PÉRIGUEUX
BYZANCE EN FRANCE
Avec ses coupoles et ses lanternons qui lui donnent une allure byzantine, cette grande église romane, désignée cathédrale au xviie siècle, détonne dans le paysage périgourdin. Fortement restaurée au xixe siècle, Saint-Front fut une source d’inspiration pour la construction du Sacré-Coeur de Paris.
« Il faut rendre visite dans la ville de Périgueux au corps du bienheureux Front, évêque et confesseur qui, sacré empereur à Rome par l’apôtre saint Pierre, fut envoyé pour pêcher dans cette ville », recommandait le moine Aimery Picaud dans son Guide du pèlerin, au xiie siècle. Pour le fidèle qui arrive dans la cité par le pont des Barris enjambant l’Isle, la vision est saisissante: il ne peut qu’être subjugué par la silhouette, massive et aérienne à la fois, de la cathédrale dédiée à saint Front, l’évangélisateur du Périgord. Surtout, l’ensemble surprend par ses coupoles surmontées d’exotiques clochetons. Une allure byzantine plutôt insolite en Dordogne! Tout commence au vie siècle, lorsqu'une chapelle est édifiée à l’emplacement du tombeau du saint, au sommet d’une colline dominant la rivière. Au xie siècle, une église romane, plus vaste, est élevée. Mais elle est ravagée par un incendie en 1120. Il est alors décidé de reconstruire une église plus grande encore, notamment pour accueillir la foule des pèlerins qui venaient admirer un somptueux reliquaire de saint Front. L’originalité de l’édifice ? C’est l’une des rares églises en France à être bâtie sur un plan en croix grecque, comme pour Saint-Marc de Venise. Comme Saint-Marc, c’est sur le modèle de l’église (disparue) des Saints-Apôtres de Byzance, que Saint-Front est édifiée. Ses cinq coupoles sur pendentifs, en dépit de leur énorme masse de pierre et de leurs imposantes dimensions, laissent au visiteur une impression singulière d’espace et de légèreté. Hélas, en 1575, durant les guerres de Religion, l’édifice est pillé, le trésor dispersé. Les reliques de saint Front sont jetées dans la Dordogne.
UNE RECONSTRUCTION POLÉMIQUE
Après les guerres de Religion, la Fronde puis la Révolution, la cathédrale est dévastée. Au xixe siècle, l’architecte diocésain Paul Abadie est missionné pour sauver Saint-Front. Lorsqu’il découvre le site, même les coupoles ont disparu sous une couverture en ardoise pour empêcher les infiltrations d’eau… Le chantier débute en 1852 et s'achève trente ans plus tard. Devant les difficultés techniques, Abadie a choisi de démonter l’édifice et de le remonter pierre par pierre! Il conserve le clocher du xiie siècle, le plan en croix grecque, mais réaménage les coupoles avec des dômes couverts de pierres taillées en écaille et ajoute des clochetons, eux-mêmes décorés de motifs de pommes de pins. Durant cette reconstruction, l'architecte inventa un chevet néo-roman, qui remplaça la chapelle axiale du xive siècle. La chapelle Renaissance SaintAntoine est démolie et remplacée par l'actuel jardin Dabert. « L’opération s’apparente davantage à une reconstruction, estime Jean-Marie Oudoire, dans Cathédrales de France. Abadie transforme l’ édifice médiéval hétérogène en l’un des types les plus achevés d’espace sacré d’Orient, l’église cruciforme à coupoles.
L’entreprise reste fondée sur le savoir et l’imaginaire du xixe siècle qui génère une oeuvre savante, trop parfaite. » Même si sa reconstruction suscita débats et polémiques, l’architecte a sauvé le monument, devenu au fil du temps l’emblème de Périgueux. Lorsqu’il remporte le concours pour la construction du Sacré-Coeur de Paris en 1873, Paul Abadie s’inspire tout simplement de Saint-Front.