LE RENOUVEAU DU XIX e SIÈCLE
C’est avec la création de la commission des Monuments historiques, en 1837, sous la monarchie de Juillet de Louis-philippe, qui veut sauvegarder « l’admirable enchaînement de nos antiquités nationales » , que l’on commence à s’intéresser aux châteaux forts. Le mouvement romantique trouvera son compte dans ces ruines majestueuses inspiratrices d’une « douce mélancolie » selon l’écrivain Bernardin de Saint-pierre. Ces châteaux, comme les cathédrales, sont valorisés par les artistes et les écrivains – Victor Hugo en tête. Les ruines deviennent romantiques, le Moyen Âge idéalisé : c’est l’apogée du style néogothique.
« POUR CONSERVER UN ÉDIFICE, IL FAUT LUI TROUVER UNE DESTINATION… » VIOLLET-LE-DUC
décide que Pierrefonds deviendra résidence impériale… Viollet-le-duc entreprend donc une vaste « restitution ». Un donjon carré, huit tours rondes et pointues, de parfaits mâchicoulis, un double chemin de ronde… Un beau château de forme quadrangulaire s’élève, long de 110 mètres, large de 90, à l’orée de la forêt de Compiègne. Un édifice puissant et élégant. Et factice, au sens premier du mot.
ON CRIE AU GÉNIE, OU AU SACRILÈGE À l’époque, on se déplace de loin pour
voir Pierrefonds. En 1867, quelque 120 000 visiteurs se pressent pour visiter le château, pas encore achevé, et les collections d’armes de Napoléon III ! Et pourtant, le travail de restitution de Viollet-le-duc fait souvent grincer des dents – y compris au sein des Monuments historiques. Pour l’écrivain Anatole France, par exemple, cet
« énorme joujou » est tout simplement du « vandalisme » . Pour d’autres, un « acte de folie furieuse » (l’architecte Achille Carlier) ou encore… des « déjections » (Proust). La sévérité du jugement sur Pierrefonds s’est atténuée avec la réhabilitation de l’oeuvre de Viollet-le-duc dans les années 1980-1990 : aujourd’hui certains y voient une indiscutable connaissance de l’architecture castrale. « En remontant les murailles, les tours et les éléments de défense, Viollet-le-duc a vraiment agi en archéologue averti et en restaurateur scrupuleux, estime l’historien Jean-pierre Panouillé dans Les Châteaux forts de la
France du Moyen Âge (éd. Ouest-france,
2007). Il a parfaitement compris le système de défense superposant mâchicoulis et galerie crénelée couverte avec circulation ininterrompue. »
« LA FORME PRIME SUR LE FOND »
« C’est en quelque sorte un projet de “nationalisme architectural” qui anime Viollet-le-duc et Louis-philippe, analyse de son côté Étienne Poncelet, architecte
en chef des Monuments historiques. Il s’agit de montrer cet “art civil et militaire qui, de Charles V à Louis XI, était supérieur à tout ce que l’on faisait alors en Europe” – le projet de résidence impériale est d’ailleurs vite abandonné au profit d’un musée. À Pierrefonds, l’aspect néomédiéval est donc ce qui compte le plus, et peu importe
la manière d’y arriver : l’architecte utilise les méthodes et les matériaux les plus économiques de l’époque, comme le fer et la peinture “industrielle”. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la forme prime sur
le fond. » Ce travail de restitution, prend dans les intérieurs, des airs… plus théâtraux. La grande cour d’honneur présente une esthétique typiquement néogothique avec son faste décoratif et son bestiaire. Quant à la chapelle, c’est la seule que l’on connaisse à être dotée d’un choeur surmonté par une tribune – Viollet-le-duc s’est figuré en pèlerin sur l’une des sculptures du portail ! La salle des Preuses, elle, est une galerie, création de l’architecte, qui en met plein la vue avec ses lambris, ses statues louant les vertus chevaleresques, sa tri-
bune pour musiciens. Dans le donjon, ne manquez pas la salle de réception : ses sculptures au décor végétal préfigurent
l’art nouveau ! « Proche du château originel, on peut dire de Pierrefonds qu’il est aussi une vraie création de Viollet-leDuc, une oeuvre du xixe siècle » , résume Étienne Poncelet. Difficile d’imaginer qu’un architecte aurait aujourd’hui la même liberté de travailler sur une ruine pour en tirer une telle création…