Courrier Cadres

ARMEL LE CLÉAC’H NERIEN LÂCHER !

- Propos recueillis par Aline Gérard. Photos Léo-Paul Ridet.

Surnommé le Chacal, pour sa pugnacité, Armel Le Cléac’h, skipper de Banque Populaire, devrait - à moins d’un nouveau rebondisse­ment ! - prendre le départ de la Route du Rhum le 4 novembre prochain. Et ce malgré le chavirage de son bateau en Méditerran­ée il y a quelques mois, qui a chamboulé la préparatio­n. Gérer l’imprévu, savoir rester lucide et prendre des décisions seul ou en équipe, même dans l’adversité, font partie de son quotidien. Rencontre.

Dans votre ouvrage, Le Prix de la Victoire, vous ouvrez sur le chavirage du Foncia, lors de la Transat Jacques Vabre en 2005. Vous décrivez votre angoisse pour votre coéquipier Damian Foxall. Que se passe-t-il dans votre tête ?

Chavirer dans le Golfe de Gascogne, par force 10, avec des creux de 5-6 mètres, en pleine nuit, c’est un moment où il y a d’abord un instinct de survie. Après, il s’agit de récupérer son équipier. Je ne le voyais pas réapparaît­re, ce sont des secondes interminab­les. D’une compétitio­n, où l’on est en train de pratiquer un sport, on bascule dans une situation où l’on va peut-être mourir. Cela remet un peu les choses en place, les priorités de vie. Cela a été un moment difficile mais un tournant dans ma carrière. Derrière, il a fallu prendre des décisions importante­s.

Vous refusez alors d’aligner le trimaran au départ de la Route du Rhum, alors que votre sponsor pose cette condition pour vous suivre sur le Vendée Globe de 2004. Dire non, c’est pourtant prendre un risque...

Je ne voulais pas mentir, aller à l’encontre de mes valeurs. Quand on est marin, il faut accepter les risques mais définir ceux que l’on veut bien prendre. Quand on se rend compte que l’on a fait tout ce qu’il fallait et que malgré cela, les conditions ne sont pas réunies pour gérer la sécurité, il faut faire un choix. Je savais que je n’allais pas être engagé à 200 %. Et même s’il y a eu des critiques, il y a eu aussi beaucoup de soutien de la part de ceux qui m’accompagne­nt. Quelques années après, ils ont compris que c’était le choix qu’il fallait faire.

Lors du Vendée Globe de 2008, vous détournez votre route avec Vincent Riou pour porter secours à Jean Le Cam. Comment garde-t-on son sang-froid pour faire les bons choix, quand la vie d’un autre est entre vos mains ?

Nous avions une formation sur la sécurité en mer qui est obligatoir­e quand on prend le départ de ces grandes courses. La préparatio­n en amont est primordial­e. Sur l’eau, nous avions cette chance, dans notre situation compliquée, d’être deux. Nous nous sommes appelés avant d’arriver sur zone. Nous avons essayé de nous organiser entre nous, pour pallier tous les scénarios. Nous ne savions pas comment nous allions récupérer le bateau, si nous allions retrouver le marin vivant ou non… Ensuite, nous nous sommes adaptés à l’environnem­ent dans lequel nous étions : la nuit allait tomber, la mer était plus formée que ce que l’on pensait. Il a fallu à un moment savoir prendre des décisions. C’est important de savoir trancher et s’engager dans une action, même si ce n’est pas forcément la plus optimale. Mais il faut y aller, parce que le temps tourne. Que la décision soit bonne ou moins bonne, on avance.

Votre duel avec François Gabart lors du Vendée Globe 2012 restera dans les annales. À l’arrivée, vous terminez deuxième, mais le précédent record détenu par Michel Desjoyeaux est battu de plus de 6 jours. Avoir un challenger est donc capital ?

La confrontat­ion avec ses pairs, avec ceux qui bataillent pour la même place, cela nous fait dépasser nos limites. Nous étions quasiment à vue sur le parcours alors que nous étions partis depuis déjà un ou deux mois, nous nous sommes relayés en tête de course quasiment jusqu’au Cap Horn. C’était celui qui allait craquer en dernier qui remportera­it la victoire. Nous nous disions chacun sur notre bateau, que l’autre devait souffrir aussi. Il n’y avait pas de pause car en face quelqu’un nous remettait sans cesse de la pression. Même s’il y avait pour moi la déception de ne pas gagner (je finis à 3 heures derrière François après 78 jours de course), le résultat c’est que la compétitio­n en elle-même a été magnifique.

Vous prenez le départ du Vendée Globe 2016, avec l’image du Poulidor de la Voile. L’avez-vous vécu comme une malédictio­n ?

Je n’ai jamais pris ça comme une malédictio­n. Pour moi, l’histoire n’est pas celle-là. Je finis deuxième en 2008 un peu par chance ou par réussite, parce qu’il y a beaucoup d’abandons devant moi. Je n’y allais pas pour jouer le podium au départ mais pour apprendre et finir le Vendée Globe. Quatre ans après, je prends cette deuxième place à couteaux tirés avec François Gabart. C’est pour cela qu’en 2016, je sais que je suis capable de tenir ce rythme, de jouer aux avant-postes. Avec mon équipe, nous avons tiré des enseigneme­nts. Nous nous sommes rendu compte qu’on avait tous à progresser. Pendant quatre ans, nous avons travaillé sur plein de petits détails, nous avons construit un nouveau bateau. Quand j’arrive au départ en 2016, je viens pour gagner. Bien sûr, il peut se passer beaucoup de choses durant la course, mais je pars avec le sentiment d’être confiant dans

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