ANNIE MAGNE :
LE FROMAGE DU PLATEAU
Elle a pris d’une certaine façon le contre-pied de la tradition millevachoise. Alors que les agriculteurs historiques élèvent les brebis limousines pour la viande, Annie Magne fabrique exclusivement du fromage. « Pour les banquiers, on était des hurluberlus ! » À l’orée du plateau, ses 300 Lacaunes produisent donc 20000 litres de lait par an, transformé en tomes, yaourts, faisselles, caillades et, surtout, en fôtes des bergères, des pièces de
800 à 900 g affinées minimum un mois sur de la paille de Corrèze, que l’on découpe ensuite en cubes. Un délice !
« Cela va du frais au sec, et tous sont au lait cru. » Avec son fils Rémi, formé à la fromagerie, elle vend en supermarchés et en épiceries et écume aussi les marchés locaux, « Ussel le samedi, Le Saillant le mardi, le marché des producteurs de Meymac les mercredis en juillet et en août. J’aime le contact et expliquer ce que je fais », assure cette femme de caractère, voix forte et propos directs. Née dans le monde agricole et formée sur le tas avec son ex-mari agriculteur, Annie Magne pratique l’agriculture raisonnée, sur les presque 100 ha de pâturages de son exploitation.
« On fait nos propres fourrages.
Mes brebis restent là toute l’année, elles sont seulement rentrées le soir car on ne peut pas les traire quand elles sont mouillées. » Indépendante, celle qui ne supportait pas « la mauvaise ambiance entre collègues lorsque je travaillais au
Fromagerie Annie et Rémi
Magne Le Pradinas, 19250 Meymac. 05 55 95 21 09 / 06 70 16 01 67.
lycée forestier de Meymac » garde aussi ses distances avec le milieu agricole et syndical local, « trop attaché à s’occuper des problèmes de la viande, nous n’avons pas les mêmes contraintes ». Son autre grief porte sur le décor naturel qui l’entoure.
« Je déteste les sapins du plateau de Millevaches. Moi, là-haut, j’aime les horizons, j’ai besoin de voir loin. »
Les quelques coupes de sapinières effectuées au bord des routes ces derniers temps ne peuvent que lui donner du baume au coeur.
On n’a pas eu envie de l’interviewer. Juste de l’accompagner dans les recoins de son restaurant, comme si nous étions des amis. Le fox-terrier qui vient s’étendre à vos pieds, l’odeur de mounassou qui monte de la cuisine, le café servi affectueusement entre la cheminée et le comptoir… tout « Chez Françoise » évoque le sentiment d’être « à la maison ». « J’aime le commerce, l’échange avec les gens. Je n’ai pas la cuisine dans la peau ! », jure-t-elle. Et pourtant. Depuis plus de trente ans, ce restaurant est l’étape culinaire inévitable de Meymac. De celles où l’on est capable de faire 50 km de plus sur la route des vacances pour s’attabler devant une assiette de tourtous ou de farce dure. Ou devant le mounassou, cette spécialité à base de pommes de terre à cru dont le goût et le fumet vous poursuivent longtemps après le dîner. Car Françoise a un secret… sa mère. À presque 80 ans, Monique Bleu, ancienne crémière-traiteur, femme généreuse au sourire éclatant, s’occupe encore chaque matin de préparer les tourtous, ces succulentes galettes de sarrasin à pâte levée. « Pour la remplacer, il faudrait trois personnes, ce ne serait pas rentable ! »
Ainsi va le duo : Françoise à l’accueil, au service, à la boutique, à la cuisine – un peu – ou derrière un chaudron, touillant des confitures de myrtilles, gratte-cul, coings… Monique aux tourtous, ou surveillant ses pommes de terre. Et un cuisinier affairé à rôtir au four un veau aux girolles. Françoise, pendant ce temps, peut s’occuper de la boutique, qui embaume le fromage.
« Je suis une apôtre du local et ne travaille qu’avec des fournisseurs installés de longue date. Le bio? Pfff… », balaye-telle, comme si ses produits de terroir ne l’étaient pas déjà par défaut depuis longtemps. Son truc à elle, c’est aussi le vin. Ah, ce vin de Bordeaux dont les propriétaires issus de Meymac faisaient commerce! Une histoire retentissante née au xixe siècle. Elle a vu nombre d’habitants du secteur devenir négociants, et même acheter des propriétés en Bordelais. Certaines familles les possèdent encore. La cave de Françoise poursuit l’oeuvre entamée par sa mère à la crémerie, première collectionneuse de grands crus. « Les propriétaires du Château Pétrus, les Moueix, sont d’origine corrézienne. Beaucoup de pomerols et de saint-émilion proviennent de domaines aux mains de familles de la région, les Chabut-janoueix, Audy-bourotte... J’ai aussi un faible pour les saint-julien. » Chaque année en août, pour la foire artisanale, négociants et propriétaires d’origine corrézienne viennent à Meymac pour le célèbre « casse-croûte de Françoise », servi dans la rue. Anonymes ou célèbres, tous adhèrent à son concept de cuisine résolument terroir.