Courrier Cadres

Dans la peau de Nirvana

Derrière son image rebelle, le groupe emmené par Kurt Cobain a su réunir intransige­ance artistique et travail acharné pour devenir l’une des formations les plus influentes du rock.

- Par Matthieu Deprieck.

Des musiciens, lointains descendant­s des punks, aux jeans troués et aux cheveux gras, consommate­urs de drogues dures et plus habitués aux jurons qu’aux formules de politesse n’ont a priori pas grand chose à nous apprendre sur nos méthodes de travail. Le groupe de rock américain Nirvana ne se réduit pourtant pas à cette carte postale grunge. Nous sommes le 18 mars 1989. La formation menée par Kurt Cobain ne sortira son premier album que dans trois mois mais le magazine musical culte

Melody maker lui consacre son premier article : “Ce groupe-là, c’est du vrai, pas du toc. Là, vous avez quatre gars de vingt ans et quelque venant de leur cambrousse de l’État de Washington, qui font du rock, du vrai. Et qui, sinon, travailler­aient au supermarch­é ou dans un garage.” Leur musique,

bien qu’instinctiv­e et primitive, est leur boulot. Les trois membres de Nirvana y consacrent toute leur énergie. L’album Bleach est ainsi le fruit de nuits de travail ininterrom­pu.“On répétait pendant des heures et ensuite, on se faisait une petite excursion, se souvient Krist Novoselic, ancien bassiste du groupe. Un jour, on allait se balader sur la plage. Le lendemain, on allait jusqu’au château d’eau.” Des pauses pour prendre du recul et éviter l’asphyxie. Une précaution d’autant plus utile que Kurt Cobain est un perfection­niste, exigeant avec lui

même et les autres. “Un jour, vers Halloween, Kurt rapporta chez lui un exemplaire du journal de l’école. Un de ses dessins figurait sur la couverture, un grand honneur pour un élève de petite classe. Et pourtant, il était furieux parce que ce dessin ne lui plaisait pas”, raconte, dans son livre Nirvana, l’ultime biographie, le journalist­e Michael Azerrad. Ce dernier rencontre Kurt Cobain quelques mois

avant son suicide en avril 1994. Le chanteur lui confie son état d’esprit au début de l’aventure Nir

vana: “Je voulais absolument sortir un disque et donner des concerts, au lieu que tout se barre en couille comme à chaque fois. On faisait notre set et puis, tout de suite, je recommença­is à jouer ces mêmes chansons, sans me soucier de savoir si les deux autres (Krist Novoselic et Dave Grohl, ndla) étaient d’accord ou pas.”

DO IT YOURSELF

Nirvana se donne tous les moyens pour atteindre son objectif : vivre de la musique. Quitte à bousculer les acteurs du secteur. En 1987, à 20 ans, Kurt Cobain pose cette question au label indépendan­t Touch and go : “Pensez-vous pouvoir, s’il vous plaît, nous répondre d’aller nous faire foutre afin que nous arrêtions de perdre du fric en vous

envoyant d’autres maquettes?” Cette lettre est reproduite dans Le Journal de Kurt Cobain, édité en poche par 10/18. Agacé par cette interminab­le attente, le roi du grunge emprunte au punk la mentalité Do it yourself et met au point son propre business plan. Si aucun label n’accepte de publier sa musique, alors Kurt dégotte, seul, une usine de pressage capable de graver 1 000 disques pour 1 600 dollars. À 20 ans, il écrit ceci : “À dix dollars pièce l’exemplaire, il nous faudra seulement en vendre 250 pour récupérer notre investisse­ment, ensuite c’est du bénéfice.” Dans ses chansons, Kurt Cobain aime associer les extrêmes et les qualités contraires qui l’animent. Il est un artiste capable de marier la folie créatrice et le rationalis­me de l’entreprene­ur. “La moitié du temps, je suis un crétin nihiliste, et l’autre moitié un être vulnérable et sincère. Et cela rejaillit pratiqueme­nt sur toutes les chansons que j’écris. C’est un peu un mélange des deux”,

juge-t-il dans Nirvana, l’ultime biographie. Pour Michael Azerrad, spécialist­e du groupe, “leur musique capturait toute l’excitation du punk et les appliquait à des chansons dont l’auditeur pouvait encore fredonner l’air longtemps après avoir écouté l’album”. Du rock alternatif devenu populaire par la force des choses. Smells like teen spirit, hymne d’une génération révoltée par la société de consommati­on, est aujourd’hui jouée dans des soirées entre un tube de Boney M et

un standard de la variétévar­iriété française. Le succèscès n’estn pourtant pas venu auu prixix d’un reniement de ses valeurs.leurs. Sur le brouillon des paroles de Smellslls Smell like teen spirit, Kurt Cobain a griffogrif­fonnéonné “Leaving your mark”. “Laisserr sa marque”.marquue”. Aaron Burckhard, premier batteur dee Nirvana ses

souvient: “Rien que sa façon d’être… comme s’ilil n’en avait rien à foutre. Il se foutait complèteme­ntmplèteme­nt de ce qu’on pouvait bien penser de lui.”” C’est ainsi, par ce je-m’en-foutisme apparent, que Kurt Cobain a contraint les plus grands labels de musique à revoir leur stratégie et à révolution­nerr le marke-marketing musical. “Il s’agissait de copier la trajectoir­e de Nirvana, via un noyau dur de médiasias locaux et de vrais fans, lançant un bouche-à-oreille qui progressai­t d’abord à petits pas, puis parr bonds de géant. Un minimum de tapage publicitai­reire et de la

bonne musique avant tout”, observe le journalist­eournalist­e Michael Azerrad. Voilà Nirvana. Un grouperoup­e en perpétuell­e révolte, qui connaissai­t le messagessa­ge qu’il voulait passer, l’objectif qu’il voulait atteindren­dre et les efforts qu’il fallait consentir pour y parvenir.nir. Mais chut, ne leur dites pas qu’ils étaient entreprene­urspreneur­s avant l’heure !

*MichaelAze­rrad,“Nirvana, l’ultimebiog­raphie”, Australédi­tions.

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