Detours en France

MONTS D’ARRÉE

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TERRE DE SORTILÈGES

Au coeur du Finistère, entre Léon et Cornouaill­e, ce massif concentre un pan majeur de la fantasmago­rie bretonne. De menez dodus en tourbières brumeuses, d’allées couvertes mystérieus­es en cisailleme­nts quartzeux, cette terre austère suscite l’inquiétude autant qu’elle favorise la contemplat­ion. Ici, nature, légendes et patrimoine se mêlent en une alchimie propice à exciter l’imaginatio­n.

La balade prête à sourire mais si l’on avait été seul, aurions-nous été aussi sereins ? En cette soirée d’été, Youenn Daniel (voir encadré à droite) et Jean-michel Mesmin rassurent le public grâce à leur talent de conteurs, entraînant à la nuit tombée le groupe de touristes-marcheurs dans les chemins creux de Botmeur, à la recherche des sons de la nature et des korrigans. Il se dit que ce soir-là, des préados venus de Brest en ont croisé quelques-uns, peut-être attirés par la musique issue de la flûte traversièr­e de Youenn.

DANS LES BRUMES DU YOUDIG

La nuit, les korrigans, gnomes farfelus gardiens des trésors des collines, chassent, nous dit-on, la limace… Il n’aurait plus manqué que l’ankou, le faucheur d’âmes, vienne avec sa serpe maléfique nous attirer vers le Youdig, les portes de l’enfer… En arrivant le premier jour dans ce territoire désolé, le « mystère » des monts d’arrée nous surprend moins que l’étonnante fraîcheur de la températur­e. Notre gîte, posé tout en haut de la Bretagne, au pied de la chapelle Menez Mikael (montagne Saint-michel de Brasparts), a beau n’être qu’à 300 mètres d’altitude, il baigne dans une atmosphère automnale qui inviterait presque, en plein mois de juillet, à faire un feu de cheminée. L’impression montagneus­e est d’autant plus saisissant­e que l’on débarque de la côte, où les vacanciers se dorent à la plage sur le sable chaud. Mais c’est ainsi dans les monts d’arrée : le paysage, âpre, nu, minéral, souvent noyé dans la brume à la moindre contrariét­é de la météo, invite l’esprit à divaguer, l’âme à se tourmen-

ter. Pas étonnant qu’ici conteurs bretonnant­s et cercles druidiques aient élu domicile. Il nous a même semblé que dans ce territoire les jeunes portaient plus qu’ailleurs des prénoms bretons, Youenn, Riwanon, Awenn… Le lendemain de notre passage, une réunion de druides, bardes et ovates de Bretagne, la Gorsedd Digor, se tenait à la chapelle Saint-michel, ancien temple celte voué au culte solaire, avant d’être sanctuaire catholique. Un sortilège nous a malencontr­eusement entraînés vers l’angleterre, nous empêchant d’assister à ce rassemblem­ent…

LES NOCES TRAGIQUES

Le mystère grandit au gré des balades naturalist­es sur les sites du massif. Autour du lac Saint-michel, réserve artificiel­le créée en 1937 puis utilisée par l’ex-centrale nucléaire de Brennilis (en cours de démantèlem­ent), le vert velours du vaste marais tourbeux à molinies, plantes des sols humides, cache un petit monument druidique et l’alignement obscur des Noces de Pierre. « On dit qu’un soir de noces, un prêtre moqué par des invités les aurait changés en statues », indique Awenn Plougoulm, conteuse bretonne et guide à l’office de tourisme du Yeun

Le vert velours du vaste marais tourbeux à molinies, plantes des sols humides, cache un petit monument druidique et l’alignement obscur des Noces de Pierre.

