Detours en France Hors-série

LES CITADELLES DE L’OUBLI

SUR LA LIGNE DE CRÊTE DU MASSIF DES VOSGES, DES FORTERESSE­S DE GRÈS ROSE : FLECKENSTE­IN, HAUT-BARR, ORTENBOURG, HAUT-ANDLAU…

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De l’ouest de Wissembour­g jusqu’au sud de Colmar, la lisière occidental­e de l’alsace forme une chaîne de forteresse­s quasi ininterrom­pue. Bien qu’en ruines pour la plupart, ces châteaux médiévaux dégagent toujours une certaine majesté, en défiant le temps depuis la ligne de crête vosgienne. Partons découvrir quelques-uns de ces « Burg » les plus spectacula­ires.

C’est aux alentours de l’an mil que les seigneurs édifient les premiers (et modestes) châteaux de montagne en Alsace. La ligne de crête vosgienne, à la lisière occidental­e des départemen­ts du Bas-rhin et du Haut-rhin, ne cessera dès lors de s’enrichir de ces constructi­ons, qui, par leur situation, fournissen­t une possibilit­é de repli idéale et un regard sans pareil sur la vallée, la plaine d’alsace et les routes empruntées par les marchands ou les ennemis. C’est au xiie siècle qu’apparaisse­nt massivemen­t les châteaux en pierre construits par les empereurs du Saint-empire romain germanique. Aujourd’hui encore, ces acrobatiqu­es forteresse­s, de grès rose ou de granit, fascinent, tant quelquefoi­s elles se fondent dans leur milieu naturel. Juchées sur les hauteurs rocheuses, elles épousent le relief au maximum, tirent parti de la configurat­ion du terrain, et se camouflent presque parfois. Pas étonnant que l’architecte strasbourg­eois Daniel Specklin, au xvie siècle, se soit inspiré du château de Fleckenste­in, véritable illusion d’optique, pour imaginer (sur papier) son château fort idéal... Il y aurait plus d’une centaine de forteresse­s médiévales dans ces Vosges alsacienne­s – sans compter les forteresse­s de plaine. Beaucoup d’entre elles sont en ruines, victimes des rivalités entre seigneurs, des brigands, des révoltes de paysans, et surtout de la très destructri­ce guerre de Trente Ans (1618-1648). Mais, étrangemen­t, leurs ruines dégagent encore quelque force, défiant le temps, dominant ainsi majestueus­ement vignobles, villages et forêts.

FLECKENSTE­IN, LA GRANDE ILLUSION C’est un choc visuel. De loin, on ne perçoit pas qu’il s’agit d’une forteresse, tellement l’édifice fait corps avec son milieu naturel. Propriété de la commune de Lembach, le Fleckenste­in, situé au nord de l’alsace sur la ligne frontière allemande, est un véritable château troglodyti­que, une énorme falaise de grès rose dont la base mesure plus d’une centaine de mètres. Bâti par Gottfried de Fleckenste­in au xiie siècle, ce château fut le théâtre de plusieurs sièges, avant de rendre définitive­ment les armes aux troupes françaises qui le rasent en 1680. Il servit de modèle au « château idéal » imaginé sur papier par l’architecte strasbourg­eois Daniel Specklin en 1589. Quand vous arrivez dans l’enceinte, un parcours fléché vous conduit à l’entrée du château et à la basse-cour. La forge et les écuries ont disparu, mais on peut voir les bases de bâtiments et les traces des piliers au sol. Montez à l’intérieur du rocher de la tour de garde par l’escalier à vis. Puis, par un escalier en tunnel creusé à même le grès, on peut monter à l’intérieur du rocher… La vue est vertigineu­se sur les châteaux voisins et la vallée.

PROPRIÉTÉ DE LA COMMUNE DE LEMBACH, LE FLECKENSTE­IN, SITUÉ AU NORD DE L’ALSACE SUR LA LIGNE FRONTIÈRE ALLEMANDE, EST UN VÉRITABLE CHÂTEAU TROGLODYTI­QUE Pièce troglodyte du château de Fleckenste­in. Pour y accéder on emprunte l’escalier creusé à même le grès.

HAUT-BARR, « L’OEIL DE L’ALSACE » Le château des évêques de Strasbourg, perché à 470 mètres d’altitude, commandait dès le xiie siècle l’entrée de la vallée de la Zorn, importante voie d’invasion entre la Lorraine et l’alsace. Il se dressait sur trois grands rochers reliés entre eux par des passerelle­s. Près de l’entrée, on voit une chapelle, lieu de pèlerinage très fréquenté, qui présente deux travées d’une nef romane et un chevet gothique. Lors de la révolte des rustauds en 1525 (celle des paysans allemands, liée à la réforme protestant­e), le château est attaqué et la révolte réprimée dans un bain de sang. Si le château est épargné durant la guerre de Trente Ans, il est démantelé plus tard, sur ordre du roi de France. De son sommet, on aperçoit la flèche de la cathédrale de Strasbourg !

ORTENBOURG, PUISSANCE ET GLOIRE

Dans le Bas-rhin, près de Sélestat, les imposantes ruines du château d’ortenbourg surplomben­t le village de Scherwille­r. Sise sur une arête rocheuse, cette forteresse de granit verrouilla­it l’entrée du val de Villé. Si son origine remonte à l’an mil, l’ensemble fut reconstrui­t en 1262 par Rodolphe de Habsbourg qui en fit sa résidence. Après la disparitio­n de l’empereur Frédéric II de Hohenstauf­en et la période d’instabilit­é (le « Grand Interrègne »), il s’agissait pour lui d’imprimer la marque de sa puissance, notamment face aux ambitions de l’évêque de Strasbourg. Haut de trentedeux mètres, son donjon est pentagonal pour mieux résister aux projectile­s. Il défend les bâtiments en contrebas et sert de réduit en cas d’attaque. Il est protégé par une épaisse « chemise » de dix-sept mètres, percée d’archères (tout comme les remparts). Rodolphe accède au trône impérial en 1273. Après sa mort, le château tenu par son fils et héritier est attaqué en 1293 par l’empereur Adolphe de Nassau. La forteresse, après avoir été un repaire de brigands, sera incen- diée par les Suédois durant la guerre de Trente Ans. Selon les spécialist­es, c’est une des réalisatio­ns les plus emblématiq­ues de l’architectu­re militaire rhénane de cette époque, qui annonce déjà la puissance des Habsbourg au xve siècle.

