Cosmopolitan (France)

MOI ET… LES LÉGUMES DE SAISON

Le problème, c’est que je ne sais jamais trop quelle saison va avec quel légume.

- PAR SOPHIE HÉNAFF

AAlors les cerises je sais (juin), le raisin aussi (septembre) et les fraises à peu près (avril-mai), mais les carottes franchemen­t, quelqu’un sait ? Pourtant j’en mange, et souvent même. Donc, quand ai-je tort ? Au printemps râpées ou l’hiver en soupe ? Et les patates ? C’est quand la saison des frites ? L’été avec les saucisses ou l’automne en McDo ? Je ne sais pas pourquoi ils ont inventé ce truc des saisons, si c’est pour m’embrouille­r ou juste pour vendre : comme le beaujolais nouveau, la rentrée littéraire, les soldes ou la fashion week, on subit le Panais Day et le Mercato Poireaux. Tout devient marketing et y a plus moyen de trouver une bonne tomate au mois de mars.

La fin des haricots

Parce que le problème avec ces trucs de périodes, c’est qu’il faut changer de goût en fonction des mois. Alors que moi, je suis fidèle comme fille, je ne suis pas une girouette, on ne me balade pas de Beyoncé à Taylor Swift sur un seul clip. Donc si j’aime les tomates-mozza en juillet, je les aime encore en novembre, c’est pas parce qu’on m’enlève dix degrés et deux heures de soleil par jour que je vais renier ma salade préférée. Et pourtant, force est de constater qu’en novembre, ma tomate, en termes d’arôme, de couleur, de texture, elle ressemble à s’y méprendre à une balle de tennis oubliée dans une flaque. Et en plus elle a coûté une blinde.

Au prix du kilo de cerises en janvier, j’espère que le noyau est léger

Car dès qu’on n’est plus dans la saison, que ça a poussé sous serre, à grands coups d’insecticid­es pan dans ta tige, non seulement les légumes deviennent immangeabl­es, mais leur prix augmente. Les courbes suivent une trajectoir­e rigoureuse­ment parallèle : plus c’est mauvais, plus c’est cher. Et si quand même, en dépit du bon sens, je tiens à mes asperges en décembre et qu’il faut m’affréter un Airbus du Pérou, m’en fous la planète, j’aime trop la sauce mousseline, ça me colle ma salade au tarif du homard truffé. Alors que la tomate cerise, pile au mois de juillet, je peux m’en envoyer trente à l’apéro pour une misère. C’est pas ça qui va éponger le spritz mais ça décore joliment la table. Et puis il y a ces histoires de « nouveau » : les carottes nouvelles, les navets primeurs… Ça veut dire qu’avant, ils nous refilent les vieux, c’est bien ça ? J’ai bien compris ? Les carottes poussent au printemps (entre-temps j’ai checké Wikipédia), puis ils les entassent dans un coin en attendant de nous les relâcher bottes par bottes pendant l’hiver ?*

Revival, vintage et rutabagas

Et puis des fois qu’on serait parvenus à mémoriser les choux en hiver, les laitues en mai, voilà qu’ils nous ont rajouté les 4 356 espèces de citrouille­s – bon là, ça va, avec Halloween, on a quand même un bon truc mnémotechn­ique –, mais aussi tous les légumes anciens : topinambou­rs, panais, rutabagas, des paniers entiers de trucs informes envahissen­t les rayons et une fois qu’on s’est bien esquinté à les éplucher dans les creux et les bosses, et ben on ne sait pas comment les cuire. « Ancien » ça veut dire que leur saison, c’est 1945, et qu’à l’époque ils n’avaient pas le choix. Alors qu’en 2020, le topinambou­r, il dégage une délicieuse saveur d’artichaut, mais il me bousille mon couteau économe et j’en ai pour trois heures de bain-marie la petite entrée avalée en deux bouchées par des morfales qui le prennent pour des radis. À ce rythme, vivement la saison des nouilles, qu’on me fiche la paix.

* Absolument, on appelle ça des légumes de garde, comme le vin, le tarot et les types à cheval.

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