High-Tech avec Les Numériques : La guerre des streaming aura bien lieu
La télévision linéaire accuse le coup face aux plates-formes de streaming à abonnement qui cannibalisent l’attention des spectateurs. Un gâteau mondial énorme dont les géants Apple et Disney veulent se tailler une part conséquente. Par Mathieu Chartier.
Depuis l’apparition de Netflix en France en 2014, les plateformes de streaming vidéo ont su s’imposer et remettre en question la viabilité du modèle des chaînes de télévision traditionnelles. Le public a massivement adopté ces services à abonnement creusant ainsi l’appétit des grands groupes audiovisuels mondiaux. Si bien qu’en 2020, nous assisterons à une véritable guerre du streaming.
Aux offres des Canal+ Séries, Netflix, OCS et autres Amazon Prime Video viennent se greffer celles d’Apple et bientôt de Disney. Deux plates-formes de VOD à abonnement (SVOD) - baptisées Apple TV+ et Disney+ - qui focalisent l’attention, vu le poids de ces deux mastodontes.
PETITE PORTE, GRANDES AMBITIONS
Apple s’adresse avec des armes marketing éprouvées à une cible de plus d’un milliard d’utilisateurs actifs de ses appareils dans le monde. Disney s’appuie sur un catalogue de licences prestigieuses (Marvel, Star Wars, Pixar, National Geographic, etc.) et une force de frappe commerciale sans pareil. Pour s’imposer et chercher à bousculer les lignes d’un marché surdominé par Netflix et ses 158 millions d’abonnés dont plus de 6 millions en France (au 30 septembre dernier), ces deux épouvantails mettent les bouchées doubles. Derrière des discours officiels humbles se cachent en réalité des plans stratégiques ambitieux pour grappiller de précieuses parts de marché. La première bataille se jouera tout d’abord sur les prix, une composante clé sur un marché où le morcellement de l’offre va vite obliger le consommateur à faire des choix. Ces services d’abonnements, sans engagement, encouragent à la volatilité, avec la plupart des clients qui iront au plus offrant, pour des questions de budget. Apple et Disney ont d’emblée décidé de casser les prix. Le premier a lancé Apple TV+ au tarif aguicheur de 4,99 euros par mois, avec une subtilité : outre une période d’essai gratuite de 7 jours, un an d’accès au service est offert à toutes les
personnes qui achètent un produit Apple (iPhone, iPad, Apple TV, iPod touch ou Mac). De plus, en activant le partage familial, un même compte peut être partagé avec cinq autres personnes. Ce sont bien, en conséquence, des centaines de millions de personnes qui vont potentiellement pouvoir profiter d’Apple TV+ gratuitement dans les mois à venir. Tout l’enjeu pour Apple va donc être de les satisfaire pour les transformer en clients à long terme. Disney+ sera quant à lui lancé en France en mars 2020 pour 6,99 euros par mois. Un prix pour lequel les abonnés pourront profiter de flux vidéo Ultra HD (4K) jusque sur quatre écrans en simultané. L’abonnement équivalent chez Netflix est lui facturé 15,99 euros par mois, quand OCS autorise jusqu’à 3 écrans pour 11,99 euros mais limite ses flux à la HD.
DES MILLIARDS DANS LES CONTENUS
Avec un tarif agressif et des contenus ultra populaires (500 films et 7 500 épisodes de séries pour commencer), Disney+ a enregistré un démarrage canon en accueillant plus de 10 millions d’abonnés en moins de 48 heures, dans trois pays seulement : le Canada, les États-Unis et les Pays-Bas. L’objectif affiché par les pontes de Disney est d’atteindre une base stable comprise entre 65 et 90 millions d’abonnés d’ici cinq ans. La seconde bataille, le nerf de la guerre, se jouera sur les contenus. Toutes les plates-formes cherchent le prochain Game of Thrones. Et pour cela, les vannes budgétaires ont été ouvertes. À ce jeu-là, Netflix n’a pas son pareil : la société de Reed Hastings continue à s’endetter pour livrer toujours plus de contenus exclusifs, clé de voûte pour attirer et - surtout - fidéliser sa clientèle. Après avoir dépensé 8,9 puis 12 milliards de dollars en 2017 et 2018, c’est un chèque de 15 milliards qu’a signé le géant pour 2019. Une surenchère qui pousse Apple à dépenser 6 milliards dans la production et dans une logique de qualité plus que de quantité. The Morning Show, la série phare du lancement d’Apple TV+, avec Jennifer Aniston et Steve Carell, a ainsi coûté la bagatelle de 15 millions de dollars par épisode, soit plus que les épisodes de la saison finale de Game of Thrones. Et les plateformes s’arrachent les showrunners les plus courus : Netflix a mis 200 millions sur la table pour s’assurer d’avoir l’exclusivité de la prochaine série de David Benioff et DB Weiss (Game of Thrones, toujours) ; Amazon 150 millions pour mettre Lisa Joy et Jonathan Nolan (Westworld) au service de Prime Video. Pour le consommateur, cette concurrence effrénée aura du bon (hausse de qualité des contenus, stimulation de la production) et du moins bon (la multiplication des abonnements). Du côté du marché, en revanche, impossible à ce jour de dire qui des forces déjà en place ou des mastodontes à l’offensive tirera le mieux son épingle du jeu.