SOUS LES ÉTOILES EXACTEMENT…
Longtemps avant de partir, alors même que cette idée de voyage n’était qu'en germe, « ils » avaient été unanimes : « Tu verras, ça va changer ta vie ! » L'encouragement sonnait à mes oreilles telle une mise en garde.
Et puis, un jour, je me suis mis en route. Ou plutôt en Chemin, destination droit devant: Saint-Jacquesde-Compostelle. Au départ, on se dit: Ah ! la vie nomade, les grands espaces à perte de vue. Marcher, mettre de manière métronomique un pas devant l’autre et recommencer plusieurs milliers de fois par jour. « Tomber » les étapes, une par une.
Traverser des lieux inconnus et déserts. Affronter la brume matinale, endurer le cagnard à son zénith ou les frimas d’un printemps frileux, arriver à la brune dans un hameau perdu. S’attabler à la bonne auberge, un brin hagard, boire un godet avec un étranger, un drôle de type qui vous apprend qu’il vient de sortir de prison et qu’il réalise enfin, enivré d’une revigorante liberté, le projet échafaudé « cinq ans durant, dans une cage de 9 m2 ». Ou côtoyer « les forces du Bien » qui, pour l’occasion, revêtent l’apparence de cinq moniales septuagénaires. Elles m’expliquent avec force détails que l’une de leurs soeurs est paraplégique et qu’en conséquence elles se relaient « pour le portage ». Rire général quand l’une déclare : « Grâce à saint Jacques, j'ai enfin une ligne d’athlète! » Le fervent équipage escompte bien – « si Dieu continue de nous aider ! » – relier Santiago d’ici une soixantaine de jours. Foi dite en passant, le miracle est à portée de jambes. « Épreuve acceptée et ascèse consentie », n’aurait pas manqué d’ajouter le pérégrin Jacques Lacarrière. Sur ces bonnes paroles, on s’en remet avec délectation à Morphée : demain sera un autre jour.
Pour le marcheur, il y a pire que les aléas du climat ou les difficultés topographiques du terrain. Il y a même pire que la solitude. Ses deux ennemis quotidiens: le sac à dos – quoi que l’on fasse, il est toujours trop lourd – et les pieds. J’en sais quelque chose… Alors, vos petits ripatons, dorlotez-les, cajolez-les, offrez-leur la « Rolls-Royce des arpions » : une paire de chaussures de marche cuir pleine fleur « cassées » (faites, bien en amont du départ, à vos pieds). Quelles que soient les motivations qui vous poussent sur les chemins jacquaires, sans la parfaite complicité de vos pieds, n’espérez pas fouler le sol du cap Finisterre galicien.
Au fil des jours de marche, vous commencerez à saisir que le Chemin est un personnage à part entière et entièrement à part, témoin silencieux mais jamais muet de votre aventure. Partir, aller voir, raconter, fraterniser, s’étonner sans idées reçues. Voilà les promesses toujours tenues de Compostelle. Ultreïa !
AU FIL DES JOURS DE MARCHE,
VOUS COMMENCEREZ À SAISIR QUE LE CHEMIN EST UN PERSONNAGE À PART ENTIÈRE ET ENTIÈREMENT À PART,
TÉMOIN SILENCIEUX MAIS
JAMAIS MUET DE VOTRE AVENTURE.