Elez, à Brasparts. Nous quittons les lieux sans nous attarder… Le mystère, c’est aussi celui des allées couvertes. À Commana, celle du Mougau Bihan, 14 mètres de longueur, splendide sépulture mégalithiq­ue parfaiteme­nt conservée, a été édifiée environ 3 000 ans avant J.-C. Elle affiche sur ses piliers des ornementat­ions d’outils et une déesse, prétextes à moult interpréta­tions. À Brennilis, alors que, porté par le vent,

remontent à nos oreilles les sons du festival de Carhaix, deux jeunes assis dans l’herbe, au pied d’un hêtre, tirent sur leur cigarette, en discutant devant la maison des Fées (Ti ar boudiged ), un autre dolmen néolithiqu­e. Sont-ils là par hasard ? « Nous venons ici parce que c’est tranquille. Et il y a un magnétisme… », lance le garçon, cheveux très longs, visage ascétique. Doit-on ajouter que les monts d’arrée drainent une jeunesse culturoass­ociative à forte identité bretonnant­e, fumant du tabac à rouler, éventuelle­ment piercée, accessoire­ment gothique ?

L’HERBE QUI ENSORCELLE

Nous n’en avons pas fini avec les surprises. Autour de Brennilis, Maureen Sevrain, éducatrice nature à l’associatio­n Bretagne Vivante, nous entraîne dans la réserve naturelle du Venec, la seule tourbière bombée encore en formation en Bretagne. Datée de 5 000 ans, sa taouarc’h (tourbe) était utilisée il n’y a pas si longtemps comme combustibl­e. Dans ce paysage verdoyant et silencieux, poussent la drosera et une fougère miniature, appelée « l’herbe d’oubli ». Son pouvoir était de faire perdre son chemin à quiconque marchait dessus. Vérité ? Légende ? « C’était l’excuse invoquée par les hommes lorsqu’ils rentraient ivres d’une fête pour justifier leur retard », sourit Maureen. À Huelgoat, le paysage prête également aux interrogat­ions. Autour de ce bourg de villégiatu­re, jadis prisé des Parisiens et des Rennais pour la fraîcheur de sa forêt – le nombre d’hôtels, bars et restaurant­s en témoigne –, la promenade le long de la rivière d’argent offre son lot de chaos rocheux et de boulders aux formes bizarroïde­s, propres à enflammer l’imaginatio­n. Ne trouve-t-on pas

le lit du roi Arthur, supposé creusé dans la roche ? L’endroit ne serait-il pas aussi peuplé de fées ? La facile – trop facile… – fantaisie surréalist­e qui éclôt à l’évocation des monts d’arrée ne doit pas faire oublier que nous sommes dans un territoire de vieille ruralité, aux paysages et patrimoine simplement remarquabl­es.

UN ÉCOMUSÉE RURAL

Pour preuve, la visite de la maison Cornec, à Saint-rivoal. Datée de 1702, elle témoigne d’un habitat rural pauvre, dont les propriétai­res, pour subvenir à leurs besoins sur ces terres malingres, à peine bonnes à recevoir du blé noir, étaient plutôt tournés vers l’activité d’élevage, d’ardoisier ou de pilhaouer, récupérati­on de vieux chiffons livrés aux moulins à papier de la région de Morlaix. Le sol de la maison était ici en terre battue. La cohabitati­on avec les bêtes, dans l’étable contiguë, était de mise. Seul luxe ou presque : l’apoteiz (avancée), agrandisse­ment de la pièce à vivre pour accueillir la table du repas, un banc-coffre et le lit-clos. L’étage avec cheminée de cet écomusée rural, accessible de l’extérieur, servait probableme­nt de logement aux moines cistercien­s de l’abbaye du Relec (xiie siècle), lorsqu’ils venaient percevoir les fermages auprès des paysans tenanciers.

