Les secrets de l’île de Ré
On croit connaître « Ré la Blanche », ses villages chics, ses marais salants que l’on parcourt sans fin, ses plages de carte postale. Mais il existe une île plus secrète, hors des sentiers (re)battus, que l’on prend plaisir à découvrir loin des foules estivales. Il faut bien deux journées entières pour goûter à tous ses charmes. À vélo, bien sûr…
JOUR 1 10 HEURES, DÉCOUVERTE DU FORT LA PRÉE
Bien sûr, il faut visiter les fortifications Vauban de Saint-martin-de-ré, inscrites depuis 2008 au patrimoine mondial par l’unesco. On aurait tort, toutefois, de délaisser ce fort voulu par Louis XIII, pour défendre l’île et contrôler l’estuaire charentais. C’est qu’il fallait reconquérir La Rochelle, alors protestante… Il fut bâti rapidement, grâce aux pierres de l’abbaye cistercienne des Châteliers, dont on admire les ruines romantiques à moins d’1 kilomètre. La forme d’étoile à quatre branches de La Prée ne doit rien à Vauban. Lui qui jugea sévèrement ce « fort d’opérette » et le remania, en détruisant plus qu’en ne construisant. Pourtant, sa faiblesse fit également sa force puisqu’en 1627, les Anglais le négligèrent lors du siège de Saint-martin-de-ré. Funeste oubli: les renforts français purent débarquer sur l’île et prendre à revers les troupes du duc de Buckingham. Un an plus tard, La Rochelle rendait les armes… Ce petit fort, d’où l’on admire un si beau panorama sur le Pertuis breton, fut donc la clé d’un événement majeur de l’histoire de France.
12 HEURES, AU MARCHÉ DE LA FLOTTE
Ce n’est pas le plus chic de l’île de Ré, mais c’est à coup sûr le plus étonnant ! Le marché de La Flotte semble sorti du Moyen Âge avec sa petite place pavée, entourée d’étals colorés, protégés de la pluie par une galerie de bois. Tous les jours de l’année, on s’y ravitaille en produits locaux, fruits, légumes, sel marin et huîtres, sans oublier le pineau. On y rencontre un vendeur de confitures de pommes de terre et même un placier sympathique, qui connaît les camelots depuis toujours. Un marché vivant et authentique.
15 HEURES, AVEC LES ÂNES DU PARC DE LA BARBETTE
On les voit souvent brouter l’herbe des fossés, au pied des fortifications de Saint-martin-de-ré. Les bardanes qui leur collent aux poils leur font des tresses pareilles à des dreadlocks rastas ! Tout Rétais ou vacancier en culotte courte a déjà fait un tour sur le dos d’un de ces ânes. Régis Léau en possède une cinquantaine. Parmi eux, une trentaine de baudets du Poitou, pour préserver la race – il ne resterait que 300 spécimens. Il produit aussi du lait d’ânesse (vendu à la savonnerie de Loix). Surtout, il divertit les enfants.