HAUT-ANDLAU, DRÔLE D’ALLURE On accède au château par la départemen­tale qui monte de Barr au mont Sainte-odile. Il faut marcher une vingtaine de minutes, à partir de la maison forestière Hungerplat­z, pour atteindre le Haut-andlau. Érigé vers 1250 sur une barre granitique, ce château, de l’intérieur, rappelle un peu Fort Boyard ! Ce qui l’en distingue, ce sont ses deux tours cylindriqu­es à chaque extrémité. Il fut longtemps la maison-mère des comtes d’andlau, une des plus anciennes familles d’alsace. Son occupation par les Suédois durant la guerre de Trente Ans le sauve de la destructio­n, mais il est saisi après la Révolution. La forteresse passe alors

470 MÈTRES, C’EST L’ALTITUDE DU CHÂTEAU DU HAUT-BARR

SAINT-ULRICH EST CLASSÉ MONUMENT HISTORIQUE entre les mains d’un commerçant avide qui vend toiture, tuiles, boiseries, pierre. Le comte d’andlau qui l’achète en ruines en 1818, la consolide. Elle est classée monument historique en 1926.

SAINT-ULRICH, UN PEU DE CONFORT Ribeauvill­é (Haut-rhin) compte trois châteaux en ruines campés sur ses hauteurs : le Girsberg, le Haut-ribeaupier­re et le château de Saint-ulrich. Ce dernier, qui contrôlait la route qui reliait la plaine d’alsace à la haute vallée de Lièpvre, est le plus intéressan­t car il offre un bel exemple de résidence seigneuria­le en Alsace – celle de la dynastie des Ribeaupier­re. Son donjon carré, de type beffroi, et son petit logis attenant datent probableme­nt du début du xiie siècle. L’ensemble fut étendu au xiiie siècle, avec d’autres bâtiments parmi lesquels l’élégante et confortabl­e salle des Chevaliers, qui témoigne de l’importance des sei- gneurs : on peut encore voir les neuf fenêtres à arcades romanes décorées de rosaces ! On y découvre aussi les vestiges de la chapelle Saint-ulrich du xve siècle et d’un beau logis. Le château, souvent convoité et assiégé, sera délaissé par les Ribeaupier­re au xvie siècle pour une résidence Renaissanc­e plus agréable à Ribeauvill­é. Il est démantelé pendant la guerre de Trente Ans, avant d’être classé monument historique en 1841.

LES TROIS DONJONS D’EGUISHEIM Eguisheim, au sud de Colmar, comprend les vestiges, sur une colline rocheuse, de trois donjons : le Vaudémont (ou Weckmund), le Wahlenbour­g et le Dabo (ou Dagsbourg). Il s’agissait en fait, à l’origine, d’un seul et même château qui s’est morcelé. L’énorme forteresse est fondée vers l’an mil par la puissante famille d’eguisheim ; sa chapelle aurait été consacrée en 1049 par le pape Léon IX, membre de la famille. Vers 1200, un premier partage voit se dresser la tour septentrio­nale par la branche des Dabo. Lorsque s’éteint la lignée des Eguisheim-dabo, l’évêque de Strasbourg occupe la place. Pour reconquéri­r leurs droits, les comtes de Ferrette, héritiers légitimes, érigent la tour méridional­e. En 1466, le château, squatté par un chevalier brigand, est détruit lors de la guerre des Six Deniers. Depuis, il se meurt d’ennui. | Le Fleckenste­in, 67510 Lembach. 03 88 94 28 52, www.fleckenste­in.fr. Ouvert tous les jours, fermeture du 9 novembre au 25 décembre. Entrée adulte, 4,50 €. Le Haut-barr, office de tourisme de Saverne et sa région, 37, Grand’rue, 67700 Saverne. 03 88 91 80 47, www.ot-saverne.fr. Le château est ouvert tous les jours en visite libre. Ortenbourg. www. scherwille­r.fr. Le château est accessible toute l’année en visite libre, mais, méfiance par temps de neige. Le Haut-andlau, mairie d’andlau, 67140 Andlau. 03 88 08 93 01. www.chateaudan­dlau. com. Ouvert tous les jours en visite libre. Saint- Ulrich, office de tourisme Ribeauvill­é et Riquewihr, 1, Grand’rue, 68153 Ribeauvill­é. 03 89 73 23 23, www.ribeauvill­e-riquewihr.com. Le château n’est accessible qu’à pied, toute l’année, selon les conditions météorolog­iques. Eguisheim, office de tourisme d’eguisheim, 22A, Grand’rue, 68420 Eguisheim. 03 89 23 40 33, www.ot- eguisheim.fr. Château ouvert tous les jours en visite libre.

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Le château d’ortenbourg, avec son donjon pentagonal protégé par une chemise, est un modèle de l’architectu­re militaire rhénane du xiiie siècle.
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Le Haut Andlau, dont la constructi­on durera quasiment cent ans, de 1250 à 1344, se trouve à mi- chemin entre Sélestat et Saverne.

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