PROVINS
LA PLACE FORTE QUI FAIT LA FOIRE
Visionnaires, ou au moins entrepreneurs avisés, les comtes de Champagne ont été parmi les premiers, après l’an mil, à miser sur le développement de grandes routes commerciales où leurs cités joueraient un rôle de carrefour. Au xiie siècle Thibaut, le chevalier poète, puis son fils Henri le Libéral organisent entre Provins, Troyes, Lagny, Bar- sur-aube et quelques autres un marché commun d’une douzaine de foires également réparties sur l’année. Réservées au commerce en gros, elles durent plusieurs semaines.
UNE DYNAMIQUE CITÉ COMMERÇANTE QUI FRAPPE SA MONNAIE Pour inciter les marchands d’autres provinces et d’autres royaumes à s’y rendre, malgré la lenteur et les périls du voyage, ils fournissent des sauf-conduits – des escortes armées – assortis d’une « assurance » en cas de vol, se chargent d’obtenir réparation si le dommage a lieu hors du comté, entretiennent intra-muros une police de gardes-foires, arbitrent les litiges commerciaux, créent pour faciliter les transactions leurs unités de poids (le marc de Troyes) ou de longueur, ainsi qu’une monnaie propre, le denier provinois. Le grave et fort donjon de Provins, baptisé tour César, est le symbole et le bras armé de l’ordre comtal. Mais séduire les gros négociants étrangers, c’est aussi leur offrir mieux que les simples tentes d’une ville-foire ordinaire. Ainsi Provins se dote d’un vaste Hôtel-dieu, de nombreuses auberges et de halles couvertes (la grange aux Dîmes, dont la salle basse voûtée abrite à présent une reconstitution scénarisée). La plupart des maisons possédaient ce genre d’entrepôts à louer : certains se visitent aujourd’hui, de
même qu’une partie des galeries souterraines, creusées pour extraire le falun (la terre servant à fouler la laine), et devenues à leur tour réserves pour les cargaisons d’étoffes, de fourrures, d’épices, de vins, de parfums, d’armes, etc. Flamands, Allemands, Génois, Provençaux, banquiers lombards affluent et se regroupent par quartiers, à l’abri des quelque cinq kilomètres de remparts. Les droits d’octroi emplissent les coffres des comtes, mais toute l’économie locale en profite : le drap ners (bleu-noir) de Provins s’exporte partout en Europe, les artisans prospèrent (on en compte un temps plus de trois mille), les arts et les idées circulent par la voix des bateleurs, musiciens et trouvères… Bref, un âge d’or. Que Philippe le Bel, agacé, s’empressera de contrecarrer à la fin du xiiie siècle, pour ramener vers Paris l’or et les regards ! |