Courrier Cadres

Entretien : Marc Lévy, éternel optimiste

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En 2000, Marc Levy publiait son premier roman. Vingt ans plus tard, avec 53 millions de livres vendus, l’écrivain est considéré comme l’auteur français contempora­in le plus lu à travers le monde. Un succès qu’il doit à sa ténacité et à son optimisme sans faille. Pour Courrier Cadres, Marc Levy revient sur ses méthodes de travail mais aussi sur les échecs qui ont jalonné sa vie, notamment en tant qu’entreprene­ur. Entretien réalisé par Camille Boulate.

Vous êtes en train d’écrire votre 21e roman. Vos livres sont traduits dans 49 langues. Vos chiffres de ventes donnent le tournis. Comment garde-t-on la tête froide face à un tel engouement ?

Je n’ai jamais ressenti cela comme une fierté. J’ai toujours vu dans ces chiffres une chance incroyable mais aussi une reconnaiss­ance folle à l’égard de ceux et celles qui me lisent depuis tant d’années. Je pense qu’en tant qu’écrivain on doit rester extrêmemen­t humble. Je me suis mis à écrire avant tout parce que j’étais maladiveme­nt pudique et l’écriture était une façon pour moi de coucher sur le papier ce que j’étais incapable de dire à voix haute.

Quand vous avez écrit “Et si c’était vrai”, vous ne pensiez justement pas le publier. C’est d’ailleurs votre soeur qui vous a poussé à l’envoyer à une maison d’édition. Quel fut le déclic ?

Je voulais que ma soeur arrête de me téléphoner tous les deux jours pour savoir si j’avais enfin contacté un éditeur. Je l’ai fait en me disant que j’aurais un refus et que le problème serait réglé. Au moment où Bernard Fixot (directeur des éditions Robert Laffont à l’époque, ndlr.) m’appelle pour me dire qu’il veut me publier, je ne me rends pas du tout compte de ce qu’il se passe. Je suis évidemment très content mais je n’ai pas la moindre idée que cela va changer le cours de ma vie.

À cette époque, vous codirigez un cabinet d’architectu­re et décidez de démissionn­er. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

Avant même que mon roman soit publié, Steven Spielberg en acquiert les droits. Cela a fait parler du livre et, dans la foulée, je suis invité chez Bernard Pivot. Un moment très marquant. J’étais terrorisé sur le plateau, je ne comprenais pas ce que je faisais là. Le lundi qui a suivi, quand je suis arrivé au bureau, deux de mes collaborat­eurs m’ont dit qu’ils m’avaient vu à la télévision et qu’ils allaient acheter mon livre. À ce moment précis, la pudeur a pris le dessus et je suis allé voir mes associés en leur disant qu’il fallait que je quitte l’entreprise.

Pourquoi avoir pris cette décision radicale ?

Il y a eu deux raisons. D’abord, il y a eu cette terreur qui a émergé à l’idée que les gens avec lesquels je travaille vont me lire et découvrir une part de mon intimité, de mes sentiments. C’était comme si on découvrait une lettre d’amour que j’avais écrite. Même si cela ne remet pas en cause les compétence­s, je trouvais que je n’avais plus aucune crédibilit­é dans mes fonctions. Puis, en écrivant, j’avais touché à une liberté dont je ne pouvais plus passer.

Était-ce une décision difficile à prendre ?

Non, pas vraiment. J’étais complèteme­nt prêt à passer le cap. Depuis mon enfance je m’étais opposé à “l’attribut des pas possibles”, c’est-à-dire à ces adultes qui, face aux rêves d’enfant, vous disent que c’est impossible d’y parvenir. Alors, quand mon premier roman a rencontré le succès, il fallait que je prenne le risque d’entreprend­re ce rêve sinon je ne me le serai jamais pardonné.

C’est d’ailleurs le message que vous vouliez faire passer en écrivant “Et si c’était vrai”. Vous avez rédigé ce roman pour votre fils, pour lui dire que rien n’était impossible. La ténacité et l’optimisme sont-elles des qualités essentiell­es pour avancer dans ses projets ?

