Detours en France Hors-série

AUMONT-AUBRAC – NASBINALS

UNE ÉTAPE REDOUTABLE

- TEXTE DE HUGUES DEROUARD

Le plateau de l’Aubrac. C’est l’étape que l’on redoute mais que l’on espère toujours ! « Dans ces lieux d’horreur et de vaste solitude, les jacquets souffriron­t mille morts », avertissai­t déjà dans son guide Aimery Picaud, au xiie siècle. Depuis près de mille ans, les récits des pèlerins en ont fait un véritable mythe. Aujourd’hui encore, lorsque l’on demande aux marcheurs quelle étape les a le plus marqués, ils citent souvent l’Aubrac…

À partir du gros bourg d’AumontAubr­ac, recroquevi­llé au pied du plateau, le GR®65 chemine à travers des forêts de pins que nous avons déjà côtoyées les jours précédents… Il faudra attendre le carrefour des Quatre-Chemins, quelques kilomètres plus loin, pour avoir l’impression de se lancer dans l’aventure. Ici, une dernière halte s’impose : Chez Régine, un bistrot-institutio­n, l'ultime oasis avant le désert de l’Aubrac. « Alors, on va dans la pampa ? », lance, un rien moqueur, un paysan du coin en direction des marcheurs.

Le Chemin s’élève vers les prairies. Nous empruntons les drailles bordées de murets pierreux, tracées au cours des siècles par les troupeaux de moutons venant paître pendant l’estive. De nos jours, vaches et taureaux aubrac les ont remplacés, toisant de leur regard andalou – « de grands yeux charbonneu­x de mauvaise femme », disait Henri Pourrat – les visiteurs. Les kilomètres qui vont suivre seront beaux mais également désolés, solitaires, hostiles.

Les étés sont brefs, les hivers rudes et longs sur la grande table basaltique de l’Aubrac, qui s’étire sur 40 kilomètres, découpée en montagnes. Bientôt, il n’y aura plus aucun arbre à l’horizon, mais une prairie infinie, à l’herbe jaunie balayée par les vents. Les clôtures se confondent avec les roches et, quand le brouillard s’en mêle, les chaos granitique­s deviennent fantomatiq­ues et réveillent les légendes. « Surtout, ne quittez pas le Chemin sur la ligne de crête… si le brouillard persiste », nous glissait la veille l’hôtelier. Jadis, les pèlerins devaient ici se garder des loups – quelques-uns auraient été aperçus, venant d’Italie et cherchant probableme­nt à rejoindre les Pyrénées –, des aubergiste­s malhonnête­s, des bandits prêts à détrousser ceux qui s’égaraient dans la nuit, le brouillard ou la neige.

Le marcheur ne compte plus les kilomètres. Son regard cherche à s’accrocher à quelque chose. En vain. Les hameaux sont rares et seuls quelques burons rappellent la présence de l’homme. L’immensité nous saisit à la gorge. Un « morceau de continent chauve », écrivait Julien Gracq. Mais le paysage est splendide. Impossible de s’en lasser. Julien Gracq, encore : « Sur ces hauts plateaux déployés, où la pesanteur semble se réduire comme sur une mer de la Lune, un vertige horizontal se déclenche en moi qui, comme l’autre à tomber, m’incite à y courir, à y rouler, à perte de vue, à perdre haleine. »

Nasbinals, près du toit de l’Aubrac à 1470 mètres d’altitude, est d’un premier secours pour les marcheurs avec son église romane, typiquemen­t auvergnate, aux murs de basalte brun et au toit de schiste. Épuisés et heureux, ils profitent ici d’une halte bien méritée. Demain, les derniers pas sur le plateau de l’Aubrac ne seront pas les moindres. †

NOUS EMPRUNTONS LES DRAILLES BORDÉES DE MURETS PIERREUX, TRACÉES AU COURS DES SIÈCLES PAR LES TROUPEAUX

DE MOUTONS VENANT PAÎTRE PENDANT L’ESTIVE.

 ??  ?? La croix (xive siècle) granitique de la Rode, sur la commune des Salces, en Lozère. Elle semble marquer la limite du départemen­t avec l'Aveyron.
La croix (xive siècle) granitique de la Rode, sur la commune des Salces, en Lozère. Elle semble marquer la limite du départemen­t avec l'Aveyron.

Newspapers in French

Newspapers from France