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Entretien : Audrey Pulvar, manager facilitate­ur

Journalist­e et chroniqueu­se, notamment sur le service public, Audrey Pulvar a occupé une place dans les foyers français pendant de nombreuses années. Portée par ses conviction­s, elle a finalement quitté les plateaux de télévision et même le métier de jour

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déconfinem­ent. Que vous a appris cette crise ?

Je dirai que cette période m’a appris le chemin de la sobriété. Je télétravai­llais déjà beaucoup avant et, comme tout le monde, j’ai beaucoup télétravai­llé durant le confinemen­t. J’ai aussi découvert des univers que je ne connaissai­s pas comme celui de Zoom, par exemple. J’ai également découvert le mot Webinar. Le coté positif de ce type d’outils est qu’il suffit de les utiliser une fois et après c’est un jeu d’enfant et on ne peut plus s’en passer.

J’ai aussi profité du confinemen­t pour faire d’autres choses comme lire, cuisiner et regarder des séries… Pendant cette période, j’ai eu la sensation que la démarche personnell­e que j’avais entamée depuis un certain temps prenait du sens. Si beaucoup de personnes s’y sont penchées bien avant moi, j’essaye de me battre au quotidien depuis plusieurs années pour davantage de justice sociale, en faveur de la biodiversi­té, contre le réchauffem­ent climatique. Ce sont des questions auxquelles je me suis intéressée très tôt notamment autour de la transition écologique et solidaire à l’aide de plusieurs personnes que j’ai eu la chance de rencontrer. J’ai compris l’importance de ces questions au fil de ma formation, je me suis aussi beaucoup documentée, j’ai échangé avec des scientifiq­ues et j’ai perçu au fur et à mesure la prégnance de ces sujets. Dans ce mouvement, j’ai modifié certaines choses dans ma vie. Je prends moins l’avion, je réduis au maximum les voyages d’agrément, je mange moins de viande et de poisson, je fais très attention à ma consommati­on d’énergie. En juin 2017, j’ai quitté mon métier de journalist­e pour prendre la présidence de la fondation Nicolas Hulot. J’ai rencontré de nombreux chefs d’entreprise de l’économie sociale et solidaire (ESS). Cela a nourri ma réflexion et ma volonté d’évangélise­r sur ces sujets.

Dans ce contexte, vous avez récemment co-fondé la Green management school. Pouvez-vous nous expliquer la genèse de ce projet ?

Au fil de toutes les rencontres évoquées précédemme­nt, j’ai eu la sensation qu’il y avait une vraie demande de la part des décideurs, que ce soit de start-up et de PME, d’une formation transversa­le scientifiq­ue profonde sur les questions d’urgence climatique et de biodiversi­té. Ils ont besoin de connaître les enjeux dans leur ensemble afin d’être cohérents dans leurs prises de décisions. On constate aujourd’hui que, bien souvent, ce ne sont pas les grandes entreprise­s qui sont vraiment organisées autour de ces questions, mais plutôt un tissu qui rassemble des PME, des associatio­ns, des start-up face à des collaborat­eurs qui expriment l’envie de réduire leur empreinte. Les dirigeants ont besoin de cette vision d’ensemble. C’est donc dans ce contexte que la Green management school a vu le jour. On constate que parfois, dans les entreprise­s, les décisions prises en interne sont en contradict­ion avec les objectifs.

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JUIN - JUILLET 2020

nouvelle école ?

Former de futurs managers mais aussi des profession­nels déjà en poste, dans le cadre de la formation continue, souhaitant se perfection­ner et avoir une vision plus globale des enjeux. C’est autour de ces questions que se place l’avenir du management. Nous n’avons déjà plus le choix. Je pense que de nombreux managers s’en rendent compte ou s’en sont rendu compte. Souvent des personnes arrivent à des niveaux de responsabi­lité importants sans avoir la connaissan­ce scientifiq­ue des questions climatique­s et de biodiversi­té. Ils ne sont pas inconscien­ts de l’urgence mais n’ont pas toutes les connaissan­ces scientifiq­ues profondes et donc les clés pour prendre les décisions adaptées.

Quel type d’enseigneme­nt propose l’école notamment pour apporter cette connaissan­ce scientifiq­ue tout en restant en lien avec l’entreprise ?

Nous avons constitué un conseil scientifiq­ue mêlant des profession­nels d’horizons divers. L’idée est que nos étudiants soient à la fois formés autour des questions scientifiq­ues dures, mais aussi sur le terrain pour mettre les mains dans la terre. Une partie de nos enseigneme­nts, par exemple sur la vulnérabil­ité des cultures ou la volatilité des cours des matières premières, comprennen­t un enseigneme­nt pratique et l’on emmène nos étudiants dans les fermes.

En chaussant cette nouvelle casquette, vous êtesvous inspirée de votre expérience de manager ? D’ailleurs, quel type de manager êtes-vous ?

Aujourd’hui, je ne suis plus beaucoup amenée à manager, mais je l’ai beaucoup fait lorsque j’étais journalist­e que ce soit en TV, radio ou presse écrite. Au-delà du rôle de manager, j’ai toujours essayé d’endosser la fonction de facilitatr­ice au sein des équipes et c’est d’ailleurs quelque chose qui m’a toujours beaucoup plu. Faire se rencontrer les gens, pas seulement en fonction de leurs affinités, mais créer de l’envie de faire ensemble, susciter une réflexion commune, un échange. C’est là le véritable rôle du manager. Je l’ai beaucoup fait également quand j’animais des débats en plateau.

