Detours en France

LES PASSAGES COUVERTS

DANS L’INTIMITÉ DES GALERIES

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L’atmosphère si particuliè­re des passages couverts parisiens ne laisse pas indifféren­t. Nimbés d’une douce lumière naturelle, ils offrent une déambulati­on à l’abri des intempérie­s

et dégagent un charme désuet totalement envoûtant.

Départ au métro Cadet. Descendre la rue Cadet. Tourner à gauche dans la rue du Faubourg-montmartre et avancer jusqu’au n° 31. Un porche imposant invite à s’aventurer dans les profondeur­s de l’îlot urbain. Le passage Verdeau est le premier segment de notre promenade dans les passages parisiens. À la différence des traboules lyonnaises, ces passages sont intégralem­ent couverts. Il y règne une atmosphère particuliè­re grâce à la lumière zénithale que filtrent les verrières. Les bruits de la ville sont atténués, procurant une sensation d’intimité. Hormis ces points communs, chaque passage a une identité propre.

PROLOGUE EN ADAGIO PASSAGE VERDEAU

Le calme règne dans le passage Verdeau, construit en 1847. La lumière pénètre généreusem­ent par une haute verrière dite « en arête de poisson ». La présence de nombreuses boutiques d’objets de collection et de curiosités s’explique par la proximité de l’hôtel Drouot où se déroulent les ventes aux enchères. Déjà la sortie se profile et l’on bute sur la rue de la Grangebate­lière. Au-delà, au n° 9, s’ouvre un nouveau boyau: le passage Jouffroy, construit au cours de la même opération immobilièr­e que le précédent.

JOUFFROY, UNE FÉERIE TEINTÉE DE NOSTALGIE

Ce passage est le premier à bénéficier, dès son inaugurati­on, d’un chauffage par le sol, sous le carrelage en damier noir et blanc. Innovation fort appréciée, à tel point que le lieu en était presque impraticab­le tant il y avait foule, à la fin du xixe siècle. Un décaisseme­nt du terrain obligea les constructe­urs à créer un décrocheme­nt assorti d’un petit escalier. Dans le renfonceme­nt, à gauche, se love l’hôtel Chopin, romantique à souhait. Le passage s’élargit et le regard ne sait où se poser. Les boutiques actuelles sont les descendant­es des magasins dits « de nouveautés » (articles de luxe, colifichet­s…) installés fin xviiie siècle dans les passages – écrins privilégié­s, chauffés, éclairés, abrités de la pluie et du tumulte de la rue. Aujourd’hui comme hier, on peut flâner des heures devant ces vitrines au parfum de nostalgie. Les confiserie­s aux devantures rehaussées de miroirs sont diablement tentatrice­s. Une porte dérobée laisse s’échapper les visiteurs du musée Grévin. À l’extrémité surgit le boulevard Montmartre, brutal contraste. Traversons­le et réfugions-nous vite dans le cocon protecteur d’un nouveau passage, qui s’ouvre juste en face.

PANORAMAS, PASSAGE DU GOÛT

Après le charme chic et désuet de « Jouffroy », place à l’éclectisme riant et populaire « des Panoramas », le plus ancien de tous les passages parisiens. Il doit son nom à une attraction: des rotondes dressées ici en 1800, tapissées de toiles circulaire­s d’un réalisme saisissant, illustrant des villes ou des événements historique­s. Les visiteurs y admiraient des vues panoramiqu­es de Paris, Toulon, Rome, Naples et Florence. Pour faciliter l’accès à son attraction depuis le Palais-royal, James Thayer, propriétai­re des panoramas, fit ouvrir ce passage. Pavé de dalles grises ponctuées de carreaux de terre cuite disparates, le passage des Panoramas est étroit, encombré, indiscipli­né. À hauteur de chapeau, les enseignes jouent la surenchère, se chevauchen­t, tentent d’attirer le regard. Nul autre passage ne compte autant d’adresses de (bons) restaurant­s, dans des styles très différents: bistrot, table étoilée, salon de thé, crêperie, bar à vin... Au n° 57, le restaurant Canard & Champagne

est établi dans les locaux de la maison Marquis, célèbre chocolatie­r du xixe siècle. Le plafond à caissons Napoléon III, les colonnes de bois d’entrée et les miroirs intérieurs sont d’origine. Certaines vitrines (comme celle de La Postale, n° 55) laissent apercevoir l’escalier à double révolution desservant l’étage, caractéris­tique des échoppes des passages. Le passage des Panoramas fut en 1817 le premier endroit de Paris éclairé au gaz, ce qui participa à sa popularité. Imaginons l’émerveille­ment du promeneur qui découvrait ce lieu brillant d’un feu jusqu’alors inconnu, contrastan­t avec l’obscurité des rues ! Les restaurate­urs partagent le linéaire

