Cuisine et Vins de France - Hors-Série
À qui appartient le vignoble français ?
Le vin nourrit une forme de rêve assez unique dans l’univers des productions agricoles. Ce rêve est partagé par des propriétaires de vignes aux pro ls de plus en plus variés.
Quelles que soient la surface de vignes et la richesse du propriétaire, chaque domaine est l’histoire d’un lien passionnel avec un bout de terre doté du pouvoir magique de produire du vin. La notoriété de l’appellation in uence évidemment la désirabilité d’un vignoble. En Loire, en 2017, l’hectare d’AOC saumur-champigny s’est acheté jusqu’à 65 360 euros alors qu’un hectare en AOC anjou se négociait à 17 980 euros maximum. Certains lieux font tellement fantasmer que les prix deviennent vertigineux. Parmi les records absolus : les plus de 200 millions d’euros déboursés par François Pinault pour les 7,5 hectares bourguignons du prestigieux Clos de Tart en 2017. « 80 % du vignoble reste accessible », plaide toutefois Michel Veyrier de Vinea Transaction, spécialiste des transactions viticoles. Des terroirs hier méconnus deviennent convoités grâce à l’intuition et au travail de vignerons en révélant leur potentiel, telles les Terrasses du Larzac. Si elle ravit les nanciers, la montée des prix limite l’installation de jeunes vignerons. Les acquisitions des acheteurs étrangers font régulièrement la une de l’actualité tant le vignoble est considéré comme un véritable patrimoine national. Mais selon Michel Veyrier, « ils sont surmédiatisés ». Bien sûr, quelque 150 châteaux bordelais ont été acquis par des Chinois. Mais les Anglais, historiquement très présents, sont en retrait.
Nouveaux objectifs
Faire du vin ? Ce n’est plus l’unique motivation. « L’oenotourisme donne une nouvelle dimension aux vignobles depuis cinq ou six ans », explique Michel Veyrier. Des atouts comme la qualité du paysage et des bâtiments ou l’environnement préservé sont désormais valorisés, en plus du potentiel du terroir. Sans oublier la facilité d’accès et le climat. Accueillir au domaine renforce le lien noué par l’achat d’une bouteille. Goûter par exemple les vins provençaux de la Commanderie de Peyrassol à la table d’hôtes, après avoir parcouru les centaines d’hectares du domaine peuplés de vignes, d’oliviers et d’une soixantaine de sculptures contemporaines, laisse un
souvenir beaucoup plus émotionnel qu’une simple dégustation. En proposant gîtes, restaurants, chambres d’hôtes ou parcours dans les vignes, les domaines, hier fermés, s’ouvrent pour partager leur passion.
Les sept familles du vignoble français
Les 80 000 vignerons qui possèdent les 750 000 hectares du vignoble français ont des pro ls différents. Quels sont-ils ? La première famille largement majoritaire distingue les vi
gnerons de pères ou mères en ls ou lles. C’est le cas le plus fréquent. Pour certains, prendre la suite est une évidence. Pour d’autres, c’est un choix qui s’impose après une première vie ailleurs, dans un autre métier. Il faut souvent composer avec les problèmes familiaux et scaux. Pas toujours facile à gérer non plus, la différence d’approche entre générations, souvent radicale. La deuxième famille est composée des enfants du pays qui
ont réussi. Eux aussi, ils ont repris le domaine familial. Mais ils l’ont démultiplié grâce à leur talent entrepreneurial. Tels Gérard Bertrand en Languedoc-Roussillon, la famille Grassa du domaine de Tariquet dans le Gers (1 200 hectares), c’est Frédéric Brochet d’Ampelidae en Haut-Poitou (passé de 49 ares à 100 hectares en propre), Jérémie Mourat en Fiefs-Vendéens (plus de 100 hectares)... Viennent ensuite les néo-vignerons, de plus en plus nombreux. Ils ont décidé de changer de vie, de quitter la ville. Leurs parents n’étaient pas vignerons. Leur fraîcheur dans l’univers les aide à appréhender le métier autrement, en innovant. C’est par exemple le cas d’Isabelle et Vincent Goumard, ex-consultants en organisation, qui ont acheté le Mas Cal Demoura en 2004 , ou de Mélanie Cunin et Aymeric Hillaire qui ont créé le domaine Mélaric au Puy-Notre-Dame (Val de Loire) en 2008. Ces « néo-vignerons » ne doivent pas être confondues avec
les patrons composant notre quatrième famille. Une famille en hausse. Les plus médiatiques se nomment François Pinault, Bernard Arnault, Vincent Bolloré… Ils s’intéressent surtout aux vignobles prospères. Tels Martin et Olivier Bouygues qui se sont offert les Châteaux Montrose et Tronquoy-Lalande en 2006 dans le Bordelais, puis le mythique Clos Rougeard en 2017 (Val de Loire), et le Domaine de la Métairie dans le Cognaçais en 2018. La plupart des entrepreneurs sont beaucoup plus discrets. Ils sont patrons de PME prospères ou propriétaires de grandes surfaces. Les vignes leur fournissent un cadre de vie agréable tout en comblant leur esprit entrepreneurial, et éventuellement leur sens du bon plan scal et patrimonial. Ces patrons font souvent grimper le prix des propriétés tout comme les investisseurs étrangers de notre cinquième famille propriétaire de vignobles en France. Il y a les célébrités, surtout attirées par la Provence : Brad Pitt et Angelina Jolie propriétaires de Miraval, George Lucas récent acheteur du Château Margüi. D’autres sont plus discrets comme Vinéam, groupe chinois détenant quatre propriétes sur Bordeaux et une en Périgord, toutes en bio, ou le Britannique William Chase, créateur des chips Tyrrells et acheteur du Domaine de la Brillane à Aix-en-Provence n 2017. L’Américain Stanley Kroenke, actionnaire du club de foot d’Arsenal, propriétaire de domaines de la Napa Valley (Californie) a, lui, créé l’événement en prenant le contrôle du Domaine Bonneau du Martray et de ses corton-charlemagne à coup de millions d’euros en 2017. En n notre avant-dernière famille regroupe les entrepre
neurs du vin. Le vin est leur activité principale. Ils la gèrent en capitaines d’industrie, en cumulant les propriétés dans différentes régions pour constituer une force de frappe commerciale. Le groupe Castel, Bernard Magrez, Les Grands chais de France ou encore le groupe Vranken font partie de ce club de chasseurs d’hectares. Et dans ce jeu des sept familles, on ne peut oublier les com
pagnies d’assurance et les banques. L’envolée des prix du vin à partir des années 80 a incité les spécialistes du placement à investir. Axa est l’exemple le plus abouti avec sa liale Axa Millésimes propriétaire des châteaux Petit Village (Pomerol), Pichon Baron (Pauillac), Pibran (Pauillac) et Suduiraut (Sauternes) dans le Bordelais, du Domaine de l’Arlot en Bourgogne, de la Quinta do Noval au Portugal et de Disnokö en Hongrie.