LA ROCHELLE
Ses élégantes façades en pierre blonde et ses enfilades d’arcades lui donnent des airs de belle bourgeoise casanière. Ce serait oublier que La Rochelle a toujours regardé vers le large. Hier, la Hanse, le Québec, les Antilles… Aujourd’hui ? Le monde entier. Vigie sur l’atlantique, La Rochelle reste plus que jamais une cité cosmopolite et un port ouvert sur les autres. Visite sur les traces de ceux qui ont fait de la « ville blanche » la fille des mers.
Une forêt de mâts en plein coeur. Visiter La Rochelle, c’est faire l’expérience d’une ville totalement marine, qui accueille les bateaux en son sein. Ici, le Vieux-port est enchâssé dans la cité et les monuments ont les pieds dans l’eau : les tours Saint-nicolas et de la Chaîne qui en gardent l’accès, le phare du quai Valin encastré dans une maison au toit mansardé au bord du bassin à flot, le phare du Bout du Monde au large des Minimes… La Rochelle compte non pas un, mais plusieurs ports : le Vieux-port pour la carte postale, les Minimes pour la plaisance (avec près de 5 000 anneaux, c’est l’un des plus grands d’europe), La Pallice pour le commerce (numéro 1 en Europe pour l’importation de grumes), Chef de Baie pour la pêche. Chaque année, le Grand Pavois rassemble tous les acteurs économiques du monde nautique au niveau international. La Rochelle est, en outre, le seul port en eaux profondes de la façade Atlantique.
LES PIONNIERS DU NOUVEAU MONDE
Est-ce l’absence de fleuve ou les marais relégués à l’arrière-pays ? La Rochelle a toujours regardé vers le large. La tradition maritime de la ville remonte au Moyen Âge. Bien situé entre la péninsule ibérique et la mer Baltique, le port s’enrichit alors grâce au commerce du vin et du sel d’aunis et de Saintonge. Les navires marchands de la Hanse descendent jusqu’à La Rochelle. À partir de 1530, les bateaux charentais partent pêcher la morue à Terre-neuve. À la même époque, deux enfants du pays s’élancent sur les flots en direction de l’amérique. Pierre Dugua de Mons et son lieutenant, Samuel de Champlain, colonisent la Nouvelle-france. Le second fondera la ville de Québec, en 1608. Il aurait été baptisé à l’église Saint-sauveur, comme tous ceux qui partaient pour le Canada. À l’intérieur de l’édifice, des plaques honorent les « pionniers du Nouveau Monde », tel ce charpentier rochelais qui signa pour 36 mois en 1659, avant de fonder sur place une famille de 14 enfants !
À L’HEURE CANADIENNE
Des signes de la Belle Province sont visibles un peu partout à La Rochelle. Rue Albert-ier, par exemple. L’ancien couvent de la Providence entretient là,
le souvenir des « filles du roy ». Entre 1663 et 1773, elles y séjournaient avant leur grand voyage. Ces femmes, toutes âgées de 15 à 30 ans, orphelines le plus souvent, étaient envoyées en Nouvellefrance pour procréer, et ainsi coloniser le territoire. À l’époque, la ville vit à l’heure canadienne. Sur les belles maisons Renaissance, on sculpte des têtes d’amérindiens, « hommes sauvages » tels qu’on se les figure alors : yeux perçants, dents acérées. Voyez ces Hurons qui ornent l’arrière de l’hôtel de ville ou encore celle de la maison Pillaud, à l’angle des rues du Temple et de la Grosse-horloge… L’expédition est périlleuse, comme le montrent les superbes ex-voto peints de la chapelle des Marins, sise dans la cathédrale Saintlouis. De 1630 à 1760, La Rochelle assure la moitié du trafic avec la colonie nord-américaine. Rue de la Ferté, la façade d’un ancien magasin de munitions porte encore l’inscription « Aux plombs du Canada 1756 ». Et c’est un Québécois du XVIIIe siècle, qui a décoré la cour de l’hôtel de la Bourse avec des poupes de navires. L’argent afflue alors dans la cité de Charentemaritime, premier port colonial de France depuis le milieu du XVIIe siècle.
COMMERCE TRIANGULAIRE
S’il fallait une preuve du cosmopolitisme rochelais, il suffit de se rendre rue de l’escale, sans doute la plus élégante de la ville avec ses arcades blanches fleuries de roses trémières. La voie est pavée de pierres de lest, qui proviennent du monde entier : Scandinavie, Canada, Sénégal, Cornouailles… Après la perte, en 1763,
SUR LES BELLES MAISONS RENAISSANCE, ON SCULPTE DES TÊTES D’AMÉRINDIENS, « HOMMES SAUVAGES » TELS QU’ON SE LES FIGURE ALORS : YEUX PERÇANTS ET DENTS ACÉRÉES.
