CANAL HISTORIQUE
« Le but du voyage? Aucun, si ce n’est de perdre son temps, le plus féeriquement possible. Se vider, se dénuder et, une fois vide et nu, s’emplir de saveurs et de savoirs nouveaux. Se sentir proche des Lointains et consanguin des Différents. Se sentir chez soi dans la coquille des autres. Comme un bernard-l’hermite planétaire. » Voilà avec quel genre de pensée, en fait celle de l’écrivain-voyageur Jacques Lacarrière, j’abordais ce périple au fil d’un chemin d’eau si extraordinaire que Sébastien Le Prestre de Vauban, serviteur fidèle de Louis XIV, a déclaré « préférer la gloire d’en être l’auteur à tout ce qu’il avait fait ». C’est dire !
Donc, attaquons le Canal royal du Languedoc, devenu tout simplement le canal du Midi. De ce Midi occitan qui gargarise ses « r » comme la Garonne charrie, polit, entrechoque les galets tapissant son lit fécond. Marcher en empruntant le chemin de halage et/ou la servitude de marchepied (un distinguo bien subtil qu’un éclusier me fera éprouver du bout des pieds) favorise une expérience un peu hypnotique. L’écrivain Jeanpaul Kauffmann, qui s’était mis en tête un bel automne de « remonter le cours de la Marne », parle volontiers de « déambulation quasi somnambulique ». Arpenter les rives du canal autorise le vagabondage de l’esprit. La liberté retrouvée, on a tout loisir d’esquiver les rumeurs des villes – qui, souvent, n’en finissent pas de croire aux fables qu’elles ont inventées. De respirer, de humer un autre air. De se mettre au diapason de la nature, le regard sollicité par l’envol d’un martinpêcheur ou d’un héron bihoreau. Le « liquide chemin » enivre de curieux parfums. Sous cette voûte ombreuse, l’odeur de l’herbe, des feuillages, du bois mouillé, est obsédante. Plus loin, à découvert, montent des champs des fragrances sèches, minérales, qu’une pluie d’averse transforme en une odeur fanée de fruits blets.
Glissons ensuite en pente douce vers le Lauragais, coeur battant du Canal, où Pierre-paul Riquet a imaginé son ingénieux système hydraulique (seuil de Naurouze, barrage de Saint-ferréol, rigole de la Plaine). Doux ondoiement des collines de la Piège, aux faux airs de « petite Toscane », où le pastel et le blé ont ensemencé une terre ensoleillée. Ici, les paysages semblent repousser la ligne d’horizon, et ils incendient les quinquets. Roland Barthes, basque jusqu’au bout de ses pensées, se plaisait à dire que « le ciel et les nuages donnaient au terrain la mobilité d’un visage ».
Ce « pays de Cocagne », jadis coeur de l’hérésie cathare, s’en vient buter, à son extrémité Nord-est, sur les premiers contreforts du Massif central, la montagne Noire. Celle-ci, source nourricière du canal, offre une toile de fond au Sillon audois, domine un autre pays, méconnu, un peu rugueux d’apparence avec son causse, ses gorges de la Cesse: le Minervois. Dans cet océan de vignes, des îlots d’amandiers, des forêts d’oliviers de Bize, les rizières de Marseillette, les châtaigneraies de Ferrals…
DOMINIQUE ROGER
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