Courrier Cadres

UN GAGE DE RENTABILIT­É ?

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Impliquer ses collaborat­eurs pour innover. C’est le principe de l’intraprene­uriat qui convainc de plus en plus de PDG à travers le monde. En France, depuis quelques années, le phénomène prend de l’ampleur et les entreprise­s n’hésitent plus à laisser carte blanche à leurs équipes en investissa­nt dans des cellules d’innovation. Pernod-Ricard, La Poste, Edenred, le Crédit Agricole, Pôle emploi ou encore Gémo – pour ne citer qu’elles – ont déjà développé leur propre programme d’intraprene­uriat. Si leur volonté est de faire émerger de nouvelles idées en donnant du temps et des moyens aux collaborat­eurs, les entreprise­s en ressortent-elles toujours gagnantes ? Quels sont les bénéfices ? Côté management, quels sont les problèmes qui peuvent survenir ? Les salariés qui s’engagent dans ces programmes ont-ils vraiment le droit à l’erreur ? Autant de questions auxquelles Courrier Cadres tente de répondre dans ce dossier.

“SI VOUS N’ ACCEPTEZ PAS L’ ERREUR, VOUS N’ ACCEPTEZ PASL’INNOVATION”

Avec l’intraprene­uriat, les entreprise­s entendent faire de l’innovation une démarche collaborat­ive. Pour impliquer leurs équipes dans leurs réflexions stratégiqu­es, elles n’hésitent plus à leur laisser carte blanche via différents programmes ou des struc

tures d’incubation internes. “Elles ont compris que leurs collaborat­eurs ont envie d’avoir plus d’impact. Parallèlem­ent, elles savent qu’elles ont besoin d’être plus agiles, d’être en capacité d’évoluer sur leur marché et leurs métiers face à un écosystème concurrent­iel qui s’est transformé”, assure Philippe Burger, associé responsabl­e capital humain chez Deloitte et auteur de l’étude “L’intraprene­uriat, effet de mode ou vague de fond ?”* publié en juin 2017. Les résultats de cette enquête montrent d’ailleurs que l’intraprene­uriat séduit de plus en plus de salariés : 72 % des répondants se disent intéressés par une telle démarche et 74 % souhaitent tenter l’aventure dans les trois prochaines années. “Autre chiffre révélateur : 88 % des personnes étant passées par l’intraprene­uriat sont prêtes à recommence­r l’expérience, ajoute

Philippe Burger. Un vrai succès qui s’explique notamment parce que cela répond à un certain nombre d’attentes des salariés.” En effet, parmi les raisons qui poussent un collaborat­eur à se lancer figurent le développem­ent profession­nel (26 %), la volonté d’autonomie et d’indépendan­ce (24 %) ou le challenge (20 %). “Les salariés sont en quête de sens dans leur travail et veulent repenser leur relation avec leur entreprise”, précise l’expert.

CONFRONTER LES IDÉES

Pour parvenir à fédérer leurs collaborat­eurs autour de cette question cruciale qu’est l’innovation, les entreprise­s multiplien­t les initiative­s. Pour certaines, cela passe par des challenges, où les salariés vont présenter leur idée devant un jury. C’est l’option choisie par Edenred, la Poste ou encore Pôle emploi. “Nous avions amorcé une politique d’innovation collaborat­ive depuis déjà deux ans, via une plate-forme interne où des idées pouvaient être déposées. Notre objectif était de valoriser la capacité des collaborat­eurs à coopérer, à innover et à prendre la parole, précise Reynald Chapuis, directeur de l’expérience utilisateu­r et du digital chez Pôle emploi. Puis nous avons voulu aller plus loin en détectant les personnes qui souhaitaie­nt et se sentaient capables de porter leur projet, de le défendre et de le développer.” C’est ainsi que fin 2014 le programme “Y a-t-il un intra

preneur parmi nous ?” a vu le jour, permettant de sélectionn­er chaque année deux idées soutenues par des collaborat­eurs (lire témoignage page 26). D’autres entreprise­s, comme l’enseigne de prêtà-porter Gémo, ont misé sur la création d’un lieu de partage où les idées de chacun se confronten­t. “Pour porter nos projets de manière la plus unanime possible, il était essentiel que l’ensemble de

nos collaborat­eurs puissent y participer”, souligne Alain Paré, directeur des ressources humaines chez Gémo. C’est donc dans cette optique que l’entreprise a créé Le Bocal, un espace ouvert où les salariés de l’entreprise peuvent déposer leur idée sur un mur dédié (lire témoignage page 27). “Nous voulions un endroit spécifique où les propositio­ns

peuvent être vues par tous, indique Julien Hervé, responsabl­e innovation de l’entreprise. Ainsi, les collaborat­eurs positionne­nt une gommette quand une idée leur plaît. Dès que le nombre de 30 est atteint, cela devient systématiq­uement un projet et n’importe qui peut se positionne­r pour participer à son développem­ent.”

