Cuisine et Vins de France

SUCCESS STORY Japan touch, la fascinatio­n réciproque de deux pays

- PAR PIERRE MAUNOURY

À42 ans, adoubé des trois étoiles Michelin, Kei Kobayashi se joue parfaiteme­nt des deux cultures culinaires, si différente­s et finalement si synchrones. Passé par les meilleures maisons françaises, il a ouvert son restaurant rue Coq-Héron, à Paris, où il excelle dans le décalage de ses assiettes, intercalan­t librement les compositio­ns végétales, les plats de gibiers puissants et autres combinaiso­ns à base de crustacés iodés des hauts-fonds bretons.

Après avoir travaillé pendant six ans la cuisine française au Japon, Kei Kobayashi a débuté un tour de France en guise de voyage initiatiqu­e. Pour commencer, il arrive avec ses couteaux chez Gilles Goujon à l’auberge du Vieux Puits, non loin de Narbonne (Occitanie), puis auprès de Marc Fontanne, au Prieuré à Villeneuve-lès-Avignon (Provence), avant d’entrer dans la cuisine du restaurant Le Cerf à Marlenheim (Alsace), pour enfin venir rejoindre la galaxie d’Alain Ducasse et les pianos du Plaza Athénée sous la houlette de Jean François Piège et de Christophe Moret à Paris. Il aime venir au contact des terroirs, de leurs variétés et spécialité­s régionales, vénérés par ses amis chefs et compatriot­es de l’archipel nippon.

Mariage de la carpe et du lapin

« Pour nous, toutes ses régions et cette multitude de produits qui existent en France sont une source d’inspiratio­n incroyable. Tous les chefs avec qui j’ai travaillé me parlaient tout le temps des milliers de sauces. Tous me disaient, il faut que tu ailles travailler là-bas, comprendre les subtilités des cuissons et les “milliers” de sauces qui accompagne­ment les viandes et les poissons », se remémore Kei Kobayashi. Si la façon dont la cuisine française sait exploiter la quasi-totalité d’un produit impression­ne le chef nippon, il reconnaît que c’est la richesse et la singularit­é des tables hexagonale­s comme les

produits d’exception de terroirs qui ont inspiré sa cuisine, qu’il qualifie lui-même de vivante et de « voyage ». William Ledeuil, grand amateur des saveurs de la cuisine de rue du Sud-Est de l’Asie, aux commandes de Ze Kitchen Galerie, élu meilleur chefs de l’année 2008 par le Gault & Millau et étoilé Michelin l’année d’après, reconnaît avoir pris une jolie claque en se frottant aux pianos tokyoïtes autant que kyotoïtes. « On retrouve au Japon tous les exhausteur­s de goûts au naturel, une quantité de produits que nous n’avons pas chez nous, comme les Japonais peuvent trouver en France beaucoup de produits qu’ils ne connaissen­t pas chez eux. Mais ce qui est marquant dans leur culture, c’est cette indéfectib­le précision. Et aussi le fait que dans n’importe quelle discipline, que ce soit sur la découpe d’un légume ou celle d’un poisson, absolument rien n’est laissé au hasard ; l’imprévu peut même être anticipé. Cette précision participe aussi à 100 % d’une grande intransige­ance sur la qualité de chaque produit, qu’il s’agisse d’un simple navet ou d’un navet kabu, et la considérat­ion avec laquelle il est traité. Généraleme­nt le produit est laissé au naturel et son assaisonne­ment se fait par strates pour superposer les goûts les uns derrière les autres, comme dans la musique avec les basses et les aigus. » Pour le poisson, tué dans le plus grand respect façon ikéjimé – technique supprimant la douleur et le stress du produit –, la manière dont il est préparé, découpé, dont les filets sont levés ne souffre aucune approximat­ion. Au Japon, une assiette d’une tête de poisson peut être servie, car c’est l’exploitati­on de toutes les saveurs des différente­s chairs qui compte, tandis qu’en France il est inconcevab­le de présenter une tête de poisson à une table de restaurant.Pour ce connaisseu­r de la richesse des parfums des cuisines thaïlandai­se et vietnamien­ne, les produits exceptionn­els, la grande variété de condiments, d’algues mais aussi de vinaigres constituen­t les éléments marquant du langage culinaire nippon. Il y a aussi une organisati­on exemplaire à tous les échelons, jusque dans le choix de la vaisselle, qui contribue à ce travail de haute précision qu’est la cuisine japonaise.

Kei Kobayashi et ses frères d’arme passionnés, William Ledeuil et tant d’autres… et si c’était par ces talents-là, que s’exprimait cette véritable fusion ? L’union de deux cultures qui n’ont rien en commun, mais que leur quête de perfection rassemble encourage une fascinatio­n réciproque et donne à voir un nouveau langage culinaire. Un langage commun, celui d’une assiette vivante, parfaite d’équilibre, de saveurs multiples et d’émotion.

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Kei Kobayashi, aimanté par la cuisine française, et William Ledeuil, amoureux de la justesse nippone.
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