Cuisine et Vins de France - Hors-Série
Les nouveaux accords mets et vins
De nouvelles connexions entre les vins et les plats se créent sous l’influence de chefs, sommeliers et vignerons bien décidés à bousculer les mariages convenus avec des unions plus libres, par amour du goût.
L’accord mets et vins est tellement sacralisé qu’il fait l’objet de coutumes tenaces. Pas plus tard qu’en juin dernier, lors de la traditionnelle Fête de la Fleur organisée dans un prestigieux château bordelais, le gotha du vin s’est ainsi vu servir un mythique Château Margaux 1996 sur l’assiette de fromages. Pourtant, les plus grands sommeliers attestent que la puissance des fromages est l’ennemi des rouges, surtout lorsqu’ils sont vieux ou tanniques ! Ailleurs, la révolution est en marche.
SOIF DE DÉCOUVERTE
« Il y a quinze ans lorsque j’ai débuté dans un grand palace, les bourgognes et les bordeaux trustaient la carte des vins », se souvient Alexandre Céret, sommelier du restaurant Les Déserteurs à Paris. Désormais, de l’étoilé au bistrot branché, la carte s’ouvre à tous les vins exprimant avec singularité leur terroir d’origine, d’où qu’ils soient. Même au George V, célèbre palace parisien, la carte du restaurant Le George axée sur la cuisine méditerranéenne mise sur la découverte et affiche des blancs secs des îles Éoliennes ou des Cyclades. « Aujourd’hui, de jeunes vignerons font revivre des vignobles ancestraux dans des microterroirs. On y trouve pléthore de beaux vins gourmands, friands, fruités, s’associant très bien à cette cuisine », explique Éric Beaumard, directeur des restaurants et sommelier du George V. Aux Déserteurs, Alexandre Céret constate même que la sacro-sainte appellation d’origine contrôlée n’est plus un critère déterminant. « On peut proposer un vin de France au verre et à la carte. Il ne va pas nous rester sur les bras. » Les gastronomes, eux aussi, se fient moins aux étiquettes prestigieuses.
OPTION FINESSE
La cuisine a gagné en légèreté et cherche à être au plus près du produit. Tous les éléments de l’assiette jouent un rôle et pas seulement l’ingrédient principal. Allier des asperges vertes, parmesan et oeuf mollet avec un rouge de corbières-boutenac ? C’est délicieux si le vin, bien que puissant, est vinifié sans fût, dans un esprit frais, et qu’un jus de viande et des olives noires de Kalamata corsent le plat. Et un tartare de boeuf avec un grand riesling d’Alsace, un chenin de Loire ou un sancerre ? C’est magnifique si le tartare est issu d’une viande maturée et assaisonnée de gingembre, huile d’olive, citron et citron vert ! Les sommeliers traquent les vins aromatiques mais pas trop extraits, trouvant leur équilibre sur l’acidité avec des fins de bouches désaltérantes. Les rouges sont plus sveltes, issus parfois de cépages retrouvés. Ils ont leur place aux côtés de poissons, des plats végétariens et des saveurs épicées. Des blancs puissants, riches comme ceux élevés en amphores, oxydatifs ou très minéraux dialoguent à force égale avec les viandes. « La quête de finesse manifeste dans les assiettes se retrouve aussi dans les vins. Beaucoup de domaines se sont mis à faire des vins plus épurés et digestes. Ils ont abandonné le style “rouleau compresseur” concentré, boisé et fardé, en vogue dans les années 1990 et 2000. Ces vins écrasaient le contenu de l’assiette », estime Manuel Peyrondet, Meilleur Ouvrier de France sommelier et fondateur de Chais d’oeuvre.
L’EFFET VERRE
Le service du vin au verre s’est développé sous l’effet de la modération des quantités consommées. En plus, des systèmes performants permettent désormais de conserver les bouteilles entamées. Le grand chef Alain Senderens, récemment disparu, a été l’un des premiers à miser sur les accords « un plat, un verre ». Cet exceptionnel maître des saveurs amoureux du vin pouvait ainsi atteindre une précision bien plus percutante qu’en servant une seule bouteille partagée sur différents plats. Le verre démultiplie les possibles. Les chefs s’autorisent même sur certaines assiettes à dénicher une bière, un thé, un jus de fruits ou un cidre d’exception. L’ordre du vin (bulles, blanc, rouge) n’est plus un dogme. La force et la texture comptent plus que la couleur. L’accord ne devient pas forcément plus simple mais beaucoup plus créatif et ludique avec le plaisir comme seul fil conducteur.