DES EXPERTS AU CHEVET DES CATHÉDRALES
Pierre noircie par la pollution, peintures défraîchies… À Champs-sur-marne, des scientifiques viennent au secours des monuments historiques, en étudiant les phénomènes d’altération et en proposant des solutions de restauration. Dans ce laboratoire unique en France, des vitraux médiévaux sont analysés…
Qui l’imaginerait ? À 20 kilomètres de Paris, une vingtaine d'experts scientifiques sauvent de la mort nos monuments historiques. Chimiste, physicien, micro
biologiste, ingénieur… tous s’activent, grâce à un matériel technologique des plus sophistiqués, à conserver, restaurer notre patrimoine le plus illustre. Les cathédrales représentent une part importante de leur travail tant ces édifices sont, pour la plupart, anciens, grands, riches en décorations, mais aussi très fréquentés. Généralement, les scientifiques du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) se déplacent pour observer et analyser les parties de la cathédrale endommagées et son environnement. Puis, si besoin, ils prélèvent un échantillon de la matière altérée qu’ils étudieront plus tard dans leur laboratoire de façon détaillée. Le plus souvent, sur une peinture ou une pierre, ce sont d’infimes microprélèvements.
DES OEUVRES SOUS HAUTE PROTECTION
Mais, lorsqu’il s’agit des vitraux, des panneaux entiers peuvent être enlevés. Tel est le cas, ce jour-là, pour ceux de la chapelle d’axe de la cathédrale Saint-julien du Mans : un panneau de près d’un mètre est arrivé au laboratoire, à la demande de l’architecte en chef de l’édifice, pour que soient analysés l’origine et le degré de dégradation des verres et de la grisaille (la peinture appliquée à l’intérieur des verres). Protégés par une alarme, les vitraux reposent dans les tiroirs d’un grand meuble. Les chefs-d’oeuvre sont observés à l’aide d’un microscope électronique de type médical. Que voit-on sur le panneau du Mans ? Sur la face interne, la grisaille a été, fait classique, abîmée par la condensation. Plus exposée aux attaques, la face externe présente, elle, des « cratères » d’une profondeur par endroits de près de deux millimètres… sur un verre qui n’en fait que quatre. C’est ce qu’on appelle la
lixiviation : sous l’effet de l’eau et de la pollution atmosphérique, les verres médiévaux, qui sont à base de fondant potassique, se dissolvent. « La situation est très grave, alarme Claudine Loisel, ingénieure de recherche au LRMH, on a perdu une grande partie du vitrail original. Il faut faire quelque chose, avant qu’il se perce littéralement. » D’épaisses taches blanchâtres apparaissent également en quantité, visibles à l’oeil nu : ce sont des cristallisations
de composés minéraux. « Lorsque le vitrail est attaqué par l’eau de pluie, certains éléments du verre vont être dissous et migrer vers la surface puis être lessivés par l’eau, quand d’autres se combinent avec des éléments de l’atmosphère, d’où ces couches blanches de gypse détectées (sulfate de calcium). » Cette attaque abîme non seulement le verre, mais finit par le rendre opaque ! Pour stopper les dégâts, les scien-
SOUS L’EFFET DE L’EAU ET DE LA POLLUTION ATMOSPHÉRIQUE, LES VERRES MÉDIÉVAUX, QUI SONT À BASE DE FONDANT POTASSIQUE, SE DISSOLVENT.
tifiques proposent une solution de nettoyage assez classique : un gel à appliquer viendra piéger le calcium, sans, bien sûr, endommager le vitrail. Suivant la « prescription médicale » du LRMH, les vitraux de la cathédrale du Mans seront d’ici quelque temps restaurés. Une fois ces soins effectués, les oeuvres devraient bénéficier de la « conservation préventive », désormais presque systématique : « Il s’agit d’un vitrail de protection à l’extérieur, à trois ou quatre centimètres de la paroi, qui permet d’éviter que la pluie touche le vitrail d’origine. Cette verrière thermoformée a l’avantage de reproduire l’aspect et les motifs du vitrail », explique Isabelle Pallot-frossard (alors directrice du LRMH). Grâce à cette technique élaborée et préconisée en France par le LRMH en collaboration avec le maître verrier Hervé Debitus, le vitrail d’origine est désormais protégé de son environnement tout en illuminant avec quasi la même subtilité l’intérieur de la cathédrale Saint-julien. « Non seulement cette verrière protège la face externe, mais protège indirectement la face interne du vitrail en évitant la condensation. Elle garantit la durée de vie du vitrail, qui a tout de même été conçu, par les maîtres d’oeuvre, pour rester ! »