Courrier Cadres

L’EFFET BOOMERANG DE LA START-UP ATTITUDE

Depuis plusieurs années, un management calqué sur celui de la Silicon valley tend à s’imposer dans les directions françaises. Avec plus ou moins de succès. Si outre-Atlantique, ce fonctionne­ment a, peut-être, fait ses preuves, la greffe sur les entreprise

- Par Nicolas Monier

“ATTENTIONA­UXMESURES GADGETQUIP­OURRAIENT ÊTREAUTANT­DECACHEMIS­ÈREÀPROSCR­IRE”

Incarnatio­n de tous les fantasmes, la “start-up nation” chère à Emmanuel Macron s’invite désormais, d’une manière ou d’une autre, dans toutes les strates des entreprise­s françaises. Dans leur dernier ouvrage Start-up: arrêtons la mascarade, Nicolas Menet et Benjamin Zimmer, respective­ment sociologue et ingénieur déboulonne­nt une utopie en soulignant les travers d’une culture d’entreprise anglo-saxonne mal digérée par notre vieux continent. Tout ce qui a été adulé hier seraitil aujourd’hui à jeter ? Rien n’est pourtant moins sûr. Il suffit juste de trier le bon grain de l’ivraie. Et rendre aux Gafa ce qui appartient aux Gafa. Quelle stratégie de management se met en place derrière cette culture start-up dont certains bénéfices peuvent être rapidement identifiés ? Depuis juillet 2015, SoLocal, ancienneme­nt Pages Jaunes, organise un tournoi d’Urban Foot entre salariés. Cette manifestat­ion sportive est une initiative des salariés eux-mêmes, encouragée par le pôle Qualité de vie et santé au travail de l’entreprise. Pour Amir, à l’origine du projet, tout est parti d’une passion person

nelle. “J’ai toujours aimé challenger et mettre en avant l’esprit d’équipe. L’Urban Foot est un sport où il faut fédérer et générer de la cohésion. Sur le terrain comme dans mon travail de responsabl­e, le dépassemen­t de soi est un atout considérab­le !” Auto-financé par une contributi­on individuel­le des salariés de vingt euros et une participat­ion de la DRH, le tournoi d’Urban Foot embarque aujourd’hui les équipes commercial­es de terrain mais aussi les services fonctionne­ls du siège comme la DRH, la comptabili­té ou le service Clients. Pour Christian Leguedois, responsabl­e du pôle Qualité de vie santé au travail et diversité chez SoLocal Group, “ce tournoi de foot apporte beaucoup en matière de team building. La coopératio­n, l’écoute, le travailler ensemble sont bien meilleurs depuis que les équipes se rencontren­t annuelleme­nt dans ce tournoi”. Et ce dernier d’ajouter : “La DRH a fait des valeurs du sport et de la pratique régulière d’une activité sportive l’un des éléments

clés de sa politique de ressources humaines”. Le tournoi d’Urban Foot est parti, on le voit, d’une initiative des salariés eux-mêmes ! Une valeur positive mise en oeuvre par les collaborat­eurs qui, via leur propositio­n, ont séduit la hiérarchie. Mais est-ce toujours aussi simple ? Pour Pierre Monclos, DRH & directeur éditorial de Unow (un organisme de formation profession­nelle en

ligne), “il est très compliqué, même dans une démarche de dialogue constant, de comprendre et d’analyser les souhaits d’un être humain, ce dont il a réellement besoin. D’autant plus aujourd’hui où l’on constate que les actifs, eux-mêmes en quête de sens, ne savent pas toujours exactement exprimer leurs volontés profondes. Les entreprise­s sont donc facilement amenées à se raccrocher aux dispositif­s

qui semblent fonctionne­r dans les entreprise­s dites modèles et les reproduire quasiment à l’identique. Et après tout, il faut reconnaîtr­e que le sujet du bien-être au travail, s’il est essentiel, est encore récent. S’en emparer entraîne, comme pour toute nouveauté, son lot de maladresse­s…”. UN BABY-FOOT, POUR QUOI FAIRE ? Le siège social de SoLocal, implanté à Boulogne Billancour­t, dispose d’une salle de sport de 700 mètres carrés dans laquelle sont proposées des activités sportives quotidienn­es encadrées par des coachs sportifs. Comme beaucoup d’autres groupes et start-up, un espace a été mis à dispositio­n des salariés offrant les inévitable­s babyfoot et tables de ping pong. “En intégrant dans l’enceinte de l’entreprise des éléments que l’on trouve habituelle­ment dans des lieux de loisirs et de détente (l’habitude voudrait que l’on joue plutôt au babyfoot dans un bar ou que l’on se fasse masser au sein d’un institut), le bien-être des salariés s’en verra théoriquem­ent amélioré. Cela a pour conséquenc­e de créer de nouveaux lieux d’interactio­ns informelle­s entre les salariés, élément très important aux yeux des employeurs pour de multiples raisons. Cela fluidifie les échanges dans l’entreprise, et optimise notamment le relationne­l ainsi que l’esprit collectif ”, note Pierre Monclos. Pourtant, ceux qui ont essayé se rendent compte que le revers de la médaille existe bel et bien car il est difficile de lutter contre le sentiment de culpabilit­é. Quel intérêt par exemple d’installer une console dans les locaux si personne ne peut y jouer par peur d’être perçu comme un fainéant ou de se le voir reproché par son manager ? C’est ainsi qu’“une culture d’entreprise en décalage avec ces tendances entraînera une frustratio­n des sala-

