CÉRAMIQUE, L’AVENTURE ÉPIQUE
La porcelaine a façonné l’histoire de la ville et continue de l’alimenter.
Un four immense, capable de cuire 15000 pièces en une seule fournée. C’est la vision surprenante qu’ont les visiteurs en pénétrant dans cette ancienne manufacture de porcelaine du xixe siècle, conservée en l’état près des bords de Vienne. La tour ronde en briques réfractaires, classée monument historique, grimpe jusqu’au toit. Elle trône au centre d’un atelier à arches de pierre et au sol couvert de gazettes, ces anciens étuis de cuisson vitrifiés par des milliers d’heures à 1300 °C. Au tournant du xxe siècle, le four à charbon a remplacé le four à bois, carburant originel de ces chaudières qui crachaient leurs fumées dans le ciel limougeaud. « Il fallait deux jours pour entasser les milliers de pièces. Puis 30 à 50 heures de chauffe, 40 heures de cuisson et 50 à 100 heures de refroidissement. Restaient encore deux jours de travail pour retirer les porcelaines cuites », rappelle Thomas Hirat, en charge du musée du four des Casseaux, lieu piloté par l’association Espace Porcelaine animée par d’anciens industriels soucieux de valoriser l’histoire de cette production. Mais pourquoi l’activité s’est-elle retrouvée subitement sous les feux de la rampe à Limoges ?
LE GISEMENT DE KAOLIN ET L’ÈRE DES CASSEAUX
« Il existe trois raisons à son déploiement: la découverte de gisements de kaolin au xviiie siècle, l’énorme réservoir de main-d’oeuvre disponible et la tradition de flottement de bois sur la Vienne », résume Thomas Hirat. Le kaolin, d’abord. Cette argile blanche dont les Chinois maîtrisent l’usage depuis des siècles est découverte au début des années 1760 à Saint-yrieixla-perche. Sans cet « or blanc », impossible de fabriquer de la porcelaine. « Louis XV en fait une affaire d’honneur. Il voit immédiatement dans cette découverte le moyen de concurrencer la porcelaine allemande de Meissen et donc l’empire germanique », explique Thomas Hirat. Pour l’extraction du kaolin et la fabrication de céramique, il faut de la main-d’oeuvre. Cela tombe bien, le Limousin est à l’époque une des régions les plus pauvres de France. Les bras paysans ne demandent qu’à s’employer. « Une famille, les Alluaud, va investir dans des concessions de kaolin puis construire cette première usine de
faut ajouter les blanchisseuses, qui lavaient le linge dans la Vienne, en aval du ramier.
Tout va progressivement changer au milieu du xviiie siècle, avec l’apparition du charbon. « Il arrive par le rail. Du coup, la plupart des manufactures se relocalisent dans le centre autour de la gare de Montjovis et délaissent les Casseaux. » L’usine Alluaud y reste. Elle emploiera jusqu’à 1800 personnes en 1900 et le four ne s’éteindra qu’en 1957. À côté du musée, l’atelier de Royal Limoges est l’ultime témoignage de l’activité porcelainière aux Casseaux.
LIMOGES, PORTÉE PAR LA PORCELAINE
Pour le reste, le tournant du xxe siècle marque l’âge d’or de l’activité, « avec 40 à 50 usines entre 1880 et 1910 et plus de 11000 ouvriers ». C’est l’époque où prospèrent les grands noms de la porcelaine, Bernardaud (fondé en 1863), Haviland (créé en 1842 par un négociant américain, David Haviland) et même Legrand, aujourd’hui un des leaders mondiaux des infrastructures électriques, dont le siège est à Limoges. « Legrand démarre en 1904 par le rachat d’une manufacture de porcelaine fondée en 1865 par deux frères, anciens marchands de bois des Casseaux. En 1919, l’entreprise se diversifie dans l’appareillage électrique pour répondre aux besoins d’équipement du pays, car la porcelaine est un excellent isolant. Après l’incendie de l’usine en 1949, Legrand abandonne les arts de la table et se concentre sur le matériel électrique. Elle produira des pièces en porcelaine jusqu’en 1980 », raconte Thomas Hirat. L’âge d’or, en favorisant l’accroissement économique et démographique de la cité, sera une des raisons de la construction de la nouvelle gare, inaugurée en 1929. L’argile blanche aura ainsi donné son phare à la ville.
« Le meilleur endroit pour voir le feu d’artifice du 14 juillet ! », sourit Jean-michel Debernard. D’étage en étage – il y en a 13 – on franchit des pièces quasi vides pour rejoindre l’horloge aux quatre cadrans, de 4 mètres de diamètre, avec des aiguilles de 2,40 m et 1,80 m! « Quand l’une s’arrête, les Limougeauds nous le signalent tout de suite. » Le campanile a connu des moments d’histoire forts. À la libération de la ville, en 1944, c’est à son sommet que l’on fait flotter le drapeau français. « Et après que le CSP Limoges, le club de basket de la ville, a été sacré champion d’europe en 1993, le portrait de sa star, Richard Dacoury a été déroulé le long du campanile. » L’incendie de la gare en 1998 attirera le peuple limougeaud, inquiet et ému par ce drame. Celle qui est entrée dans certains classements dans le top 10 des plus belles gares du monde – aux côtés de Londres St-pancras, New York Central ou Mumbai – entretient sa légende.