à la hauteur ou on n’y arrive pas, tout simplement. Dans ce cas-là, on envisage une thérapie de couple : « Un tiers neutre, dans un cadre spécifique, peut aider à identifier l’objet de la plainte afin qu’il apprenne à se diriger enfin vers son désir, à mettre des mots sur son vécu pour l’évacuer. »

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