LE PINEAU DES CHARENTES
À la voile dans le pertuis d’antioche
En été, on aime le siroter à l’apéritif, un glaçon pour tout compagnon. Avec sa belle robe paille, il se marie au foie gras, à l’huître de Marennes, au chocolat… Pourtant, le vin de liqueur, produit d’une divine erreur, n’aurait pas dû voir le jour.
UNE DIVINE ERREUR
En 1589, un vigneron charentais aurait, par mégarde, versé du moût de raisin (du jus non encore fermenté) dans un fût contenant de l’eau-de-vie de cognac. Le breuvage aurait vieilli ainsi, plusieurs longs mois en fût de chêne, comme le cognac, donnant naissance au pineau. Les vignerons de Charente et de Charente-maritime, son terroir, n’avaient plus qu’à répéter sciemment l’erreur. Longtemps réservée aux mariages et aux événements locaux, la consommation du pineau s’est étendue à tout le pays et a, depuis longtemps, passé les frontières : Belgique, Canada, États-unis, Chine…
LA FABRICATION
Après récolte, les raisins sont pressurés. Le moût est ensuite muté avec une eau-de-vie de cognac titrant entre 60 et 72°, distillée l’année précédente. Cette phase interrompt la fermentation du moût. Le pineau des Charentes blanc doit vieillir 18 mois au minimum, dont 12 en fût de chêne : c’est à ce moment-là qu’il acquiert les dernières notes aromatiques. À la suite du vieillissement, il doit révéler un degré alcoolique entre 16 et 22°, et une teneur en sucre naturel de 125 g par litre.
LES VIGNES
Entre terre et Océan, le pays du pineau des Charentes bénéficie d’une situation géographique riche en contrastes, avec des hivers doux à forte pluviométrie et des étés ensoleillés, promesses d’une maturation parfaite pour le raisin. Chaque cépage donne au breuvage ses caractéristiques aromatiques. Le pineau
blanc est élaboré principalement à partir de grains ugni blanc (cépage roi du cognac), folle blanche, montils, colombard, sémillon, sauvignon, merlots noir et blanc, cabernets sauvignon et franc, jurançon blanc. Rouge et rosé sont produits à partir des cabernets sauvignon et franc, malbec, merlot noir.
L’APPELLATION
Le pineau des Charentes est issu de l’assemblage de trois quarts de moût de raisin frais et d’un quart d’eau-de-vie de cognac. En 1945, il est le premier vin de liqueur à obtenir une appellation d’origine contrôlée (AOC). L’aire de protection s’étend sur le vignoble du Cognac, et couvre essentiellement la Charente et la Charente-maritime, débordant sur quelques communes de la Dordogne et des Deux-sèvres. Le cahier des charges de L’AOC impose que le moût de raisin et l’eaude-vie de cognac proviennent de la même exploitation.
Depuis le port de La Rochelle, cap sur deux perles du pertuis d’antioche. Le fort Boyard offre son profil télégénique aux caméras du monde entier. Plus discrète est l’île d’aix, même si elle veut bien ouvrir ses chemins délicieux au promeneur gourmand de nature… et de faits anciens. La grande Histoire, en effet, est souvent passée sur ce petit bout de terre.
« Vous avez déjà vu un boyard? » Richard, le capitaine du Columbus, nous tend une pièce de monnaie du célèbre jeu de France 2. Nous venons de quitter le port de La Rochelle et nous passons devant le phare du Bout du Monde, perché sur ses pilotis. Le soleil éclaire les falaises crayeuses, mais notre regard est tendu vers un point à l’horizon: le fort Boyard. «À droite, c’est Ré ; à gauche, Aix ; et en face, Oléron. » Le pertuis d’antioche est houleux ce matin, mais le Columbus en a vu d’autres: il a participé au premier Vendée Globe avant que son skipper, Jean-yves Terlain, ne l’engage au service des océans. D’abord pour WWF puis pour Sea Shepherd, L’ONG de Paul Watson. Le voilier a été de tous les combats contre le massacre des cétacés. À présent, il bat pavillon de L’ONG Bloom, qui sensibilise à la protection des écosystèmes marins.
UN FORT À ÉQUIDISTANCE D’AIX ET D’OLÉRON
Le Columbus se couche sur les flots gris vert, tandis que nous approchons du fort Boyard, qui semble surgir du petit écran. Le générique de l’émission retentirait, qu’on ne serait pas étonné ! Le bâtiment en impose, vaisseau minéral plongé dans l’eau, même si l’île d’oléron n’est qu’à un jet de pierre. Le fort est imaginé dès le règne de Louis XIV, mais sa construction ne sera entreprise qu’au xixe siècle. L’objectif, alors, est de protéger l’arsenal de Rochefort des assauts des Anglais, la portée des canons postés sur Aix et Oléron étant trop faible pour atteindre l’ennemi venu de la mer. Posté à équidistance des deux îles, l’ouvrage, bardé d’engins à feu, doit remédier
au problème. Il est à peine terminé que l’artillerie améliore son potentiel : les canons à grande portée d’aix et d’oléron croisent leurs tirs sans problème. Logiquement, fort Boyard est devenu obsolète. Un temps prison, il sert aujourd’hui de terrain d’aventure aux candidats de la célèbre émission qui porte son nom. En virant de bord, on voit très distinctement la vigie du père Fouras, la catapulte et la passerelle de saut à l’élastique. Hélas, impossible d’accéder à l’édifice! Grandvoile, génois et trinquette ne sont pas de trop pour rentrer à La Rochelle, dont le port est annoncé par ses tours.