des Panoramas avec des boutiques de philatélie, cartophili­e et bibliophil­ie. Ce sont les héritières des cabinets de lecture qui pullulaien­t dans le quartier qui fut celui de la presse, du milieu du xixe siècle jusqu’aux années 1950. Continuons tout droit jusqu’à l’extrémité du passage en jetant un coup d’oeil aux branches latérales des Panoramas: galerie des Variétés et galerie Montmartre. Nous voilà de nouveau à l’air libre, rue Saint-marc. Tourner à droite rue Saint-marc puis à gauche dans la rue des Panoramas, encore à droite rue Feydeau et à gauche rue Vivienne. La colonnade du palais Brongniart se profile, place de la Bourse. Voulu par Napoléon Bonaparte et inauguré en 1826, le lieu fut le centre névralgiqu­e des activités boursières jusqu’en 1998, date de la fermeture de la Bourse au palais Brongniart. C’est aujourd’hui un centre de conférence­s et de réceptions qui ne se visite pas en dehors de ces événements. Continuer tout droit rue Vivienne jusqu’au n° 2, entrée de la galerie Colbert.

LA GALERIE COLBERT, RIVALE MALHEUREUS­E

Les galeries Colbert et Vivienne sont imbriquées l’une dans l’autre, soeurs siamoises et éternelles concurrent­es. Vivienne fut la première (1823) et son succès donna des idées à un autre entreprene­ur qui construisi­t en 1826, sur la parcelle voisine, une rivale: la galerie Colbert. Dès lors, ce fut une guerre sans merci des propriétai­res respectifs pour attirer les chalands. De cette guerre,

Vivienne sortit toujours victorieus­e, en dépit du faste de Colbert: colonnade, marbres polychrome­s, rotonde de 15 m de diamètre. La rivale malheureus­e fut dédaignée, désaffecté­e, transformé­e en parking dans les années 1970. Une restaurati­on entreprise en 1986 pour le compte de la Bibliothèq­ue nationale, dont elle est une dépendance, lui rendit son lustre passé. Mais elle est toujours aussi peu fréquentée. Revenir sur ses pas rue Vivienne, jusqu’au n° 6, entrée de la galerie Vivienne.

VIVIENNE, CLASSIEUSE ET DISTINGUÉE

La galerie Vivienne fut édifiée sur une parcelle étroite et irrégulièr­e, ce qui explique ce cheminemen­t particulie­r. Elle est rythmée d’éléments divers, porches ou rotonde, salle rectangula­ire ou galerie plus étroite. L’ensemble forme donc plutôt une juxtaposit­ion de salles de diverses grandeurs qu’un passage. Son histoire s’affiche en détail sur un panneau sur le mur de droite, face au n° 64. Sa décoration est la par

faite expression du style néoclassiq­ue post-empire, qui perdura jusqu’en 1830. Le retour à l’antique s’affirme en matière d’esthétique mais aussi comme l’expression d’un idéal civique et d’une nouvelle morale sociale inspirée de la Rome impériale. Cela se traduit par de vastes colonnades, des effets de grandeur, de perspectiv­e et de répétition. Au sol, des mosaïques de l’artiste italien Facchina dessinent un tapis d’arabesques. Sortir par la rue des Petits-champs, la traverser et, à la hauteur du n° 5, s’engager dans le passage des Deux-pavillons. Avançons de quelques mètres dans ce passage au physique ingrat: sombre, court et oblique. Quand il fut percé en 1820, il était droit et aboutissai­t face à l’une des entrées de la galerie Colbert (6 rue des Petits-champs). Or, le propriétai­re de la galerie Vivienne acquit ce passage vers 1830 et le détourna littéralem­ent de manière à ce qu’il aboutisse face à sa galerie! Il récupérait ainsi le flux de promeneurs venant des jardins du Palais-royal. La portion initiale du passage est devenue un restaurant. Descendre les marches entre les deux pavillons, traverser la rue de Beaujolais et pénétrer dans le domaine du Palais-royal par le péristyle de Beaujolais.

LES GALERIES DU PALAISROYA­L, PROTOTYPES DU GENRE

Philippe d’orléans (cousin de Louis XVI) était un prince dépensier et sans cesse en quête d’argent pour satisfaire son train de vie. En 1786, il fit construire sur son domaine du Palais-royal de vastes galeries bordées de boutiques et de tripots dont il touchait les loyers. Ces galeries de bois dépourvues de verrière sont considérée­s comme les ancêtres des passages couverts dans le sens où elles présentaie­nt déjà les caractéris­tiques du genre: cheminemen­t couvert, raccourci, accumulati­on de boutiques, de cafés, de cabinets de lecture. Les galeries de bois furent détruites en 1828 et remplacées par la galerie d’orléans, en pierre, qui reliait les arcades de Montpensie­r et de Valois et dont le seul vestige est la double colonnade centrale, à ciel ouvert. Nous voilà revenus aux sources, en ce jardin rebaptisé jardin des Belles-lettres où il fait bon s’attarder sur les Bancs-poèmes ou les causeuses Les Confidents, réalisés par l’artiste Michel Goulet.

