Courrier Cadres

Mutation : Difficile passage de la télé à la réalité

Productric­e d’émissions telles que Pékin Express ou Un dîner presque parfait, Cendrine Genty décide du jour au lendemain de tout plaquer pour s’occuper de sa fille. Et redonner du sens à sa vie profession­nelle.

- Par Matthieu Deprieck.

Depuis une bonne heure, Cendrine Genty raconte trois années de galère. La voix reste douce, le sourire ne faiblit pas et le pendentif en forme de coeur continue de se balancer à son cou. Pourtant, entamer à 36 ans une reconversi­on profession­nelle doit être éprouvant. “Ça l’est au début. Au milieu et à la

fin aussi ”, rit-elle. Remises en cause, questions existentie­lles, économies qui s’envolent… Cendrine n’a pas été épargnée. Mais pourquoi est-elle aussi heureuse? Il faut voir d’où vient la jeune femme. Productric­e d’émissions de télévision à succès, Cendrine réalise son rêve d’enfance. Les journées s’enchaînent à un rythme effréné. En novembre 2013, elle devient maman d’une petite fille. Collègues et proches l’assurent : trouve une bonne nounou et tu pourras concilier tes deux vies. “À partir de ce moment, je partais au boulot, je pleurais. Je revenais chez moi, je pleurais. Je ne voyais pas Léna”. À la troisième semaine de garde de son bébé, la situation se dégrade : “À 2 ou 3 mois de vie, un nourrisson commence à gazouiller, à sourire. Léna restait prostrée. Le week-end, lorsque mon mari et moi entrions dans la même pièce qu’elle, elle se

mettait à hurler. ” La jeune maman note tous ces signes sur un bout de papier. Un soir de mars, en 2014, elle tend cette liste au pédiatre. Le verdict tombe : “Votre fille ne sait quasiment plus qui vous êtes. Je vous conseille d’arrêter immédiatem­ent cette garde.” À la sortie du cabinet médical, Cendrine tranche : elle quitte son métier de productric­e télé.

AUX ABONNÉS ABSENTS

Pendant des mois, elle cherche un nouveau sens à donner à sa vie et découvre les difficulté­s qu’affrontent des milliers de femmes dans sa situation. Elle va en faire le pivot de sa reconversi­on profession­nelle. Cendrine crée la société

IL NE FAUT PAS OUBLIER QUE LA RECONVERSI­ON ENTRAÎNE AUSSI UNE GRANDE SOLITUDE

“L se réalisent” pour conseiller et guider celles qui aspirent à un changement de vie. Avec un objectif : rassembler toutes les informatio­ns pratiques et accompagne­r les femmes dans leur nouveau départ. Le 11 février 2016, elle organise une première journée de conférence­s. 800 femmes y assistent. C’est un succès. Mais, autour de Cendrine, la même question revient sans cesse : “Tu les vends tes événements ?” Les mots “business”, “clients”, “prestation­s” envahissen­t Cendrine. “Sans rentrée d’argent, vous n’êtes pas reconnue comme entreprene­ure, regrette la jeune femme. Créer sa boîte implique forcément de décrocher des contrats.” Cendrine y consacre tout son temps. Et ses économies. Les comptes sont liquidés les uns après les autres. Elle crée une société, puis une associatio­n et enfin, un fonds de dotation. Elle écoute plusieurs experts, se sépare d’associés sans que le moindre euro ne montre le bout de son nez. Et puis le déclic en mars dernier. Une maison d’éditions, emballée par ses journées “L se réalisent”, lui propose de raconter son histoire dans un livre. L’ancienne productric­e télé retrouve du plaisir dans l’écriture et voit d’un oeil nouveau son aventure : “J’avais trop écouté l’avis des experts. Au-delà des contrats, ce que je cherchais, c’était de savoir qui j’étais réellement. J’ai alors lâché prise sur la partie business pour retrouver le sens de mon nouveau projet profession­nel. Comme par hasard, c’est à ce moment-là que j’ai décroché mes premiers clients.” Depuis septembre, Cendrine s’est vu proposer l’animation de deux salons et deux séminaires d’entreprise­s.

UN LIVRE COMME BOUÉE DE SAUVETAGE

Aujourd’hui, plus de trois ans après cette visite chez son pédiatre, elle l’affirme : c’est enfin “le

commenceme­nt” de sa nouvelle vie. “Je sais maintenant que je peux compter sur moi. J’ai acquis ma propre valeur.” Et appris une grande leçon : “On a l’image carte postale de la reconversi­on profession­nelle, un cadre qui étouffe dans sa vie, qui fait de sa passion son nouveau métier et qui réussit en quelques mois. Les guides pour entreprene­urs véhiculent cette image positive. Partout, on lie la réussite d’un chef d’entreprise à l’argent qu’il lève. Mais il ne faut pas oublier que la reconversi­on entraîne aussi une grande solitude. Sans argent, on ne paie plus une baby-sitter, on sort moins, on s’éloigne de ses anciens collègues. Ça m’aurait déculpabil­isé d’entendre une personne me rappeler qu’il est très difficile de se verser un salaire les trois premières années d’activité.” La nouvelle Cendrine est désormais entreprene­ure, journalist­e, animatrice et conférenci­ère. Et sait ce qu’elle dira à sa fille si un jour, elle vient lui dire qu’elle veut changer de métier : “Sois flexible et

agile.” Léna pourra aussi lire le livre de sa maman, “Le jour où j’ai choisi ma nouvelle vie”.

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