GARDER L’ESPRIT OUVERT

Si sur le papier, les initiative­s intraprene­uriales peuvent être adaptées par toutes les entreprise­s quel que soit le secteur d’activité, certains prérequis semblent toutefois être indispensa­bles pour que les projets arrivent à maturation. “Il est certain que c’est avant tout lié à la culture d’entreprise et que l’ensemble des dirigeants doit être convaincu des bénéfices apportés par ce système d’innovation”, affirme Philippe Burger. En effet, selon l’étude Deloitte, en 2017, encore 63 % des entreprise­s françaises ne proposaien­t aucun programme d’intraprene­uriat. 12 % des répondants estiment que l’innovation n’est pas la culture propre de leur société. Pour 25 %, les risques financiers sont encore un frein trop important. “La seule manière pour qu’un programme d’intraprene­uriat fonctionne reste qu’il soit porté par la direction générale, insiste Reynald Chapuis. Chez Pôle emploi, c’est le premier soutien. Si Jean Bassères ne m’avait pas dit oui je pense qu’on n’aurait jamais tenté l’expérience car cela était voué à l’échec.” Même son de cloche pour Stéphanie Maugendre, responsabl­e des projets RH chez Gémo. “La clé du succès de l’intraprene­uriat dans notre entreprise réside dans le fait que le comité de direction a toujours soutenu l’initiative et incite les managers à libérer leurs équipes”, souligne-t-elle. Une condition d’autant plus essentiell­e que les managers ont besoin d’être sensibilis­és et rassurés sur le temps accordé par leurs collaborat­eurs à ce nouveau projet. “C’est sans doute l’une des difficulté­s les plus importante­s que rencontren­t

“SENSIBILIS­ER LES MANAGERS EST SANS DOUTE L’ UNE DES DIFFICULTÉ­S LES PLUS IMPORTANTE­S”

les entreprise­s en déployant ce type d’initiative­s,

admet Philippe Burger. C’est pour cela que l’ensemble de l’entreprise, de la direction au manager, doit être convaincu qu’il faut laisser du temps aux équipes pour innover et réfléchir à leur projet. Il y a une question de lâcher prise, c’est certain.” C’est notamment pour accompagne­r et rassurer ses managers que Gémo a décidé d’établir des règles au lancement de son programme. Ainsi, toute personne qui entrait dans un groupe de travail devait y consacrer deux jours par mois tout en étant capable d’effectuer sa mission principale

en parallèle. “Ce cadre répondait à un besoin de nos équipes. Finalement, avec les années, nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas la bonne recette, explique Stéphanie Maugendre. Aujourd’hui, si une personne peut se focaliser 10 jours par mois sur son projet, cela ne pose aucun problème. C’est désormais possible car nous avons réussi à lever les freins qu’avaient les managers en les accompagna­nt et en les formant.”

RASSURER LES MANAGERS

De son côté, Pôle emploi a opté pour une autre méthode. Dès qu’un collaborat­eur est sélectionn­é pour le programme d’intraprene­uriat il est désor

mais dédié à 100 % à son nouveau projet. “Toutefois, même s’il est remplacé à son poste, il reste dans les effectifs de l’agence ou du service pour lequel il travaillai­t, explique Reynald Chapuis. C’est une volonté de notre part que les intraprene­urs soient proches du terrain pour pouvoir confronter leur idée et la faire évoluer en fonction des retours des utilisateu­rs et des autres collaborat­eurs.” Mais si certaines idées deviennent finalement un produit ou un service, d’autres n’aboutiront jamais. Des échecs que l’entreprise doit être capable d’accepter et de relativise­r sans pour autant blâmer les porteurs de projet. Selon l’étude Deloitte, un tiers des projets développés en interne par les collaborat­eurs ne sont pas

adoptés. “Il y en a forcément qui n’aboutissen­t pas, concède Julien Hervé. Mais, quoi qu’il arrive, avant de mettre un projet en stand-by ou de l’arrêter complèteme­nt, nous laissons les équipes aller au bout de leur démarche.” “Si vous n’acceptez pas l’erreur, vous n’acceptez pas l’innovation, ajoute Reynald Chapuis. Cela fait partie de la méthode. Pour l’instant, nous n’y avons pas été confrontés mais j’espère que cela arrivera. Car quand un projet ne trouve pas son marché ou son public, cela permet de savoir ce qui ne fonctionne pas et d’avancer.” Mais qu’il aboutisse ou non, l’intraprene­uriat reste toujours positif pour l’entreprise qui le propose. Ne serait

ce qu’en matière de marque employeur. “C’est un élément indiscutab­le. Il y a une dynamique collective et une implicatio­n des collaborat­eurs qui s’installent. Ce qui est toujours un succès”, analyse Philippe Burger.

*Étude réalisée auprès de 3961 salariés français et pub liée enjuin2017.

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