RENCONTRE
Maison Lafitte, un siècle de tradition landaise
ÀMontaut, au sud de Mont-de-Marsan, ils sont nombreux à avoir grandi avec Maison Lafitte. Les employés et les amateurs de la première heure forment une famille dont s’enorgueillit la conserverie landaise, centenaire cette année. Un esprit de tradition transmis à travers les générations, propre à la maison, où l’on peut croiser Régine Tachon (troisième génération Lafitte), « l’âme de la Lafitte » venue apporter le courrier à Fabien Chevalier. Le dirigeant de l’entreprise depuis 2010 confie: « Les Landes sont le premier département de production et le foie gras fait vivre toute une région. » En atteste le nombre de pancartes annonçant la vente du produit qui jalonnent les routes de la Chalosse. Une culture bien ancrée dans le Sud-Ouest.
Un audacieux chasseur d’ortolans
Magrets, aiguillettes, foies gras, confits… Ici le canard, c’est une « religion ». Une tradition rurale liée au métayage local, à la technique de conservation du confit à partir de la graisse et à la culture du maïs dans le Sud-Ouest. Omniprésent dans le paysage, le maïs dessine des vallons jaunes qui se détachent de la chaîne pyrénéenne en fond de paysage. Éleveurs et producteurs de canards perpétuent d’ailleurs cette complémentarité en cultivant les céréales qui nourrissent les palmipèdes. L’histoire de Maison Lafitte, au début du XXesiècle, est à ce titre emblématique de cet enracinement. Comme nombre de métayers à l’époque, Pierre Lafitte complète ses revenus agricoles en vendant aux particuliers et restaurateurs ses ortolans ; une chasse qui échappe aux récoltes dues au propriétaire.Voyant son commerce croître, le paysan crée son entreprise en 1920 et étend son activité au négoce de foies gras de canard et d’oie plébiscités par les restaurants. Au fil des ans, l’entreprise familiale se développe jusqu’à devenir la Maison Lafitte, conserverie spécialiste du foie gras traditionnel des Landes.
Le temps de bien faire
En 100 ans, ce sont surtout les méthodes de production qui se sont modernisées et les normes sanitaires renforcées. Elles ont permis l’exportation des produits, la cuisson à basse température et les livraisons en trois jours de foie cru jusqu’au Japon. Pour autant et c’est immuable, un bon foie gras est un foie extrait d’un animal dont on aura respecté tous les cycles de production. Cela commence dans un couvoir, comme celui de Régine et Guy Ducourneau et leur neveu Guillaume Miossec à Bonnegarde. Dans cette « nurserie », les oeufs sont placés dans des incubateurs jusqu’à leur éclosion. L’entreprise, soumise à des règles strictes d’hygiène et de contrôle, est soucieuse de produire bien, plutôt que beaucoup en respectant une traçabilité. Aussi la famille Ducourneau déplore, consternée, l’ombre jetée sur sa profession, après la dénonciation récente par l’association L214 de l’insalubrité d’un élevage : « Des dérives isolées, mais inacceptables ! » Les canetons sont ensuite confiés à des éleveurs pour Maison Lafitte, comme Claudette Lalanne. Elle « faisait du canard » bien avant que son mari François ne la rejoigne. Longtemps, l’élevage et le gavage furent d’ailleurs une histoire de femmes, constituant un complément de revenus, tandis que les hommes travaillaient aux champs… Devenue plus lucrative que les autres, l’activité a fini par devenir mixte. Elle a sauvé bien des exploitations de la débâcle de la filière laitière, comme celle de François qui s’y est lui aussi converti. Dans sa cannetière, veillant à la croissance des poussins, l’éleveuse insiste : « Si notre vie est rythmée par le soin apporté aux canards, on prend le temps. Pas de productivité à tous crins. Le respect s’impose tant dans l’intérêt de l’animal que celui de la qualité. » Les canards labellisés sont élevés en plein air, bénéficient d’un gavage moins intensif et d’une alimentation 100 % végétale incorporant du maïs grain entier, garanti sans OGM. Chez Alain Harambat à Saint-Sever, même topo. L’éleveur évoque ce métier transmis par sa mère, tout en tâtant le jabot d’un canard pour vérifier son élasticité et ne pas forcer le gavage. « Depuis l’Égypte ancienne on utilise leur tendance naturelle à stocker le gras et à se suralimenter avant l’hiver, mais on ne la pousse pas. »