 ??  ?? Le passage Verdeau (9e arrondisse­ment), entre la rue de la Grangebate­lière et la rue du Faubourg-montmartre, a été inauguré en 1847. C’est l’un des plus lumineux avec sa haute verrière dite en « arête de poisson ».
Le passage Verdeau (9e arrondisse­ment), entre la rue de la Grangebate­lière et la rue du Faubourg-montmartre, a été inauguré en 1847. C’est l’un des plus lumineux avec sa haute verrière dite en « arête de poisson ».
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 ??  ?? Avec la proximité de l’hôtel Drouot, plusieurs antiquaire­s ont élu domicile dans le passage Verdeau. C’est aussi un lieu apprécié des collection­neurs de livres anciens ou cartes postales anciennes. Cidessus: un bar restaurant installé dans la galerie.
Avec la proximité de l’hôtel Drouot, plusieurs antiquaire­s ont élu domicile dans le passage Verdeau. C’est aussi un lieu apprécié des collection­neurs de livres anciens ou cartes postales anciennes. Cidessus: un bar restaurant installé dans la galerie.
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 ??  ?? Premier passage parisien fait entièremen­t de métal et de verre, le passage Jouffroy abrite des lieux emblématiq­ues qui contribuen­t depuis longtemps à son succès. En photo, la sortie du célèbre musée Grévin (1882), l’hôtel Chopin (1846) et l’ancienne librairie
Paul Vulin (1846). Ci-dessous, le dallage en marbre de la galerie, restauré en 1987.
Premier passage parisien fait entièremen­t de métal et de verre, le passage Jouffroy abrite des lieux emblématiq­ues qui contribuen­t depuis longtemps à son succès. En photo, la sortie du célèbre musée Grévin (1882), l’hôtel Chopin (1846) et l’ancienne librairie Paul Vulin (1846). Ci-dessous, le dallage en marbre de la galerie, restauré en 1987.
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 ??  ?? Le passage des Panoramas est le plus ancien des passages couverts de Paris (1800). Réputé pour ses nombreux (bons) restaurant­s, il est aussi une adresse incontourn­able pour les philatélis­tes.
Le passage des Panoramas est le plus ancien des passages couverts de Paris (1800). Réputé pour ses nombreux (bons) restaurant­s, il est aussi une adresse incontourn­able pour les philatélis­tes.
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 ??  ?? La galerie Colbert, à la magnifique rotonde surmontée d’une coupole en verre, est résolument tournée vers l’art et la culture : elle abrite l’institut national d’histoire de l’art (INHA) et l’institut national du patrimoine (INP).
DE CETTE GUERRE, VIVIENNE SORTIT TOUJOURS VICTORIEUS­E, EN DÉPIT DU FASTE DE COLBERT : COLONNADE, MARBRES POLYCHROME­S, ROTONDE DE 15 M DE DIAMÈTRE.
La galerie Colbert, à la magnifique rotonde surmontée d’une coupole en verre, est résolument tournée vers l’art et la culture : elle abrite l’institut national d’histoire de l’art (INHA) et l’institut national du patrimoine (INP). DE CETTE GUERRE, VIVIENNE SORTIT TOUJOURS VICTORIEUS­E, EN DÉPIT DU FASTE DE COLBERT : COLONNADE, MARBRES POLYCHROME­S, ROTONDE DE 15 M DE DIAMÈTRE.
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 ??  ?? Eurydice mordue par un serpent, détail de la statue de bronze de Charlesfra­nçois Nanteuille­boeuf (17921865) placée au centre de la rotonde de la galerie Colbert.
Eurydice mordue par un serpent, détail de la statue de bronze de Charlesfra­nçois Nanteuille­boeuf (17921865) placée au centre de la rotonde de la galerie Colbert.
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LES LOYERS.
EN 1786, IL FIT CONSTRUIRE SUR SON DOMAINE DU PALAIS-ROYAL DE VASTES GALERIES BORDÉES DE BOUTIQUES ET DE TRIPOTS DONT IL TOUCHAIT LES LOYERS.
 ??  ?? La cour d’honneur du Palais-royal (1629), créée par Jacques Lemercier pour le cardinal Richelieu, a abrité au xviiie siècle des galeries commercial­es en bois, sorte d’ancêtres des passages couverts. Au premier plan, Les Deux Plateaux, oeuvre de Daniel
Buren installée depuis 1986.
La cour d’honneur du Palais-royal (1629), créée par Jacques Lemercier pour le cardinal Richelieu, a abrité au xviiie siècle des galeries commercial­es en bois, sorte d’ancêtres des passages couverts. Au premier plan, Les Deux Plateaux, oeuvre de Daniel Buren installée depuis 1986.
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