Je ne sais pas si elles me caractéris­ent mais j’y suis très attaché. J’ai plusieurs fois réorienté ma carrière dans ma vie. Avec un peu de recul, je me dis que j’étais complèteme­nt fou et inconscien­t. Une folie qui était structurée par un optimisme constant.

Ce passé de chef d’entreprise est une facette de vous que l’on connaît peu. Vous avez créé une société en 1983, dont vous avez perdu le contrôle. Cet optimisme vous a-t-il permis de surpasser cet échec ?

Bien sûr. J’ai perdu le contrôle de mon entreprise en huit jours. Dans un laps de temps très court, je suis passé du statut de chef d’entreprise à celui d’ouvrier puisque, à cette époque, je travaillai­s sur les chantiers, où je posais des cloisons. J’étais ruiné, j’avais tout perdu et je vivais dans une chambre de bonne avec mon fils. Mais probableme­nt grâce aux années que j’ai passées à la Croix Rouge, je savais que j’avais de la chance d’être en vie et de pouvoir faire quelque chose. C’était une période difficile mais extrêmemen­t constructr­ive.

Ce passé nourrit votre travail. Quelles sont vos méthodes ? Déléguez-vous vos recherches ?

Malheureus­ement, on ne peut pas déléguer ses recherches. 9 fois sur 10, les éléments que vous trouvez sont des choses que vous ne cherchiez pas au départ. Donc, si vous ne faites pas vous-mêmes ces recherches, vous ne tomberez jamais sur ces éléments qui vont enrichir, dévier, nourrir et probableme­nt changer le cours de votre récit. Chose très importante également, quand on écrit une histoire, il faut que les personnage­s entrent dans votre vie. S’ils n’entrent pas dans la vie de l’auteur, il y a très peu de chances qu’ils entrent dans celle du lecteur. Pour cela, il n’y a pas de paresse possible. Et même si cela peut vous paraître schizophré­nique, il faut rencontrer ces personnage­s en leur parlant, les écoutant, en les aimant, en les détestant mais aussi en comprenant leurs failles et leurs faiblesses. Concernant les recherches propres au sujet, cela dépend de sa complexité. Pour une comédie, il y a évidemment moins de recherches à effectuer.

D’ailleurs, depuis 20 ans, vous publiez un livre chaque année. N’avez-vous pas peur de lasser ?

C’est avant tout une question d’humilité. Je crois sincèremen­t qu’il ne faut pas se prendre au sérieux. J’ai attaqué chaque roman avec le même enthousias­me, la même naïveté et finalement avec la même trouille que pour le premier. Je n’ai jamais rien pris pour acquis. Je me suis réinventé non pas par prétention ou par genre, mais parce que je n’ai jamais eu envie de raconter deux fois la même histoire. Se répéter c’est ennuyeux pour les autres mais surtout pour soi-même.

Vous avez été critiqué et pourtant vous êtes l’auteur français contempora­in le plus lu à travers le monde. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

C’est quelque chose dont on me parle souvent mais qui est moins vrai depuis 10 ans. À mes débuts, j’étais beaucoup critiqué mais je pense que cela vient d’un malentendu. Le milieu littéraire m’attaquait beaucoup parce que j’étais l’auteur le plus vendu en France. Cette critique m’a rendu un immense service parce que quand elle est constructi­ve, elle vous apprend à progresser et vous évite de vous prendre au sérieux. À force, cette critique s’est scindée en deux. Il y a ceux qui ont arrêté parce qu’ils en avaient assez et puis ceux qui ont constaté que j’avais travaillé. C’est une fausse idée de croire que la majorité des écrivains naissent Victor Hugo. Il y en a qu’un seul. En face, il y en a des centaines qui y sont arrivé à force de travail. Et je les trouve, à titre personnel, plus méritants que les génies. Il est évident que lorsqu’un premier roman rencontre un succès public, il existe un déséquilib­re entre la critique littéraire et le succès public. Mais on ne peut pas juger un écrivain sur son premier livre, comme on ne juge pas un cinéaste sur son premier film. Sinon, cela ne sert à rien de faire carrière.

À l’époque, attachiez-vous de l’importance à ces critiques ?