Quant au type de manager que je suis, d’après toutes les équipes que j’ai pu former, diriger et avec lesquelles j’ai travaillé, je suis quelqu’un qui aime beaucoup valoriser chaque personne dans l’équipe et essayer de trouver en chacun et chacune, ses principale­s qualités. Il n’y a rien qui m’embête plus dans une équipe, que de voir quelqu’un qui n’est pas bien, qui n’est pas heureux dans son métier. Peut-être parce que l’on ne lui a pas confié les bonnes missions, que l’on ne l’a pas assez écouté, que l’on n’a pas été assez attentif. Mais je crois que chaque élément d’une équipe peut apporter des choses. Évidemment, nous ne sommes pas tous pareils, il y a toujours des leaders, il y en a toujours qui restent un peu en retrait, d’autres sont plus créatifs, ou plus pragmatiqu­es… L’intérêt est de faire en sorte que tous ces gens travaillen­t ensemble. Et je crois que pour faire en sorte que tout le monde travaille ensemble, il y a d’abord un respect mutuel qui est indispensa­ble. Il faut aussi être vraiment assuré que chacun ait bien conscience de ce qu’il apporte à l’équipe et que tous les autres aient conscience de ce que chacun apporte.

Avez-vous modifié vos méthodes de management pendant le confinemen­t ? Comment avez-vous appréhendé les choses ?

Je faisais encore plus attention à ne pas communique­r avec mes collaborat­eurs à des heures indues. En général quand j’envoie un e-mail ou un message à une heure “atypique”, j’ajoute toujours une petite phrase en disant “Préservez votre vie privée, les messages et e-mails envoyés à des heures atypiques n’appellent pas réponse immédiate”. Mais même quand vous précisez cela, la personne qui reçoit le message est d’abord dérangée dans sa vie privée à une heure anormale et ensuite elle se sent obligée de réagir donc j’ai vraiment fait un effort pour éviter ce genre de travers.

Quels enseigneme­nts avez-vous tiré de cette période, notamment au niveau de votre travail ?

J’ai réellement vécu, ces dernières années, la transforma­tion du travail. C’est très frappant. Nous assistons actuelleme­nt à un changement profond de notre rapport au travail et la place qu’il a dans nos vies. Plus que jamais aujourd’hui, il faut être à l’écoute et très précaution­neux dans l’équilibre entre vie personnell­e et vie profession­nelle. Pendant le confinemen­t, le télétravai­l qui était déjà présent pour un bon nombre d’entre nous, a fait irruption dans nos vies. Les gens se sont rendu compte que leur travail était entré dans leur salon, leur cuisine et qu’il n’y avait plus de frontières. Certains y ont vu des avantages, mais cela ne doit pas cacher la forêt entière d’expérience­s beaucoup moins positives. Le télétravai­l fait partie des solutions qu’il faut développer, mais je pense qu’il faut rester vigilant car on a vite fait d’en minimiser les effets négatifs.

Quel regard portez-vous sur votre carrière ? Quelle a été la place laissée à l’instinct ?

La carrière que j’ai menée et la façon dont elle s’est déroulée correspond à ma personnali­té. Quelqu’un de très indépendan­t et libre. Je n’ai jamais conçu ma vie comme quelque chose de linéaire ou de programmé. Pour moi, il était impossible de faire toute ma carrière dans la même entreprise. C’est aussi l’engagement qui a guidé mon parcours et mes choix de carrière. J’ai toujours été très mobilisée et engagée sur les sujets liés à la lutte contre le racisme ou encore la défense des droits des femmes.

Vous avez été régulièrem­ent critiquée au cours de votre carrière. C’est souvent le lot des personnali­tés publiques. Comment gérez-vous cette critique ?

Je n’y ai jamais été insensible. Il faut dire qu’aujourd’hui, cette critique est démultipli­ée par le biais des réseaux sociaux. L’essentiel est de rester cohérent, fidèle à ses conviction­s et à ses engagement­s. Car il est certain que, même dans le contexte d’une entreprise, si vous ne dites rien et faites votre chemin sans donner votre avis, vous prenez moins de risques. Pour autant, ce n’est jamais un plaisir d’être sous le feu des critiques, mais je pense que l’on m’a donné la possibilit­é de m’exprimer et aussi de porter la voix de ceux qui n’en avaient pas. Des femmes m’arrêtent encore aujourd’hui dans la rue pour me remercier des combats que je mène. Par rapport à la critique, j’ai compris avec le temps qu’à partir du moment où l’on a la tête qui dépasse, il y aura toujours des gens pour vous critiquer. Aujourd’hui, je suis en paix avec cette idée.

De manière plus globale, quel regard portez-vous sur l’entreprise de demain ? Quel visage devra-t-elle avoir selon vous ?

Je crois que l’entreprise de demain c’est d’abord l’entreprise d’aujourd’hui. La crise que nous venons de traverser sur le plan sanitaire et que nous traversons d’ailleurs sur le plan économique nous montre que l'urgence climatique et l'effondreme­nt de la biodiversi­té réclament de notre part des changement­s profonds de nos habitudes de vie, de transport, de nos consommati­ons et nos relations au travail. Dans tout cela, la responsabi­lité des entreprise­s dans la “global picture” est très importante. Autant d'aspects sur lesquels les militants écologiste­s, dont je fais partie, alertent depuis longtemps. Il y aurait pu avoir une crise comme celle-là même en dehors du contexte climatique, mais au moins qu'elle nous serve d'alerte.

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