Detours en France

CRO-MAGNON EN HÉRITAGE

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Ce sont des coups de Klaxon qui m’ont ramené dans le bon chemin, un brin égaré entre layons de la forêt de Feytaud et rives de la Beauronne au coeur de ce Périgord blanc. Trois coups stridents redonnant le nord à ma boussole. Cette trille est l’entrée en matière d’une camionnett­e qui appartient au paysage, comme le château des Brunies, le prieuré de Merlande ou les massifs de chênes pédonculés. Sur les flancs du véhicule est inscrit : Boulangeri­e Boisseau.

C’est grâce à Lionel, de La Chapelle-gonaguet, que le pain frais arrive tous les mardis dans les hameaux isolés de la vallée de l’isle, au nordnord-ouest de Périgueux. Les plus anciens se souviennen­t qu’il en a toujours été ainsi. L’estomac dans les talons, je me rue sur une miche à la croûte dorée. Je croque à belles dents dans une tranche épaisse comme la main et l’apostrophe fuse. Volte-face, Antonine plante son regard vif dans le mien : « Mon garçon ! Ça ne se fait pas, chez nous, de manger le pain sec ! Vous venez d’où ? Suivez-moi jusqu’à la maison. À la rosée, j’ai fait une bonne tralée de cèpes et quelques girolles. Quand on est bien élevé, ça ne se refuse pas, hein ? » Mon hôtesse, dont l’élémentair­e courtoisie ne m’autorise pas à donner l’âge, grimpe dans sa ferme. Faut suivre. Au milieu d’un pré où cacarde une fratrie d’oies dodues se dresse une maison basse, en calcaire gris, toit plat couvert de tuiles romaines, oeil-de-boeuf. Aucune fausse note. « Les gens du Périgord ne font pas la roue devant l’étranger, ils ouvrent leur porte, avec simplicité et confiance, que la réciproque n’advienne pas, il faudra alors passer définitive­ment votre chemin ! Notre côté rugueux, notre manière de ne pas faire des mines, d’être en écoute avec la nature, on l’a sûrement un peu hérité de nos ancêtres, Cro-magnon et Néandertal ! Croyez-pas ? Et puis, s’ils s’installère­nt ici, formant le berceau de l’humanité, c’est qu’ils avaient un sacré sens du beau ! »

Et de reprendre ma route, le havresac alourdi de gatellous (petits gâteaux), d’une belle poignée de noix et, surtout, d’un examen de passage, visiblemen­t réussi. C’est indiscutab­le, ici, dans ce Périgord, qu’il soit blanc, noir, vert ou pourpre – palette inventée par le tourisme – les paysages exhalent une atmosphère de « tous les matins du monde ». Et on imagine que si les hommes de la Préhistoir­e ressortaie­nt de leurs grottes et abris enchâssés dans la vallée de la Vézère, ils retrouvera­ient à peu près leurs repères.

L’écrivain américain Henry Miller, qui séjourna une dizaine d’années dans le Périgord noir, dans les parages de la bastide de Domme, ne disait pas autre chose lorsqu’il déclarait : « Rien ne m’empêchera de croire que cette grande et pacifique région de France est destinée à demeurer éternellem­ent un lieu sacré pour l’homme et que, lorsque la grande ville aura fini d’exterminer les poètes, leurs successeur­s trouveront ici un refuge et berceau. » ẞ

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Dans le Périgord noir, le château de Beynac fait face à la rivière. Sur son éperon rocheux, il toise la Dordogne de à 150 mètres de hauteur depuis le xiie siècle.

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