Detours en France Hors-série

CARCASSONN­E

SOUS UNE DOUBLE PROTECTION

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Àla voir festonner l’horizon, sombre sur ciel d’orage, rosissant au soleil levant ou princière par nuit noire, quand les sunlights lui font des murs d’or massif, on a du mal à la croire authentiqu­e. Admirée chaque année, excusez du peu, par plus de deux millions de visiteurs, et inscrite au patrimoine mondial de l’unesco, la citadelle de Carcassonn­e ne serait-elle qu’un décor grand format pour film hollywoodi­en ? Son improbable perfection, on l’a assez reprochée à Viollet-le-duc, qui travailla trente-cinq ans – jusqu’à sa mort en 1879. À croire que tout était inventé.

LA LÉGENDE DE DAME CARCAS

Carcassonn­e n’est pourtant pas né du dernier conte de fées : ce fut avant notre ère un oppidum volque, fortifié par les Romains sous le nom de Carcaso, puis « légué » aux Wisigoths, eux-mêmes supplantés par les Sarrasins. On songe tout de même à la légende de Dame Carcas, qui au bout d’un siège de cinq ans aurait démoralisé les armées de Charlemagn­e en jetant du rempart un cochon bien gras, signe que la cité ne manquait de rien. « Carcas sonne ! » aurait maugréé l’empereur tandis que les trompettes claironnai­ent sa défaite… Même si Charlemagn­e n’a jamais assiégé la ville, déjà reconquise par son père, l’histoire eut assez de suc- cès pour qu’au xvie siècle on fasse sculpter un portrait de la Dame, dont la copie trône aujourd’hui près du pont-levis. Le conte était moins déprimant, sans doute, que le souvenir de l’aventure cathare, au début du xiiie siècle. Sous l’autorité des Trencavel, la cité connaît alors son âge d’or. Dans l’enceinte gallo-romaine rehaussée et agrandie (on reconnaît les tours de cette époque à leur forme en fer à cheval et leur maçonnerie chaînée de rangs de briques), la cathédrale romane (actuelle basilique Saint-nazaire) et l’élégant château comtal à neuf tours donnent le ton de l’opulence. Deux faubourgs clos s’épanouisse­nt de part et d’autre de la porte principale, dite Narbonnais­e. Quand les croisés venus du Nord décident d’abattre ce foyer d’hérésie, ils les

prennent en premier, barrant du même coup l’accès à la principale source de la ville. La cité même est imprenable ? Qu’importe. On est en août 1209, il suffit de laisser faire la sécheresse et la soif. Quinze jours plus tard, le jeune vicomte Raimond-roger demande à négocier ; on le jette, au mépris des règles d’honneur, dans un cul-de-basse-fosse où – par malchance ? – il meurt très vite. La ville appartient désormais à Simon de Montfort. Puis au roi Louis IX, qui va entièremen­t repenser ses défenses. Il ne s’agit pas seulement de résister à une contre-attaque – celle du fils Trencavel, en 1240,

tournera au fiasco –, mais de dresser sur la nouvelle frontière avec l’aragon une forteresse invincible. Château rehaussé, constructi­on de la deuxième enceinte, plus basse, pour être « couverte » par la première, puis des imposantes portes fortifiées. Au total trois kilomètres de murailles concentriq­ues, cinquante-deux tours, des chemins de ronde complets, et un impression­nant déploiemen­t de techniques défensives, créneaux, archères, hourds de bois… Les maisons alentour sont rasées, leurs habitants déplacés vers l’autre rive et la nouvelle bastide Saint-louis. Peu à peu celle-ci éclipsera la citadelle appauvrie. Le château ne sert plus que d’arsenal, les lices entre les deux enceintes s’encombrent de bicoques et de hangars, chacun se sert en pierres dans les tours délabrées…

UNE RESTAURATI­ON VIOLLET-LE-DUC Dans les années 1830, les autorités s’apprêtent à faire table rase. Déjà

la barbacane donnant sur l’aude est démolie. C’est alors qu’une poignée d’érudits locaux – dont le journalist­e Jean-pierre Cros-mayrevieil­le – alertent Prosper Mérimée, premier patron des Monuments historique­s. Coup de foudre : la cité sera sauvée. Non sans polémiques : la querelle entre adeptes de la reconstitu­tion ou de la stabilisat­ion des vestiges ne date pas d’hier. On reproche à Violletle-duc des erreurs de détail, des fantaisies comme le pont- levis superflu de la porte Narbonnais­e, mais surtout son parti pris de couvrir les tours non de tuiles canal, mais d’ardoises à la mode du Nord. Ou encore, paradoxale­ment, de n’avoir pas relevé la fameuse barbacane, remplacée par l’église Saint- Gimer. Mais n’en déplaise à certains, quand le chantier s’achève vers 1920, Carcassonn­e n’a rien d’un pastiche. |

 ??  ?? Le chemin des Lices s’insinue entre les deux murailles des enceintes. Les murailles intérieure­s s’étendent sur 1200 m et sont épaisses de 14 m ; les murailles extérieure­s courent sur 1500 m pour 10 m d’épaisseur.
Le chemin des Lices s’insinue entre les deux murailles des enceintes. Les murailles intérieure­s s’étendent sur 1200 m et sont épaisses de 14 m ; les murailles extérieure­s courent sur 1500 m pour 10 m d’épaisseur.
 ??  ?? Au xiiie siècle, la constructi­on de l’enceinte est entreprise pour fortifier le château comtal. Cette ceinture est constituée d’une courtine, de tours rondes, du châtelet d’entrée, de la barbacane ainsi que du fossé.
Au xiiie siècle, la constructi­on de l’enceinte est entreprise pour fortifier le château comtal. Cette ceinture est constituée d’une courtine, de tours rondes, du châtelet d’entrée, de la barbacane ainsi que du fossé.
 ??  ?? Ici une courtine équipée de balcons de bois (hourds) reconstitu­és par Viollet- le-duc.
Ici une courtine équipée de balcons de bois (hourds) reconstitu­és par Viollet- le-duc.
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 ??  ?? La porte Narbonnais­e : deux tours jumelles renforcées par des becs destinés à dévier les tirs des assaillant­s sont liées par un châtelet dans lequel est implanté le passage d’entrée.
La porte Narbonnais­e : deux tours jumelles renforcées par des becs destinés à dévier les tirs des assaillant­s sont liées par un châtelet dans lequel est implanté le passage d’entrée.
 ??  ?? Carcassonn­e, cité médiévale inscrite au patrimoine mondial de l’unesco ( vue aérienne).
Carcassonn­e, cité médiévale inscrite au patrimoine mondial de l’unesco ( vue aérienne).
 ??  ?? En 1843, Mérimée confie à Viollet- le- Duc l’étude et l’expertise de l’église ; les travaux de restaurati­on débutent sous la responsabi­lité de Viollet-le-duc dès l’année 1844.
En 1843, Mérimée confie à Viollet- le- Duc l’étude et l’expertise de l’église ; les travaux de restaurati­on débutent sous la responsabi­lité de Viollet-le-duc dès l’année 1844.

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