du Canada et de son lucratif négoce de fourrures, La Rochelle se tourne vers le commerce triangulaire : sucre, verroterie, armes et… esclaves. C’est le second port négrier de France, après Nantes et devant Bordeaux. Il a été dénombré 427 expéditions négrières partant pour les colonies de l’amérique, Saint-domingue principalement. Le musée du Nouveau Monde retrace, de façon brillante, cette période. Depuis 1982, il loge dans l’hôtel de Fleuriau, du nom d’aimébenjamin Fleuriau qui fit fortune dans les plantations de cannes à sucre, près de Port-au-prince. Sous les dorures et les lustres, la terrible Histoire de l’esclavage est montrée : fers de cale, fouet en nerf de rhinocéros, pendule dite « au nègre »… Dans la cour du musée, le sculpteur sénégalais Ousmane Sow a représenté Toussaint
Louverture, le héros de Saintdomingue (Haïti). Le jour de notre visite, à l’accueil du musée, un couple de Québécois demande où il peut poursuivre ses recherches généalogiques. C’est loin d’être un cas isolé. On lui indique le chemin des Archives départementales. Dans la préfecture charentaise-maritime, on recense une cinquantaine de lieux évocateurs du Québec. Un parcours touristique d’une
heure et demie permet d’en découvrir une quinzaine en centre-ville. Coïncidence, les villes de Québec et de La Rochelle sont toutes deux situées sur le 46e parallèle Nord…
PLACE AUX EXPLORATEURS
À deux pas de la place de Verdun, le Muséum d’histoire naturelle prolonge l’invitation au voyage. Cette fois, place aux explorateurs! Le cabinet de curiosités de Clément Lafaille, Rochelais du siècle des Lumières, traduit l’engouement des érudits de la région pour les sciences. Sa collection de coquillages est présentée dans son ravissant meuble d’origine. Autour de ce noyau, le musée présente des pièces plus incroyables encore, rapportées de leurs périples par des aventuriers régionaux. Parmi elles : naturalisée, la girafe offerte par le pacha d’égypte au roi de France Charlesx – elle fut, en son temps, la vedette du Jardin des plantes à Paris. Voici la superbe salle zoologique, où se côtoient papillons d’amazonie, condor des Andes, oryx, gorilles, yacks et bisons. Les voyageurs du xixe siècle ont confié des têtes réduites Jivaro, des coiffes ethniques du Mato Grosso, des tambours géants du Vanuatu… Le monde entier est exposé sous nos yeux, grâce à ces pionniers qu’il faut citer: le botaniste Aimé Bonpland qui accompagna le savant Humboldt, rencontra Jefferson et fut le jardinier de l’impératrice Joséphine ; le naturaliste
Alcide d’orbigny, dont Charles Darwin jugea l’oeuvre comme un « monument de la science du xixe siècle » ; ou bien encore le commandant Jean-charlesemmanuel Briaud, qui explora le Cameroun et le Congo à partir de 1902… On peut rêver à ces voyages d’une autre époque en déambulant dans l’agréable jardin du Muséum, sous l’oeil d’un totem pacifique.
UNE VILLE DE REMPARTS, OUVERTE SUR LE MONDE
Le temps des grandes découvertes est révolu. Pour autant, La Rochelle n’a pas perdu son esprit de curiosité et d’ouverture. Rue des Augustins, la maison Henri II, dont on admire la belle galerie d’apparat Renaissance, abrite le centre Intermondes, cofondé par le philosophe Paul Virilio. Depuis 2004, près de 400 artistes de 35 nationalités différentes ont été accueillis en résidence. « Comme disait Paul Virilio, nous ne sommes pas au bout du monde, nous sommes au bord du monde, sourit Édouard Mornaud, le directeur. Notre but est de soutenir la jeune création émergente, à raison de trente artistes par an. » À l’étage, une plasticienne philippine côtoie un auteur congolais, ainsi qu’une autrice et metteuse en scène martiniquaise, Françoise Dô. Celle-ci découvre La Rochelle, à la fois « ville de remparts et ouverte sur le monde : une ville-paradoxe, en somme ».
Elle apprécie le luxe de « ce temps de repli et de ce temps pour créer », que lui offre le centre Intermondes.
AU RENDEZ-VOUS DE L’AVENTURE
En a-t-on jamais fini avec les voyages à La Rochelle ? En novembre, tout ce que l’aventure compte d’écrivains, de vidéastes et de « têtes brûlées » prend date pour un événement dépaysant et requinquant. Stéphane
Frémond a fondé, en 2003, le festival international du Film et du Livre d’aventure, et préside à sa destinée. « Les aventuriers ont changé. Aujourd’hui, ce sont des sentinelles de l’environnement, des lanceurs d’alerte. Leur rôle consiste à nous interpeller, à nous émouvoir, à nous faire réfléchir. Mais la grande aventure existe toujours : elle est représentée par les grands marins, les alpinistes, les explorateurs polaires… » Le Rochelais sait tout ce que l’aventure doit à sa ville. « La Rochelle est un port, une fenêtre sur le monde. C’est sans doute pour cela que nous avons une grande tradition d’aventurier : le wanderer naturaliste Aimé Bonpland, hier ; ou plus près de nous, les grands de la course au large.
Gérard Janichon, à bord de Damien, est parti de La Rochelle pour faire son tour du monde à la voile de 1969 à 1973. Le Joshua de Bernard Moitessier est souvent visible, arrimé à l’un des pontons du Musée maritime. Avec le Notre-damedes-flots, un ketch qui pêchait en mer du Nord, c’est l’un de nos monuments! Quant à Isabelle Autissier, elle est notre gardienne du temple. Elle incarne les valeurs d’authenticité et de sincérité. » De l’aveu de son directeur, le festival gagne un public chaque année de plus en plus large et de plus en plus averti. Des vocations naissent à l’espace Encan, l’ancienne criée située sur le quai Louis-prunier. Rendez-vous est pris pour le mois de novembre.