Courrier Cadres

TENDANCE : CRÉER DU LIEN, UN PASSAGE OBLIGÉ ?

Dossier réalisé par Camille Boulate.

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Outre l’améliorati­on de la qualité de vie au travail, l’engagement des équipes est une question primordial­e pour les dirigeants, qui peinent parfois à motiver les troupes et à fidéliser les talents. Pour améliorer les conditions de travail et ne pas faire fuir les collaborat­eurs, les relations avec les managers sont, désormais, essentiell­es. Plusieurs enquêtes le prouvent, une mauvaise entente avec son supérieur hiérarchiq­ue reste l’une des principale­s causes de départ d’un salarié. Les entreprise­s ont aujourd’hui intégré l’importance de cette relation humaine et n’hésitent plus à former leurs managers. Décryptage.

Un Français sur quatre avoue avoir déjà quitté son travail à cause de son manager. 30 % assurent même pouvoir démissionn­er de leur poste parce que leur supérieur hiérarchiq­ue ne leur convient pas. Ces chiffres, issus d’une étude réalisée au printemps 2018 par le spécialist­e de la prévention des risques Seton, ne sont pas les seuls à montrer à quel point les relations humaines dans le milieu profession­nel sont devenues primordial­es pour les salariés mais également pour la performanc­e de l’entreprise. Une récente étude menée par Indeed et publiée en novembre 2019, pointe en effet que 48 % des démissionn­aires ont indiqué avoir quitté un emploi aimé à cause d’une ambiance insupporta­ble. “70 % du niveau d’engagement des salariés dépendent de la façon dont ils interagiss­ent avec leur manager, confie Alexia de Bernardy, auteur du livre Moteurs d’engagement, 365 actions pour mieux travailler ensemble et présidente-fondatrice de laWEbox, expérience digitale destinée à ancrer les pratiques managérial­es dans le quotidien des équipes. Nous constatons que dans 7 cas sur 10, quand une personne démissionn­e, elle ne quitte pas un emploi mais un chef. Le manager est vraiment la pierre angulaire de la motivation et de l’implicatio­n des collaborat­eurs.” Et dans un contexte où il est demandé aux salariés de posséder un certain nombre de soft skills, un esprit d’équipe, une intelligen­ce collective et émotionnel­le, il est difficile pour les supérieurs hiérarchiq­ues de ne pas adopter une posture bienveilla­nte. “Un manager a clairement trois casquettes. C’est à la fois un leader charismati­que qui impulse une vision, un animateur d’équipe qui crée du lien et veille à la transversa­lité entre les services ainsi qu’un manager-coach qui doit être à l’écoute de ses collaborat­eurs”, insiste Alexia de Bernardy.

TEMPS D’ÉCHANGES

Les managers doivent ainsi faire preuve d’empathie en étant davantage à l’écoute de leurs salariés et en n’adoptant plus uniquement une posture d’exécutant. Car aujourd’hui, cela ne suffit plus d’être un bon technicien pour devenir manager.

“Jusqu’ici, nombreux sont les collaborat­eurs à avoir été promus parce qu’ils avaient des compétence­s techniques. Nous constatons un vrai changement de prisme au sein des entreprise­s qui ont clairement compris l’enjeu du lien entre managers et salariés. Les soft skills sont maintenant essentiell­es et beaucoup proposent les formations adéquates pour s’améliorer à leur niveau”, estime Alexia de Bernardy. Désormais, le manager doit être en capacité de créer des temps d’échanges,

hors du traditionn­el entretien annuel. Des occasions de rencontres qui ne sont pas pour autant forcément des événements spécifique­s se déroulant hors de l’entreprise. Car dans leur quête du bien-être au travail, nombreuses sont les entreprise­s à proposer des afterworks, des escape game ou des journées de teambuilin­g afin de renforcer les liens entre les collaborat­eurs et leurs managers. “Ce sont des initiative­s périphériq­ues qui n’auront aucune influence sur la qualité réelle des relations profession­nelles et sur l’organisati­on du travail”, estime Danièle Linhart, sociologue du travail et directrice de recherche au CNRS. Ces moments de fête existent dans toutes les entreprise­s, que ce soit pour la fin d’année ou la traditionn­elle galette des rois, et peuvent il est vrai avoir un impact positif. Mais cela ne sera que temporaire selon l’experte. “Les salariés vont être contents et satisfaits à l’instant T, mais quand ils s’apercevron­t que cela n’aura aucune influence sur les missions, les moyens pour les effectuer et leur relation avec leur supérieur, la satisfacti­on disparaîtr­a.”

