Saint-gilles-croix-de-vie
À bord d’un sardinier
4 heures 30 du matin. Il fait nuit noire lorsque le Bozo et le P’tit Lou quittent le port de Saint-gilles-croix-devie. À bord du Bozo, Gaëtan Jaulin, alias « Zinzin », pêche la sardine depuis qu’il a eu 15 ans. Comme son père et son grand-père le faisaient avant lui. Deux hommes d’équipage l’accompagnent. Le bateau voisin est essentiel: cette pêche se pratique en tandem et chacun tracte une extrémité du chalut. Cela se passe au lever du soleil, car c’est à cette heure que les bancs remontent à la surface pour se nourrir. « Il y a la sardine fraîche et la sardine glacée. Nous, nous faisons dans la fraîche: une sardine côtière, de saison (entre avril et octobre-novembre, ndlr), pêchée, vendue et consommée dans la journée. La glacée est prélevée dans les grands fonds, toute l’année, par de gros bateaux qui retirent 10 tonnes, quand nous, nous en prélevons 2 ! À côté, nous sommes des baladins… Bien sûr, nos produits n’ont pas la même saveur. C’est en été que le poisson prend sa matière grasse, et donc son goût. »
À Saint-gilles-croix-de-vie, la pêche à la sardine est pratiquée depuis quatre siècles. Juste reconnaissance, en 2018, cette activité a été inscrite à l’inventaire du Patrimoine culturel immatériel de la France. Pour Gaëtan Jaulin, c’est surtout le métier d’une vie. Nous avons embarqué à bord de son bateau, le Bozo, pour une matinée poissonneuse…
UNE MYRIADE DE POISSONS D’ARGENT
Après une grosse demi-heure de mer, les deux sardiniers arrivent sur zone. La traque peut commencer. Gaëtan a l’oeil rivé sur son sonar. Les minutes filent. Rien… Voilà qu’enfin, une tache rouge apparaît sur l’écran bleu ! Un joli banc de sardines, que n’ont pas mangées les marsouins ou qui n’ont pas été dispersées. Le P’tit Lou doit se rapprocher du Bozo. Tendre le chalut de 150 mètres entre les deux bateaux est une opération délicate. « Par mauvais temps, un coup de roulis et on peut passer par-dessus bord. Sans compter qu’une main peut toujours être accrochée quand on remonte le chalut. » Le sondeur indique que le banc est là, à 10 mètres de profondeur. Les deux bateaux progressent parallèlement. Le soleil se lève tout juste, lorsque le Bozo hisse le chalut à bord. Le filet,
gonflé, semble près de l’explosion. Puis il libère une myriade de poissons d’argent, tout frétillants. Aussitôt, les deux matelots trient la moisson, rejetant en mer les anchois et les capelans. Des nuées de mouettes en font leur déjeuner dans l’aube naissante. À bord du P’tit Lou, qui a récupéré le contenu de l’autre moitié du chalut, l’équipage s’attelle à la même tâche. Bien sûr, les bénéfices seront répartis de façon équitable après la vente. Pour l’heure, il faut tenter une seconde prise, et rentrer au port le plus vite possible. Un seul objectif: livrer la pêche à la criée bien avant midi. « Certains camions, en effet, doivent quitter Saint-gilles dès 10 heures pour approvisionner le marché de Rungis, en région parisienne. Il arrive que les mareyeurs nous appellent dès 7 heures, alors que nous nous trouvons encore en mer, pour savoir où nous en sommes ! »
À LA CRIÉE
Tandis que le Bozo fait cap sur le port, les sardines sont triées selon leur taille, et plongées dans des cuves d’eau de mer glacée. « Il faut que nous rapportions de la qualité, c’est-à-dire un poisson pas abîmé, avec toutes ses écailles… Notre cargaison est tellement fragile. » Au port, les mareyeurs et les poissonniers de la région attendent. Les ventes, qui s’effectuent au fur et à mesure de l’arrivée des bateaux, ne durent que quelques minutes, à peine. Un coup d’oeil rapide aux cagettes où est stockée la pêche, et les acheteurs peuvent estimer sa valeur. Ce qui n’est pas parti sur le carreau est envoyé à la conserverie locale Gendreau, qu’approvisionnent les bateaux à fort tonnage. « Le port de Saint-gillescroix-de-vie représente 2 000 tonnes de sardines par an, environ. Un quart est vendu à la fraîche, l’autre partant chez Gendreau », renseigne David Blanconnier, le directeur de la Société d’économie mixte qui gère la criée.
UNE AFFAIRE DE PLAISIR
Depuis 2015, Gaëtan Jaulin vend aussi une partie de sa production en direct à la cale, au grand bonheur des vacanciers. La sardine est une affaire de plaisir! Pour notre pêcheur, aussi. « C’est un poisson que l’on prend à la belle saison. À cette période, nous partons donc en mer tous les jours. Alors qu’en hiver, les jours où nous pouvons sortir sont rares. Nous n’allons jamais au même endroit : parfois devant les Sables, parfois vers l’île d’yeu, parfois près du port. Avant tout, c’est un métier de traque, et c’est ce que j’aime. Il y a une excitation à devoir trouver du poisson le plus vite possible, avant midi. » Une fois la pêche vendue ou saumurée, le travail ne s’arrête pas. « Il y a toujours quelque chose à réparer: le chalut, la mécanique… » Lorsque la saison de la sardine est terminée, les patrons de bateaux « divorcent », selon l’expression. Ils partent, seuls cette fois, capturer l’encornet, la seiche, le merlan, le bar… avant de « se remarier » en avril, pour des noces atlantiques.