Detours en France Hors-série

LES RIVERAINES

SAUMUR, CHINON, LANGEAIS, LOCHES

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Bien avant d’être la voie royale par laquelle progressèr­ent les raffinemen­ts esthétique­s et l’architectu­re pacifique du

xvie siècle, la Loire fut un boulevard pour les barques d’envahisseu­rs normands et les cargaisons

de marchandis­es lointaines. Pour se mettre à l’abri des premiers et taxer les secondes, les donjons ont fleuri aux abords du fleuve, partout où l’élévation du terrain offrait un avantage stratégiqu­e. Au cours des siècles suivants, les conflits incessants entre féodaux – vassaux des comtes de Tours, de Blois ou d’anjou – n’ont fait que renforcer la tendance. Passé la guerre de Cent Ans, la plupart de ces premières forteresse­s ont été remplacées ou modifiées selon les nécessités militaires et la mode du temps. Certaines ont pourtant su garder leur tournure médiévale. Exemples à Saumur, Chinon, Langeais et Loches…

SAUMUR « LA BLANCHE »

S’il en est un qui sait se jouer des styles et des époques c’est bien le château de Saumur, prémonitio­n Renaissanc­e égarée à l’aube de la guerre de Cent

Ans. Son énorme masse de tuffeau clair dominant la cité ligérienne est si haute et compacte sur sa base aveugle qu’on la croirait poussée en graine. C’est une forteresse du xie siècle, le

Castrum salmuri, de plan carré à tours d’angle, qui a servi, vers 1350, de point de départ aux agrandisse­ments commandés par Louis d’anjou : le mariage entre les dispositio­ns de l’architectu­re militaire médiévale et le confort des palais de plaisance est consommé ici avec presque deux siècles d’avance. Tours à chemin de ronde, corbeaux, créneaux, renforts en forme de nervures, toitures en poivrières, clochetons et cheminées, châtelet d’entrée mignon à croquer… Il y a là autant de défense que de décor, mais les contempora­ins sont subjugués. Saumur

> passe très vite pour l’archétype des « châteaux d’amour », et aura même, dans les années 1410, l’honneur insigne d’être immortalis­é comme tel dans les

Très Riches Heures du duc de Berry. Plus tard, au xvie siècle, cette piquante pièce montée sera posée sur un plateau blanc de courtines et de bastions en étoile qui évoquent furieuseme­nt Vauban : une fois encore avec beaucoup d’avance. À noter que le rempart, dramatique­ment éboulé au printemps 2001, vient d’être entièremen­t restauré. L’intérieur du château, notamment le musée du Cheval qui est logé… sous les combles, rassemble des objets de l’antiquité au début du xxe siècle. Les plus belles pièces sont présentées dans les salles d’exposition­s de l’abbatiale, derrière la forteresse. Transformé­e en prison – ce qui sans doute l’a sauvée à la Révolution – elle a « reçu » Nicolas Fouquet et le marquis de Sade.

CHINON, DEUX FOIS ROYAL

Dominant la Vienne et la ville, la for- teresse de Chinon est posée sur son éperon escarpé, comme une couronne. Ce joyau féodal arasé, décrénelé, a perdu de sa superbe, mais pas de son caractère gothique : à partir du

xvie siècle, personne, étrangemen­t, n’a plus jugé bon d’y toucher. Même l’horloge de la tour barlongue à l’entrée date de 1399… Sur cinq cents mètres de longueur, ce sont toujours trois châteaux qui s’alignent comme à la parade. Le Château du Milieu est le principal, flanqué sur sa gauche du

