SAINT-DENIS
ACTE I DE L’ARCHITECTURE GOTHIQUE
Ce n’est pas dans une cathédrale, mais dans une abbatiale d’île-de-france que naît, au xiie siècle, le premier chef-d’oeuvre d’art gothique ! Sur l’impulsion de l’abbé Suger, cet édifice de la lumière, qui rompt avec la tradition romane, allait bouleverser toute l’architecture médiévale en Europe.
Ambiance insouciante ce samedi-là, sur la place Victor-hugo. On y voit des enfants sur un manège et des jeunes gens attablés à une
terrasse. Comme veillant sur eux, un monument majeur domine le quartier de son poids historique et artistique : la basilique cathédrale de Saint-denis. Historique, car cette ancienne abbaye royale, nécropole des rois, fut l’un des hauts lieux de la monarchie française. Artistique, car c’est tout simplement le premier chef-d’oeuvre d’un art que les Italiens appelleront plus tard « gothique ». Remontons le temps. Sur la sépulture du premier évêque de Paris, le martyr saint Denis mort au iiie siècle, est édifiée une église au ve siècle. Sous les Mérovingiens, elle est agrandie et une abbaye est créée, puis une basilique est construite par Pépin le Bref vers 750. L’abbaye devient riche et puissante, notamment grâce à la célèbre foire du Lendit. Le changement majeur apparaît au xiie siècle lorsque Suger est élu abbé de Saint-denis.
UNE LUMIÈRE QUASI DIVINE
Le nouvel abbé décide d’agrandir l’édifice pour accueillir les foules : il va créer un sanctuaire d’un genre totalement nouveau. C’est une révolution architecturale. Dans les années 1130, la façade ouest est élevée dans un style harmonique, déjà entraperçu dans les cathédrales normandes. Nouveauté cependant, une impressionnante rosace percée au-dessus du porche apparaît, et pour la toute première fois, un ensemble sculpté. L’ancien et le Nouveau Testament en sont le thème. Le 11 juin 1144, le roi Louis VII et sa femme, Aliénor d’aquitaine, accompagnés de tous les grands du royaume, assistent à l’inauguration du chevet. Là, c’est la stupéfaction. L’éblouissement. Jamais jusqu’alors on n’avait vu une construction de ce type, d’un tel élancement, d’une telle légèreté, d’une telle luminosité. Alors que les édifices de l’époque sont pour le moins obscurs, l’assemblée découvre une association des plus subtiles de la pierre et du verre, qui permet
de faire pénétrer dans l’édifice une lumière quasi divine – car « Dieu est lumière » selon la conception théologique de Suger. La fusion des différents espaces est réalisée grâce à des colonnes d’une finesse inédite. On peut librement circuler dans un double déambulatoire qui ouvre sur neuf chapelles éclairées par d’immenses verrières…
« L’utilisation de l’ogive apparaît déterminante, en permettant de réduire l’importance du mur et de percer de grandes baies, tout comme l’arcboutant, qui crée une dynamique verticale, analyse l’historien Alain Erlande-brandenburg. Cette architecture de Saint-denis, contrairement à la tradition de l’époque qui joue sur les volumes et additionne les murs, accroît les vides. »
SOURCE D'INSPIRATION
Et de poursuivre : « Cette construction marque une rupture par rapport à l’art roman, en faisant de la cathédrale un véritable art total, avec le concours d’artistes venus de toute l’europe du Nord… » Cet édifice, premier chef-d’oeuvre monumental de l’art gothique, bouleverse toute l’architecture médiévale en Occident. Les nouvelles cathédrales seront désormais pourvues d’une façade dite harmonique, de vitraux, d’une voûte d’ogives, d’arcs-boutants ou encore d’une riche décoration sculptée… Après la mort de Suger, en 1151, les travaux s’arrêtent pour ne reprendre que sous saint Louis qui, grâce à l’architecte Pierre de Montreuil, fait de Saint-denis un vrai chef- d’oeuvre d’art gothique rayonnant. Mais la Révolution n’épargne pas l’abbaye. Une restauration est entreprise au xixe siècle sous la direction de Viollet-le-duc, après l’effondrement de la tour nord. En 1966, cette église, qui fut une source d’inspiration pour bien des cathédrales, devient enfin à son tour cathédrale, avec la création du diocèse de Saint-denis. †
Basilique- cathédrale de Saint- Denis, 1, rue de la Légion- d’honneur, 93200 Saint-Denis. 01 48 09 83 54. www. saint- denis. monuments- nationaux.fr