Ses bêtes ont une particularité rétaise : ils portent la culotte! « En 1860, une femme d’ars a eu l’idée d’habiller son âne pour le protéger des mouches, très agressives en bord de mer. L’animal, attelé pour transporter le sel, ne pouvait pas se rouler par terre afin de s’en débarrasser. Bientôt, tout le monde s’est mis à vêtir son baudet d’une toile à matelas. La tradition s’était perdue, mais mon père l’a relancée en 1988, lors d’une kermesse », raconte Régis Léau. Ses ânes en pantalon, dits « guenillous », attendent les enfants au parc de la Barbette. 3 € la balade. Entrée du port, 17410 Saintmartin-de-ré. ane-en-culotte.com
17 HEURES, EN CANOË DANS LE FIER D’ARS
L’île de Ré dévoile ses plus belles ambiances, tôt le matin ou en fin de journée. C’est alors qu’il faut s’enfoncer en canoë dans le Fier d’ars. Cette baie de 800 hectares est presque fermée, ce qui la protège de la houle marine. On glisse donc sans effort, ou presque, parmi des chenaux bordés de salicorne. On dérange une spatule blanche, une volée de courlis s’égaille dans le ciel. L’avifaune observée ici (plus de 300 espèces d’oiseaux) nous rappelle que l’île est située sur l’une des principales voies de migration d’europe. La réserve naturelle nationale de Lilleau des Niges a été créée en 1980, pour protéger les milieux favorables à la nidification et à l’hivernage
des volatiles. Pagayer dans ce paysage horizontal, perdu entre ciel et mer, c’est aussi remarquer l’empreinte de l’homme. Les marais salants ont été gagnés sur la mer, grâce à des digues construites dès le Moyen Âge. Des pierres de lest sombres, posées sur ces ouvrages, rappellent le commerce du sel. Au loin, on reconnaît le clocher d’ars-en-ré à sa flèche blanche et noire, qui sert d’amer aux marins naviguant dans les pertuis. Par l’ouverture du Fier, on devine les côtes de Vendée. En face, voici la plage de Trousse
Chemise. Quel drôle de nom ! À l’époque où le chenal était moins profond, il fallait relever sa chemise pour traverser, sans la mouiller, le gué de Loix tout près. 25 € la sortie d’1 heure et demie. Canoë Salé. Route d’ars, La Passe, 17111 Loix. 0695085086.
20 HEURES, DÎNER À SAINT-MARTIN
Ce ne sont pas les bonnes tables qui manquent sur le joli port de Saintmartin-de-ré. Sur l’îlot central, le ris de veau braisé aux langoustines est la grande spécialité du bistrot gourmand que nous avons choisi. Le menu, lui, est à 32 €. Les Embruns. 6 passage Chay-morin, 17410 Saint-martin-de-ré. 05 46 66 46 31. lesembruns-iledere.com
JOUR 2
10 HEURES, DANS LES PAS D’UNE GREETER À LOIX
Foin des visites guidées ! Nous préférons suivre Danielle Deshays, qui est greeter à Loix. Cette amoureuse de Ré fait découvrir bénévolement (c’est le principe des greeters) son « île dans l’île » : Loix. « Ré se composait de quatre îles, qui ont fini par se rejoindre et n’en former qu’une seule. Loix fut la dernière à se rattacher, dans le courant du xixe siècle. Une loye, c’est une terre humide… » Danielle Deshays aime définir les lieux par l’étymologie. « La rue des Aires évoque les aires de battage, à l’époque où l’on cultivait des céréales sur les bosses des marais salants… » Au pas du Peulx, on devine d’anciennes écluses à poissons. Elle nous éclaire : « Les Rétais n’étaient pas un peuple de pêcheurs, c’étaient des magayants, des paysans de la mer. » Voici une plage secrète, où les habitués ont coutume de se baigner à marée haute. Une dune bordée d’oyats, du sable fin, une eau aux couleurs changeantes… « On apprécie une certaine douceur, ici. Sans tape-à-l’oeil », lance-t-elle en cueillant une feuille de roquette sauvage. Du côté de la pointe du Grouin, notre guide nous fait sentir une ombellifère : le maceron, « le poivre sauvage de l’île ». Plus loin, c’est le moulin à marée. Plus loin encore, le pont du Feneau, seul point d’accès terrestre à Loix. Les sites ne manquent! Ni les anecdotes, pour évoquer ce petit bout de pays à part de Ré… Pour une balade avec un greeter de Loix-île de Ré, prendre rendez-vous sur : loix.greeters.fr
12 HEURES 30, DÉJEUNER DANS UNE CABANE OSTRÉICOLE AU GROUIN
À l’extrémité de la pointe du Grouin, des tables sont posées au bord de l’eau. Dans les claires d’affinage, Frédéric Voisin élève des crevettes impériales et des huîtres diploïdes. L’activité des premières favorise la production d’une alimentation riche pour les secondes. Plus originale est la carte: tartare d’huîtres au wakamé et aux perles de yuzu, crevettes à la plancha et huîtres chaudes, palourdes en cocotte, panna cotta du marais et son caramel à la salicorne… Un cocktail de vitamines pour une cuisine fraîche, bio, dépaysante, bref convaincante. Compter 30 € le repas. La Cabane du Grouin. 17111 Loix. 06 07 15 09 78.
