Agora : Le statut cadre va-t-il disparaître ?
Alors que l’Agirc, la caisse de retraite dédiée aux cadres du privé va fusionner avec l’Arrco au 1er janvier 2019, la question de la légitimité de ce statut se pose. Est-il lui aussi amené à disparaître ? D’autant plus qu’il semble ne plus correspondre au mode de travail d’aujourd’hui, davantage collaboratif. Éléments de réponse avec Gérard Mardiné, secrétaire national CFE-CGC économie-industrieRSE et Guy Groux, directeur de recherches associé au Cevipof*, Sciences Po. Entretien réalisé par Innocentia Agbe. Selonvous,faut-ilremettreenquestionlestatut cadre?Pourquoi?
Gérard Mardiné : Le statut cadre ne nous semble pas bien définir ce qu’il faut définir. Il faut voir ce qu’est la population des salariés de l’encadrement et quels sont les critères les plus objectifs possible. On tourne autour de la même chose depuis un certain temps : la compétence et la qualification, la responsabilité, l’autonomie. Auxquels il peut être souhaitable d’ajouter quelques critères compte tenu des nouvelles technologies et de la complexité qu’ont pris certaines fonctions.
Guy Groux : Tout à fait. Pour compléter, il faut rappeler qu’au départ, à la Libération, quand le statut cadre a été défini, il l’a été à partir de deux critères essentiels, plus un troisième. Il s’agissait de l’autonomie et de l’exercice de responsabilités ou de fonction d’autorité. Auxquels s’ajoutait un troisième plus institutionnel, le fait de cotiser à un système de retraite spécifique, l’Agirc. Mais avec la réforme des entreprises depuis le début des années 1990, les politiques de ressources humaines donnent de plus en plus d’autonomie aux collaborateurs, y compris aux salariés d’exécution. Ce critère devient beaucoup plus flou. De la même manière, la fonction d’autorité a beaucoup évolué dans la mesure où on laisse de plus en plus de place à des projets participatifs. Il y avait cette fonction un peu militaire du cadre qui s’est totalement diluée. Par conséquent, dans l’imaginaire social, le statut cadre tel qu’on a pu le définir à une certaine période n’existe plus aujourd’hui en l’état.
Vousêtesd’accordpourdirequelestatutcadre doitévoluer.Maisquelscritèresdevraientêtre prisencomptepourmieuxcolleraumondedu travaild’aujourd’hui?
G.M : Nous, nous parlons d’encadrement. Bien sûr le terme n’est pas exhaustif. Dans la mesure où certains salariés ont des compétences techniques élevées mais n’encadrent pas. Le problème est que nous n’en avons pas trouvé de mieux finalement. Donc, on emploie ce terme par défaut. Il y a aujourd’hui des salariés qui participent au processus décisionnel dans l’entreprise. Cela même en prenant des décisions techniques, qui sont très engageantes et qui induisent donc un niveau de responsabilité très fort. Pour nous, les critères doivent être enrichis des notions suivantes : quelle est la complexité des tâches à adresser ? Quelles sont les fonctions de mise en relation que l’on a à exercer ?
Enfait,ilfaudraitquelestatutcadresoitplus étendu,notammentauxfonctionstechniques?
G.M : Nous ne disons pas qu’il faut qu’il y ait plus de cadres pour qu’il y ait plus de cadres. Mais l’augmentation du nombre de salariés de l’encadrement est cohérente avec l’accroissement du niveau de formation. Il y a plus de personnes aujourd’hui qui ont un bac + 5 ou bac + 3 qu’il y a 15 ou 20 ans.
Concrètement,commentseraitdéfiniecettenouvellepopulation?
G.G : En Grande-Bretagne, ils ont trois termes pour définir les personnes qualifiées ou diplômées. Il y a les “supervisors”, ce qui correspond aux agents de maîtrise. Puis on retrouve les “professionals”. Ce sont par exemple des médecins, des architectes ou encore des ingénieurs qui n’ont pas de fonction d’autorité sur les autres. Et ils ont ce qu’ils appellent les “executives”. Ce sont les “vrais cadres” si je puis dire. Ainsi, est-ce qu’il ne faudrait pas rechercher, compte tenu de la part des diplômés dans la population active française, une nouvelle qualification qui ne soit plus celle de l’encadrant, ni même du cadre ? Pour l’instant, je ne vais pas plus loin en l’état du débat. Mais quand même la qualification est importante.
G.M : Nous pensons que c’est la contribution, encore une fois, à la performance et à l’efficacité de l’entreprise qui doit guider. Par exemple, si on regarde les métiers du numérique ou du logiciel, quelqu’un qui va avoir la responsabilité de coder du logiciel ou de le valider, il peut n’encadrer personne mais il a une fonction clé dans l’entreprise. Et à la limite aussi importante que le chef de projet. Et puis, il y a des personnes qui dans leur évolution de carrière passeront, et cela peut être des allers-retours, d’une fonction purement technique à un peu d’encadrement. On ne va pas leur dire “tu étais cadre mais tu ne l’es plus”. La marche arrière est très mal vécue. Les salariés de l’encadrement au sens large sont très attachés à leur statut. Ils le vivent quand même comme le fait de franchir des étapes de l’ascension sociale. Et encore une fois ce sera bien pour les salariés concernés et pour l’entreprise qui en bénéficiera.
*LeCevipof estleCentrederecherchespolitiquesdeSciences Po.GuyGrouxestaussidirecteurdel’ExecutiveMaster“Dialogue socialetstratégied’entreprise”,SciencesPo,etmembreduComité scientifiqueinternationaldelaChaire“Dialoguesocialetcompétitivité desentreprises”,ESCP-Europe.