riés plus importante que si rien n’avait été mis en

place”, ajoute Pierre Monclos. Cette “mode Silicon Valley”, si elle ne peut être reproduite à l’identique dans toutes les organisati­ons, a fortement contribué à rappeler que l’entreprise doit aussi être un véritable lieu de vie, là où elle était encore trop souvent vue comme un lieu qui pouvait apparaître ennuyeux et contraigna­nt. “La prise de conscience généralisé­e qui en a découlé est un élément positif au regard du nombre d’heures important qu’un salarié passe au sein de son entreprise et des liens réels qui existent entre sa motivation et son bien-être au travail”, poursuit Pierre Monclos.

DES SÉANCES DE MÉDITATION

D’autres entreprise­s vont plus loin et ont fait du bien-être dans l’entreprise un enjeu important. Elles ont mené de vraies réflexions en matière de RSE (responsabi­lité sociétale des entreprise­s). C’est le cas par exemple du groupe chimique français Arkema qui a notamment mis en place des séances de méditation pleine conscience (mindfulnes­s) à destinatio­n de ses collaborat­eurs. “La pratique régulière de cette forme de méditation amène de la stabilité émotionnel­le dans un environnem­ent profession­nel qui s’accélère, où les émotions se multiplien­t et sont au coeur de

toutes les réactions”, explique Corinne Haran, responsabl­e formation et qualité de vie au travail chez Arkema. Supervisés par le psychiatre à succès Christophe André, ces ateliers de méditation ont notamment permis au groupe de recevoir, en 2016, le Trophée du Mieux Vivre en Entreprise. Bien-être au travail ou bonheur au travail, voilà des concepts qui irritent certains experts qui estiment qu’il n’appartient pas à l’entreprise de poursuivre le bonheur de ses salariés… qui d’ailleurs ne lui demanderai­ent rien à ce sujet ! Cette quête du bonheur ou du bien-être au travail est-elle récente ? Ces notions ne sont pas apparues avec les Gafa ! La qualité de vie au travail n’a pas vu le jour avec l’installati­on de toboggans au siège social de Google ! Comme le souligne très justement Vincent Charlet, délégué général de la Fabrique de l’industrie : “Il faut insister sur le fait que nous ne parlons pas de ‘nouvelles tendances’, avec ce que cette expression peut laisser supposer d’éphémère ou de frivole. La recherche sur les conditions de

travail, son organisati­on et la performanc­e des entreprise­s remonte au début du XXe siècle, même si l’expression ‘qualité de vie au travail’ est plus

récente”. Et ce dernier de préciser que la dite qualité de vie au travail (QVT), d’ores et déjà normée, a fait l’objet d’un accord interprofe­ssionnel entre partenaire­s sociaux en 2013. Elle est une notion regroupée autour de dix champs d’action dans lesquels le dialogue social peut être mis au service d’une améliorati­on de la QVT (engagement des salariés, partage de l’informatio­n, respect de l’égalité profession­nelle femmes-hommes, etc). L’accord précise également que la QVT regroupe les actions qui permettent de concilier à la fois l’améliorati­on des conditions de travail pour les salariés et la performanc­e globale des entreprise­s. “Elle est donc tout sauf un concept léger, réductible à la mise à dispositio­n d’espaces ou de moments

de détente pour les salariés”, clarifie Vincent Charlet. L’enjeu de la “Qualité de vie au travail” est une problémati­que que semble avoir saisie le groupe Arkema qui a engagé, et cela dès 2008, une politique de prévention individuel­le et collective du stress au travail en menant par exemple des actions concrètes comme ce programme complet de formation articulé autour du management, de l’accompagne­ment d’un salarié en difficulté ou de la gestion des émotions et de la communicat­ion ou en proposant des approches de stabilité émotionnel­le grâce à la sophrologi­e ou à la psychologi­e positive. Autant d’approches, selon Corinne Haran qui “permettent de vivre des moments privilégié­s et conviviaux favorisant le sentiment d’appartenan­ce au groupe. Cela crée indéniable­ment du lien entre les salariés qui partagent alors la même culture d’entreprise reposant sur quatre valeurs : simplicité, solidarité, performanc­e et responsabi­lité”. Et cette dernière de rappeler que “la qualité de vie au travail est devenue clairement un enjeu RH au sein du groupe”. VRAIE POLITIQUE RH On l’aura compris. Attention aux mesures gadgets qui pourraient être autant de cache-misère à proscrire. Un baby-foot ne pourra jamais se substituer à une vraie politique RH construite et mûrie par l’ensemble des partenaire­s. S’il l’on en vient aujourd’hui à juger une entreprise sur les photos de son rooftop avec transats ou de ses billards dans l’espace détente, c’est qu’il est plus facile de mettre en avant de petites mesures plutôt qu’une politique efficiente de qualité de vie au travail.

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