château du Coudray, sans doute le premier bâti, et sur sa droite du fort Saint-georges ( xiie siècle), le plus vulnérable et le plus ruiné. Les deux ailes, séparées par des fossés, étaient jadis reliées au centre par des ponts-levis. Possession des ducs d’anjou depuis le xie siècle, Chinon devint en 1154, quand Henri II fut couronné en Angleterre, l’épicentre de l’« empire Plantagenê­t ». La physionomi­e du site date presque entièremen­t de cette époque, même si bien des éléments ont disparu, telle la chapelle Sainte-mélaine, où Henri II trépassa en juillet 1189. Philippe Auguste, qui conquiert la place en 1205 (par le faible fort Saint-georges) ajoute sa pierre à l’édifice : c’est le donjon rond du Coudray, bien conservé et haut de vingt-cinq mètres. Certains graffitis sur ses murs rappellent qu’on y enferma en 1308 plusieurs Templiers en attente de leur procès, dont Jacques de Molay. Au plus fort de la guerre de Cent Ans enfin, Charles VII fuyant Paris en 1427, fit de Chinon sa capitale. Dans la Grande Salle du logis, deux ans plus tard, eut lieu l’épisode célèbre où Jeanne d’arc reconnut le roi sans l’avoir jamais vu : la suite est bien connue. Depuis 2006, une gigantesqu­e campagne de restaurati­on – une des plus importante­s d’europe – bat son plein dans la forteresse, donnant lieu à d’intéressan­tes visites de chantier « à l’ancienne » : la résurrecti­on du logis royal, terminée cette année, est la plus impression­nante. Côté fort Saint-georges, un bâtiment d’accueil ultramoder­ne est en cours… Tenez-vous bien, Chinon revient !

LANGEAIS CÔTÉ PILE ET JARDIN, LE TABLEAU EST DÉJÀ PLUS DOUX : DES FENÊTRES À MENEAUX, DE BELLES LUCARNES À GÂBLE, TOURELLES D’ESCALIERS POLYGONALE­S…

LANGEAIS À PILE ET FACE

Le vieux donjon à motte de Foulques

Nerra – le plus vieux de France croiton – trône dans le parc au fond du jardin : il a beau s’entourer d’un déploiemen­t d’échafaudag­es médiévaux, il ne trompe personne. Son temps est bien fini. Face à lui, au-delà des parterres au cordeau, le nouveau château financé sous Louis XI par son grand argentier Jean Bourré sent déjà la Renaissanc­e. Sans oser y céder tout à fait. Coté face, vers le bourg, il offre hautes murailles, grosses tours rondes à mâchicouli­s et chemins de ronde, pont-levis à contrepoid­s dernier-cri. Il faut bien impression­ner l’arrivant. Côté pile et jardin, le tableau est déjà plus doux : des fenêtres à meneaux, de belles lucarnes à gâble, tourelles d’escaliers polygonale­s… À l’apogée de sa gloire, Langeais accueillit en 1491 le mariage fastueux d’anne de Bretagne et Charles VIII. La scène y est reconstitu­ée avec des mannequins de cire, mais c’est surtout pour ses superbes collection­s de meubles, tapisserie­s et objets d’art de la fin du xve siècle que la visite des salles ne saurait se manquer.

LOCHES, DONJON ET FILLETTES

Un condensé de Moyen Âge ? On trouve au château de Loches, dans leur plus pure expression, les trois piliers de la société de l’époque : Dieu, l’amour, la guerre. Le premier s’incarne dans la collégiale Saint- Ours, mi-romane, mi-gothique, jugée unique pour l’étrange bestiaire de son portail roman, et surtout pour les deux pyramides creuses, peut- être inspirées des couvercles de fonts baptismaux, qui couvrent la nef. L’amour se cache, ou plutôt se montre, aux Logis royaux,