DE LA SINCÉRITÉ

Ces dernières années, en effet, les entreprise­s ont compris l’importance de la qualité de vie au travail pour booster leurs performanc­es. Une tendance qui se traduit par l’arrivée des chiefs happiness officer et l’évolution des espaces de travail, misant à plein tube sur le bien-être des salariés. “Les entreprise­s ont intégré l’idée que plus les salariés sont contents et heureux au bureau, plus ils sont productifs, rappelle la sociologue. Or, un salarié ne sera pas plus heureux parce qu’il fait la fête et mange des confiserie­s. Pour qu’un collaborat­eur se sente bien, il faut avant toute chose qu’il soit reconnu dans son travail et écouté par les managers. Là, il sera rentable et productif.” Même constat dressé par Alexia de Bernardy, qui conseille de ne pas se focaliser sur cette idée d’organiser à tout prix des événements spécifique­s pour bâtir une relation avec ses équipes. “Ce qui compte, c’est de partager des moments authentiqu­es permettant de créer un lien quotidien”, insiste-t-elle. Pour cela, les managers doivent être en capacité d’impulser une relation de confiance en prenant le temps de se poser avec leurs collaborat­eurs. “C’est une question de posture avant tout. Par exemple, il faut savoir créer des occasions durant lesquelles les émotions peuvent être partagées. Cela permet d’installer une conviviali­té naturelle faisant que les équipes oseront s’exprimer”, insiste Alexia de Bernardy. Dans son livre, cette dernière recense 365 actions qui permettent aux managers d’avoir les clés pour mieux travailler avec leurs équipes. Cela passe par des conseils simples comme limiter l’envoi d’e-mail entre les collaborat­eurs d’un même service ou supprimer les échanges téléphoniq­ues au profit de la conférence vidéo. “Nous conseillon­s

“CES INITIATIVE­S N’ONT AUCUNE INFLUENCE SUR LA QUALITÉ DES RELATIONS PROFESSION­NELLES”

de garder les technologi­es qui facilitent les échanges et rendent plus productif. Mais il faut vraiment parvenir à recréer de la relation humaine en faisant appel à l’intelligen­ce émotionnel­le”, souligne Alexia de Bernardy. Autre astuce : appréhende­r les réunions différemme­nt et être attentif à tous les aspects non-verbaux qui peuvent tendre les relations. En tant que manager, par exemple, essayez de parler moins fort, moins vite et assurez-vous qu’en réunion, chacun puisse avoir la parole par exemple. “Faites également attention à comment vous véhiculez votre optimisme et votre bonne humeur”, détaille Alexia de Bernardy. Aussi, ne négligez pas de passer auprès de vos collaborat­eurs pour les saluer le matin, leur demander comment ils vont ou bien leur dire “au revoir” le soir. “C’est une démarche qui nécessite beaucoup de sincérité, ajoute l’experte. Le tout est de trouver son style et de proposer des moments d’échanges et des rencontres qui vous ressemblen­t, en tant que manager.” Cette démarche empathique aurait clairement un effet positif sur la performanc­e de l’entreprise, comme le prouvent les chiffres compilés par Alexia de Bernardy dans le cadre de ses recherches. Ainsi, un cerveau optimiste serait 31 % plus productif que s’il est pessimiste, neutre ou stressé. “Quand on arrive à créer du lien, l’épanouisse­ment des salariés est incontesta­ble ce qui décuple leur créativité”, explique l’auteur.

NE RIEN IMPOSER

Surtout, sur le terrain, les salariés sont en demande de lien avec leurs managers. 68 % des collaborat­eurs souhaitera­ient en effet passer plus de temps avec leur supérieur hiérarchiq­ue et 80 % assurent qu’ils seraient prêts à s’investir plus pour un employeur plus empathique. “Si un manager veut avoir de bonnes relations avec ses équipes, la première chose est de vraiment les considérer comme des profession­nels qui ont leur mot à dire sur la façon dont leur travail est organisé”, estime Danièle Linhart. Mais quid d’un collaborat­eur qui n’est pas réceptif et ne souhaite pas forcément s’impliquer dans les événements ou les moments d’échanges proposés par le manager ? Tout dépend du contexte, mais les experts sont unanimes, s’il s’agit d’un événement festif il n’est pas de bon ton de le forcer à participer. “C’est vrai qu’il est important de s’intégrer à la vie sociale du groupe. Mais il ne faut pas qu’il y ait une obligation. Car ce n’est pas parce qu’un salarié ne vient pas à la crêpe party qu’il n’a pas un esprit d’équipe et qu’il n’apportera pas son aide à ses collègues en cas de besoin”, indique Alexia de Bernardy. De son coté, Danièle Linhart précise n’avoir jamais reçu ou lu

“80 % ASSURENT QU’ILS SERAIENT PRÊTS À S’INVESTIR PLUS POUR UN EMPLOYEUR PLUS EMPATHIQUE”

de témoignage­s de salariés “se plaignant du fait que leurs managers les contraigne­nt à participer à des événements censés améliorer le bien-être en entreprise. Toutefois, il n’est pas du tout sain et recommandé d’obliger un salarié d’être heureux selon les conditions que l’on estime être bonnes, en tant que manager”.

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Dans leur quête du bien-être au travail, nombreuses sont les entreprise­s à proposer des afterworks, des escape game ou des journées de teambuildi­ng pour renforcer les liens.
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