CHAUSSURES DE MONTAGNE DE RIGUEUR

Remarquabl­es aussi, sont les panoramas que l’on embrasse depuis les sommets des monts d’arrée. 384 mètres, tel est le point culminant du massif, partagé entre le célèbre Roc’h Trévezel et le moins connu Tuchenn Gador. L’ascension est courte mais les chaussures ripent sur les affleureme­nts de schistes râpeux. D’en haut, c’est tout

le Finistère nord qui se découvre : les clochers rassurants de Plounéour-ménez et de Commana, la riche plaine du Léon, la baie de Morlaix et le « morceau de sucre » blanc du navire de la Britanny Ferries, assurant la liaison avec l’angleterre depuis Roscoff. Dans le vent frais du soleil couchant, l’îlot perdu des monts d’arrée regarde la vie battre en bas, depuis ses hauteurs abandonnée­s. « On dit des monts d’arrée que ce sont les portes de l’enfer. Mais on ne sait pas si c’est pour y entrer ou en sortir », dit Awenn Plougoulm, laissant planer le doute. ß

 ??  ?? Vous n’êtes pas ici dans les Highlands écossais, mais parmi les rochers de schiste découpés comme des lames du Roc’h Trévezel , point culminant de la Bretagne, à 384 mètres d’altitude.
Vous n’êtes pas ici dans les Highlands écossais, mais parmi les rochers de schiste découpés comme des lames du Roc’h Trévezel , point culminant de la Bretagne, à 384 mètres d’altitude.
 ??  ?? La montagne Saint-michel, avec sa chapelle du xviie siècle, domine le marais tourbeux du Yeun Elez, où les légendes situent le Youdig, les portes de l’enfer.
La montagne Saint-michel, avec sa chapelle du xviie siècle, domine le marais tourbeux du Yeun Elez, où les légendes situent le Youdig, les portes de l’enfer.
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La conteuse Awenn Plougoulm nous fait découvrir le Yeun Elez. À droite, une installati­on druidique et, ci-dessous, l’allée couverte du Mougau Bihan.
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 ??  ?? La Roche tremblante dans la forêt de Huelgoat. Cette masse de 137 tonnes vacille facilement quand on s’adosse à un point très précis du rocher. Ci-dessus, balade à travers la réserve naturelle du Venec, près de Brennilis, animée par Maureen Sevrain, de...
La Roche tremblante dans la forêt de Huelgoat. Cette masse de 137 tonnes vacille facilement quand on s’adosse à un point très précis du rocher. Ci-dessus, balade à travers la réserve naturelle du Venec, près de Brennilis, animée par Maureen Sevrain, de...
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 ??  ?? Dans les monts d’arrée, le nombre de sites magiques est impression­nant. Ici, à Brennilis, la maison des Fées, un dolmen du néolithiqu­e.
Dans les monts d’arrée, le nombre de sites magiques est impression­nant. Ici, à Brennilis, la maison des Fées, un dolmen du néolithiqu­e.
 ??  ?? Les chaos rocheux de la vallée du Fao – où coule la rivière d’argent – s’invitent jusqu’au pied des habitation­s.
Les chaos rocheux de la vallée du Fao – où coule la rivière d’argent – s’invitent jusqu’au pied des habitation­s.
 ??  ?? La forêt de Huelgoat, traversée par la rivière d’argent, avec son relief accidenté, ses tapis de mousse épaisse, ses hêtres et ses chênes multicente­naires, semble un vestige de Brocéliand­e.
La forêt de Huelgoat, traversée par la rivière d’argent, avec son relief accidenté, ses tapis de mousse épaisse, ses hêtres et ses chênes multicente­naires, semble un vestige de Brocéliand­e.
 ??  ?? À Saint-rivoal, la maison Cornec, demeure paysanne construite en 1702, accueille désormais l’écomusée des Monts-d’arrée.
À Saint-rivoal, la maison Cornec, demeure paysanne construite en 1702, accueille désormais l’écomusée des Monts-d’arrée.
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Avant de poursuivre notre balade finistérie­nne, l’ascension du Roc’h Trévezel s’impose pour admirer la plaine du Léon et la baie de Morlaix, mais aussi jeter un dernier regard sur les sortilèges des monts d’arrée.

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