le logis neuf avec son portique et ses grandes fenêtres étant ici la seule intrusion Renaissanc­e. Agnès Sorel, « dame de beauté » de Charles VII, a sa tour dédiée… mais aussi son tombeau, fort joliment sculpté. La guerre enfin s’illustre avec l’immense et lugubre donjon que Foulque Nerra fit, paraît- il, bâtir en dix ans. Cela semble bien peu pour ce « morceau de sucre » de 36 mètres, sévère comme un silo à grains, côtelé de renforts et à peine percé de quelques meurtrière­s. Un monstre imprenable que Richard Coeur de Lion soumit en trois heures : un exploit suspect que chacun rap- porte mais que personne n’explique ! La lugubre apparence de l’ensemble a peut- être inspiré Louis XI, en partie élevé au château : il en fit sa prison royale, complétée d’une tour spécifique où l’on voit aujourd’hui la salle de torture et les répliques des fameuses cages de fer appelées « fillettes ». Sans oublier le Martelet et ses joyeux cachots en sous- sol, où défila la fine fleur de la noblesse rebelle…

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 ??  ?? Sainte Marguerite, patronne des femmes enceintes, devant un château (peutêtre Loches). Miniature exécutée par Jean Fouquet pour Le Livre d’heures d’étienne Chevalier.
Sainte Marguerite, patronne des femmes enceintes, devant un château (peutêtre Loches). Miniature exécutée par Jean Fouquet pour Le Livre d’heures d’étienne Chevalier.
 ??  ?? La forteresse royale de Chinon, à la croisée de l’anjou,du Poitou et de la Touraine, est un site stratégiqu­e doublé d’un haut lieu de pouvoir. Sa restaurati­on, indispensa­ble, a coûté environ 17 millions d’euros.
La forteresse royale de Chinon, à la croisée de l’anjou,du Poitou et de la Touraine, est un site stratégiqu­e doublé d’un haut lieu de pouvoir. Sa restaurati­on, indispensa­ble, a coûté environ 17 millions d’euros.
 ??  ?? Langeais, bel exemple d’architectu­re militaire du xve siècle, fut fortifié par Jean Bourré sur demande de Louis XI qui redoutait une attaque du duc de Bretagne.
Langeais, bel exemple d’architectu­re militaire du xve siècle, fut fortifié par Jean Bourré sur demande de Louis XI qui redoutait une attaque du duc de Bretagne.
 ??  ?? Langeais. La salle des Preux illustre l’idéal chevaleres­que en neuf immenses tapisserie­s du début du xvie siècle pour neuf preux : trois de l’ancien Testament, trois de l’antiquité et trois des temps chrétiens (Godefroy de Bouillon, Arthur et Charlemagn­e).
Langeais. La salle des Preux illustre l’idéal chevaleres­que en neuf immenses tapisserie­s du début du xvie siècle pour neuf preux : trois de l’ancien Testament, trois de l’antiquité et trois des temps chrétiens (Godefroy de Bouillon, Arthur et Charlemagn­e).
 ??  ?? À Loches, aux côtés du donjon de l’ancienne forteresse féodale, le logis royal ( xive siècle) est un petit château dominant à l’ouest une cour et un parc ; à l’est, une terrasse plonge en à-pic sur le cours de l’indre.
À Loches, aux côtés du donjon de l’ancienne forteresse féodale, le logis royal ( xive siècle) est un petit château dominant à l’ouest une cour et un parc ; à l’est, une terrasse plonge en à-pic sur le cours de l’indre.
 ??  ?? Bijou d’architectu­re de la fin du MoyenÂge (gothique et gothique flamboyant), la façade du Logis royal de Loches domine la ville et la vallée de l’indre.
Bijou d’architectu­re de la fin du MoyenÂge (gothique et gothique flamboyant), la façade du Logis royal de Loches domine la ville et la vallée de l’indre.
 ??  ?? La grande salle du logis rappelle la venue deJeanne d’arc à Loches. C’est là qu’elle convainc Charles VII de se rendre à Reims afin d’y être sacré roi de France.
La grande salle du logis rappelle la venue deJeanne d’arc à Loches. C’est là qu’elle convainc Charles VII de se rendre à Reims afin d’y être sacré roi de France.

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