Cuisine et Vins de France

BRILLAT-SAVARIN le savant épicurien

QUATRIÈME ÉPISODE DE NOTRE SAGA POUR CÉLÉBRER L’ANNIVERSAI­RE DE VOTRE MAGAZINE. DANS LA FAMILLE DES GASTRONOME­S RÉPUTÉS, BRILLAT-SAVARIN EST PASSÉ À LA POSTÉRITÉ. POUR BEAUCOUP, SON NOM N’ÉVOQUE QU’UN FROMAGE OU UN GÂTEAU, DÉLICIEUX L’UN ET L’AUTRE. C’EST

- PAR NATHALIE HELAL

La région natale de cet homme de goût avait tout pour l’inspirer : c’est à Belley, dans l’Ain, que voit le jour, le 2 avril 1755, Jean Anthelme Brillat, fils de Marc Anthelme Brillat, procureur, et seigneur de Pugieu près de Bugey, et de la belle Marie Claudine Aurore Récamier. Un pâté en croûte, de forme carrée et composé de deux farces sophistiqu­ées devait être baptisé « Oreiller de la Belle Aurore », en hommage à sa beauté. À Grenoble d’abord, à Paris ensuite, le jeune homme suit des études poussées, qui font de lui un homme du monde accompli, à la fois philosophe, musicien, juriste et… gourmet ! Élu député, puis maire de Belley, il est à l’apogée de sa popularité quand survient la Révolution. Exilé en Amérique, il s’amuse à enseigner à ses hôtes des recettes, ainsi que la technique des oeufs brouillés. En retour, il apprend celle du Welsh Rarebit, qui fera la gloire des estaminets du Nord des années plus tard. Rentré en France, il accole à son patronyme le nom de sa grand-tante, Mlle Savarin, qui fait de lui son légataire universel s’il associe son nom au sien. Peu après, en 1800, il est nommé conseiller à la Cour de cassation. Mais la véritable passion de sa vie est la gastronomi­e, qu’il définit comme « la connaissan­ce raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme en tant qu’il se nourrit ». En 1825 paraît la Physiologi­e du goût, essai dans lequel Brillat-Savarin présente l’état des connaissan­ces de son époque sur le goût, l’appétit et la valeur nutritive des aliments, le tout entrecoupé de souvenirs et d’anecdotes spirituell­es. Le succès est au rendez-vous, mais la critique ne l’épargne guère : s’il est encensé par Balzac, Carême, lui, ne mâche pas ses mots et reproche à l’auteur d’aimer les « choses fortes et vulgaires », et de se contenter de remplir son estomac… Quant à Baudelaire, trop jeune pour se prononcer au moment de la parution de l’ouvrage, il comparera plus tard le grand gastronome à « une grosse brioche » ! Au-delà du reflet des moeurs de la bonne société du premier Empire, c’est une analyse très poussée de la mécanique du goût, quasi scientifiq­ue et rédigée par un véritable épicurien, qui a permis à ce livre de devenir un succès universel, et à son auteur, de survivre dans les mémoires. Le 2 février 1826, quelques mois à peine après la parution de son ouvrage, Brillat-Savarin meurt, victime d’un refroidiss­ement contracté lors des cérémonies commémorat­ives de la mort de Louis XVI. Trop tôt pour imaginer passer à la postérité comme étant ce gourmet raffiné ayant ouvert la voie à la critique gastronomi­que, et auquel à la fois un fromage et un gâteau allaient devoir leur nom.

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