14 HEURES, RENCONTRE ARTISTIQUE AUX PORTES
Dans sa galerie, les toiles grand format nous séduisent : des mâts qui s’emmêlent, des foules sentimentales, des marines, des marais… Le peintre Olivier Suire Verley est installé aux Portes-en-ré depuis trente ans. Enfant, déjà, il venait sur l’île. « Dans les années 1950 et 1960, Ré était totalement méconnue. On vivait pauvrement, ici; on n’avait ni eau ni électricité. Puis, tout doucement, l’île s’est peuplée et embourgeoisée. Mais aux Portes, on reste loin des gros flux estivaux. L’architecture est très préservée. Vous ne verrez aucun immeuble, aucun front de mer. La nature est intacte. » La nature, justement. C’est elle qui inspire l’artiste: la plage de la Conche lui évoque les dunes de Cape Cod aux États-unis ; pour lui, les marais présentent des « mousses oxydées, mauves, violettes ». « Ma palette, c’est la lumière de Ré. En été, elle est puissante, elle écrase tout, même les couleurs. Mais en juin et septembre, celles-ci remontent. J’aime les lumières rasantes, mais aussi les contre-jours très forts. » Les pinceaux d’olivier Suire Verley, qui fut la doublure mains de Daniel Auteuil, dans le film Dialogue avec mon jardinier de Jean Becker, savent lire les paysages linéaires, subtils, de l’île de Ré. « On est toujours entre terre et mer, et cette fragilité m’émeut. » Atelier Suire Verley. La rivière, 17880 Les-portes-enré. 05 46 29 50 72. suire-verley.com
17 HEURES, PAR LE PETIT BOIS DE TROUSSE CHEMISE
Le village des Portes-en-ré affiche presque des airs grecs avec ses ruelles blanches, bordées de maisons aux volets vert amande. Roses trémières, bougainvilliers et bignonias passent le nez au-dessus des murets, abritant des jardinets qui, pourtant, se voulaient secrets. Sur la place de la Liberté, on pose son vélo pour s’offrir un verre en terrasse. L’été semble ne jamais finir… La balade à bicyclette dans le marais jusqu’à Saintclément est somptueuse, mais bien connue. Poussons vers le petit bois de Trousse Chemise, immortalisé par Charles Aznavour. Les pins maritimes s’ouvrent sur une jolie plage de sable très fin. Dans l’eau, des kitesurfeurs virevoltent en un ballet rafraîchissant. À marée basse, on accède à pied à un
petit paradis éphémère : le banc du Bûcheron, une langue de sable longue de 4 kilomètres qui ne se découvre que quand l’océan se retire. Dans le prolongement, la plage de la Patache permet d’embrasser le Fier d’ars du regard. On ne s’en lasse pas !
21 HEURES, SOLEIL COUCHANT AU PHARE DES BALEINES
En quelques coups de pédale, on gagne la plage de la Conche, où fut tourné Le Jour le plus long de Darryl Zanuck. Le soir tombe. On rejoint le phare des Baleines, à la pointe Ouest du croissant de sable. Il surveille les pertuis grâce à ses feux, parmi les plus puissants de la côte Atlantique. À quelques mètres de là, depuis la vieille tour de Vauban, on assiste au plus beau coucher de soleil de l’île, teintes pastel, à l’image de « Ré la Douce ».