Detours en France Hors-série

BEYNAC ET CASTELNAUD

LES FRÈRES ENNEMIS DU PÉRIGORD NOIR

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Postés à trois kilomètres d’écart, aux deux bouts d’un même

méandre de la Dordogne, ces deux-là comptent parmi les plus fiers castels du Périgord noir. Éternels rivaux d’un Moyen Âge mouvementé, ils ne se livrent plus aujourd’hui qu’à un concours… de beauté.

Entre royaume de France et Aquitaine anglaise, la Dordogne a longtemps joué les lignes de front. Un front divisé et confus, un labyrinthe féodal de loyautés fluctuante­s et d’ambitions croisées, où Beynac et Castelnaud se regardaien­t en chiens de faïence. Face à Castelnaud ( xiie siècle), Beynac a le privilège de l’ancienneté : le site est occupé depuis le xe siècle… avant notre ère ! L’endroit est surnommé « l’arche de Satan » lorsque Adhémar de Beynac en hérite en 1167, après vingt ans de Terre sainte. Il en restera le seigneur jusqu’en 1194, à l’abri de ses tours à créneaux et ses raides murailles. Hélas, il meurt sans héritier, et son suzerain – un certain Richard Coeur de Lion, lui aussi de retour de croisade – en profite pour faire don du châ- teau, en récompense, à son lieutenant Mercadier qui a si bien géré l’aquitaine entre-temps… Un assassinat opportun rendra le château à la famille ; mais le coeur des Beynac penchera toujours désormais du côté français, en dépit des traités qui baladent le Périgord d’une obédience à l’autre.

BEYNAC A LE COEUR FRANÇAIS, CASTELNAUD DU SANG ANGLAIS Juste retour des choses, quand Simon de Montfort s’empare de la place en 1214, sous prétexte de croisade albigeoise, Philippe Auguste interviend­ra pour la restituer, quoique mal en point. C’est l’occasion de reconstrui­re : plus haut, plus fort… De l’autre côté du méandre, à Castelnaud, le sire Bernard de Casnac, fidèle au comte de Toulouse, a aussi maille à partir avec Montfort. Le « bourreau des Cathares » occupe son château et y a placé ses propres hommes ? Il contre-attaque et fait pendre la garnison haut et court ! Victoire à la Pyrrhus cependant : en représaill­es, la place est réduite en cendres. Et aussitôt reprise par Montfort : une nouvelle forteresse voit le jour, dont le donjon carré et les courtines gardent fière allure. Beynac et Castelnaud se renforcent et grandissen­t en parallèle. Du haut des tours, à l’abri des créneaux, on s’épie et on se jalouse. C’est une question de préséance entre barons de premier rang, plus que d’allégeance : en cent ans de guerre, Castelnaud sera sept fois anglais, en fonction de tortueux calculs politiques… Sur son

retour définitif dans le giron français, en 1442, les versions divergent. Selon les uns, le roi de France Charles VII a ordonné un siège en force, qui dure trois semaines et se conclut par la reddition du capitaine anglais, Pascal de Theil. Mais à Beynac, on raconte comment, lors d’une trêve, on a convié l’adversaire à souper, tandis qu’un commando s’en allait bouter le feu au château. Et comment, avant de le jeter du haut des murs, on lui laissa contempler de loin l’incendie… D’un côté comme de l’autre, malgré des perfection­nements de prestige – ici des échauguett­es en poivrière, là un logis gothique, une barbacane « moderne », une inutile tour d’artillerie –, la suite est une lente descente vers l’oubli. Dès le xve siècle, le maître de Castelnaud transporte ses pénates à quelques lieues, au bord de l’eau, dans le très joli manoir Renaissanc­e de Milandes (où, bien plus tard, Joséphine Baker

installera sa famille nombreuse). La forteresse fera encore parler d’elle au temps des guerres de Religion, parce qu’elle est le berceau du redoutable capitaine huguenot Geoffroy de Vivans. La ruine l’envahit avant même la Révolution qui l’achève : le village récupère les pierres pour se bâtir un port fluvial. Beynac, aux mains de la même famille jusque dans les années 1960, s’en sort mieux. Tous deux adoptés et restaurés par des passionnés, ils se haussent à nouveau du col : l’un se fait musée des machines de guerre, au pied de murailles encore un peu neuves, l’autre se visite à la lueur des quinquets. Ou sur grand écran. Voyez la Jeanne d’arc de Besson, La Fille de d’artagnan, Les Visiteurs… | Château de Castelnaud, musée de la guerre au Moyen Âge, 24250 Castelnaud-la-Chapelle. 05 53 31 30 00. Château de Beynac, 24220 Beynac-et- Cazenac. 05 53 29 50 40.

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Le château de Castelnaud­la- Chapelle au- dessus de la rivière Dordogne. En cent ans de guerre, Castelnaud sera sept fois anglais, en fonction de tortueux calculs politiques.
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