À VÉLO, SUR LES SENTIERS D’AIX
C’est un autre bateau, plus modeste, qui nous emmène le lendemain sur l’île d’aix. Après vingt minutes de traversée, nous débarquons sur ce petit croissant de 3 kilomètres de long sur 600 mètres de large. Drôle de petite terre, sauvage et
fortifiée à la fois à la fois, ouverte et cadenassée. Pensée comme la clé de voûte de la ceinture de fer protégeant Rochefort et son arsenal, Aix fut largement fortifiée. À la pointe Sud, le fort de la Rade ne résista pas longtemps à l’attaque anglaise de 1757, au cours de laquelle l’île fut entièrement pillée. Au nord, le fort Liédot, décidé en 1808 par Napoléon Ier, pouvait accueillir une garnison de plus de 500 hommes. Dans les faits, il servit surtout de prison, notamment pour les Communards et pour Ben Bella qui, plus tard, deviendra le premier président de la République d’algérie. Sur la côte Ouest, une série de batteries du xviiie siècle guettent au large un ennemi invisible. Malgré toutes ses constructions militaires, Aix n’a rien d’une caserne ! C’est à vélo qu’il faut partir sur ses chemins. Hors saison (oubliez juillet et août), on y est seul ou presque. Voici la jolie plage aux Coquillages, gardée par un carrelet au bout de son estacade. Plus loin, la pointe de Coudepont signale le début d’une côte découpée, quasi méditerranéenne avec ses arbousiers, ses pins et ses chênes verts tortueux. La pointe Saint-éluard égrène ses plateaux rocheux, avec La Rochelle en ligne de mire. À l’intérieur des terres, on découvre un paysage apaisant de petits prés, ponctués de cyprès. À vélo, les côtes ne font pas mal aux mollets! Côté rivages, la Grande-plage séduit, mais c’est l’anse de la Croix que l’on préfère. Sur cette jolie demi-lune de sable encaissée entre les rochers, sous l’oeil des deux phares rouges et blancs, les enfants reproduisent en pâtés de sable le fort Boyard qu’ils aperçoivent au large…
LES AIXOIS, DES HABITANTS À PART
L’unique village de l’île prolonge cette impression de vacances perpétuelles. Les habitants circulent sur des bicyclettes munies du traditionnel charreton, la remorque à roues locale. Des roses trémières poussent, sauvageonnes, devant les maisons basses, égayées de volets colorés et coiffées de tuiles romaines. Pourtant, le village doit beaucoup à la poliorcétique, lui aussi. Vauban a dessiné son plan en 1669, traçant des rues en patte d’oie pour faciliter leur contrôle par l’artillerie du fort de la Rade. Une enceinte de 1860, entourée de douves, complète le système de défense. Aujourd’hui, à la belle saison, seuls les touristes prennent d’assaut
les lieux. « Nous sommes 249 habitants à l’année. Aix est la plus petite commune de Charente-maritime. Mais en été, nous accueillons jusqu’à 6000 visiteurs par jour ! », explique Alain Burnet, maire de l’île de 2008 à 2020. Il conseille aux futurs visiteurs : « Évitez de venir en août et passez une nuit sur place. Posezvous pour admirer le coucher ou le lever du soleil, pour profiter de notre insularité. Ici, les paysages et les ambiances changent tous les 300 mètres. » Selon l’édile, les Aixois sont des habitants à part. « Ils sont plus proches les uns des autres, que sur la côte. Quand la tempête Xynthia nous a frappés en 2010 – 97 maisons ont été inondées –, nous étions mieux préparés que sur le continent. Habitués aux tempêtes, nous ne râlons pas, nous respectons les consignes, nous faisons preuve de sagesse. Nous acceptons les risques naturels, car nous nous installons ici par choix. »
L’ÉPOPÉE DE L’EMPEREUR
Sur l’île d’aix, Napoléon Ier n’a pas résidé bien longtemps. Cependant, il y a eu sa maison, transformée en musée depuis 1928. L’initiative est à mettre au compte du baron Gourgaud, riche mécène passionné d’histoire et, accessoirement, descendant de l’aide de camp de l’empereur, jusque dans l’exil à Sainte-hélène. Napoléon débarque pour la première fois à Aix, en 1808, pour inspecter l’escadre, que les Anglais réduiront en cendres, un an plus tard. Il ignore qu’il y fera une réapparition, plus tard et dans d’autres circonstances : son abdication, après le désastre de Waterloo. En juillet 1815,
dans la maison qu’il a fait construire pour le commandant de la place forte, il espère encore partir pour l’amérique en homme libre. Mais après trois jours d’indécision, il accepte de signer son acte de reddition aux Anglais ; ce, dans la chambre qui se visite aujourd’hui. L’aigle s’envole pour Sainte-hélène, et n’en reviendra pas vivant. L’épopée napoléonienne prend un air pathétique dans cet émouvant musée, rempli de pendules, bustes et statues équestres dédiées au Petit Caporal. Avant de prendre place à bord du bac de retour, nous déambulons place Austerlitz. L’ancienne place d’armes est devenue une belle esplanade verdoyante. Un couple de cyclistes passe, insouciant, sous la frondaison des arbres. Les volets ouverts de l’hôtel Napoléon laissent apercevoir une jolie chambre. Et si on restait ?