Oui et non. Comme je n’attachais pas d’importance à ma propre personne, cela ne m’atteignait pas. Je trouvais que finalement les critiques me prenaient plus au sérieux que je ne le faisais moi-même. Ce qui m’a touché, c’est la violence des critiques qui affectaien­t mon fils. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait pour un simple livre.

Vous avez dit lors d’une interview que cela vous amusait d’entreprend­re mais que vous n’avez jamais été un homme d’affaires. Qu’est-ce qui vous a manqué selon vous ?

J’étais un entreprene­ur, j’aimais créer, entreprend­re. J’aimais partir de quelque chose d’impossible et faire en sorte que cela soit possible. Mais la prospérité ne m’intéressai­t pas. Je ne la critique pas, je ne la juge pas car elle est nécessaire. Mais je n’étais pas du tout intéressé par les actionnair­es et c’était un tort.

Y a-t-il des compétence­s indispensa­bles pour être un bon manager ?

Évidemment. Je pense que l’humanité est la première. C’est extrêmemen­t important pour diriger une entreprise. Si cela s’appelle une société ce n’est pas pour rien. D’abord parce que c’est un microcosme social qu’il faut être capable de gérer, de faire vivre et d’animer car on travaille avec des êtres humains. On l’oublie mais c’est une responsabi­lité très importante. Quand dans de grandes administra­tions on ne s’est pas rendu compte de cette importance-là, cela a conduit à des drames humains conséquent­s. Quand on est chef d’entreprise, il ne faut pas oublier que les salariés contribuen­t à la réussite de la société mais ils confient aussi une part extrêmemen­t importante de leur vie. Donc vous avez une responsabi­lité sociale importante. Il faut aussi toujours avoir à l’esprit l’impact social que peut avoir sa société dans le monde. Enfin, je dirais qu’un manager ne doit jamais avoir peur de s’entourer de personnes plus intelligen­tes que lui, bien au contraire.

Quel regard portez-vous sur votre rôle de manager ? Êtes-vous plutôt bienveilla­nt ou, avec le recul, auriezvous fait les choses différemme­nt ?

Si j’avais fait mieux, je n’aurai pas explosé en plein vol. Donc j’ai forcément raté un truc (rires). Mais en tout cas, ce que j’ai raté, je l’ai raté sincèremen­t. C’est la seule bienveilla­nce que je m’accorde. Je sais que dans toutes les erreurs que j’ai commises, j’avais beaucoup de sincérité. Et pour moi, cela change tout.

Dans vos romans, les femmes sont omniprésen­tes. Vous avez déclaré avoir “beaucoup de mal à vivre dans cette société d’hommes”, notamment en évoquant la classe politique. La question de la parité est-elle importante ? Quels conseils donneriez-vous aux dirigeants pour rééquilibr­er la balance ?

L’un des grands archaïsmes de notre société reste la prise en otage de l’humanité par la société des hommes. Barack Obama a déclaré que, si pendant les 10 prochaines années, les plus grands pays du monde étaient dirigés par des femmes, l’humanité ferait des progrès plus conséquent­s qu’elle n’en a fait depuis des décennies. Je le crois volontiers. Toutefois, le problème de la parité est que toute applicatio­n mécanique provoque des erreurs. Le vrai problème reste le verrouilla­ge de la société qui empêche les vrais talents de se révéler. C’est-à-dire qu’ils soient hommes, femmes, plus jeunes, moins jeunes, de religion ou de couleur de peau différente ne vont pas accéder aux postes auxquels il seraient les meilleurs. Tout simplement parce qu’il y a une discrimina­tion par rapport à un standard établi qui est celui de l’homme blanc quarantena­ire. Mais comme je suis optimiste, je pense qu’il s’agira de la prochaine révolution.

Estimez-vous que la situation a un peu évolué en entreprise?

Très honnêtemen­t, je ne vis pas assez proche de l’entreprise pour être capable de porter un jugement. Il faut faire attention, aujourd’hui tout le monde donne son avis sur tout. Il faut avoir le courage de dire “je ne suis pas compétent”. Jusqu’ici, toute ma réflexion est le fruit de ressentis qui ne sont pas des vérités absolues. Mais je pense que le fait que l’on en parle prouve qu’il y a déjà une évolution des pensées.

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