À LA DÉCOUVERTE DU CANAL À VÉLO
Depuis Toulouse en direction de l’est, le canal du Midi glisse, en ondulant sous une belle voûte de platanes.
de verdure, il n’est donc pas question de bouder notre plaisir.
6 JOURS POUR REJOINDRE MARE NOSTRUM La société Le Petit Cyclo/àvélo 31 est une entreprise de location de cycles qui a fait le choix de se spécialiser sur le canal des Deux-mers.
De l’atlantique à la Méditerranée, elle s’occupe du transfert des bagages entre les étapes. 90 % de sa clientèle réalisent le parcours Toulouse-sète, à raison d’une quarantaine de kilomètres par jour. À ce rythme, il faut 6 jours pour rejoindre Mare Nostrum via Castelnaudary, Carcassonne, Béziers et Agde. Nous n’avons pas prévu d’effectuer l’ensemble du parcours. Le trajet d’environ 40 kilomètres jusqu’à Portlauragais suffit pour se fondre dans l’ambiance. Le lieu de départ donne immédiatement le ton. Au-delà de sa voûte d’arbres protectrice, Ramonville-saint-agne est aussi un vrai port de plaisance. Plusieurs péniches-résidences de couleurs vives sont amarrées là, à l’année. Il ne faut pas plus d’une vingtaine de minutes, en voiture, pour rejoindre le centre-ville toulousain. Un cadre agréable et original, choisi par une poignée d’habitants en quête de qualité de vie… Pour partir vers l’est par la piste cyclable, il faut rouler rive gauche. Le pont de Mangepommes, du xviiie siècle, l’un des 130 qui enjambent le canal, permet de la rejoindre et de pédaler en direction de Castanet-tolosan.
DES AIRS DE VIRÉE CAMPAGNARDE L’itinéraire n’offre aucun risque de calage en côte. Plat comme la main, le parcours n’a pour « cols » que les minuscules montées qui atteignent le tablier des ponts.
À ce rythme, l’écluse de Castanet est vite atteinte. Nous nous y arrêtons pour prendre un café: plusieurs anciennes maisons éclusières sont devenues des brasseries-restaurants, et il fait bon prendre le soleil en terrasse, en observant la vie du canal. D’ailleurs, le spectacle est sous nos yeux. La péniche-balade Soleïado s’est engagée entre les portes de l’écluse, et un membre de l’équipage manoeuvre le dispositif automatique permettant de la franchir. Le samedi, de 8 à 17 heures, la péniche embarque des passagers pour des croisièresdéjeuners entre Ramonville-saintagne et Montgiscard. Le dimanche, elle reste à quai, pont de Mange-pommes, en version brunch et salon de thé. À bord, les clients viennent de terminer leur petit déjeuner, et semblent apprécier. Il est temps de repartir. Nous
enfourchons notre confortable VTC et nous dirigeons vers l’est. Hormis l’autoroute A61 qui s’approche un peu trop près du canal, la balade prend soudain des airs de virée campagnarde.
LE PONT DE DEYME ET SA BELLE ARCHE UNIQUE Croisant ou doublant des piétons et des joggeurs, nous observons les pêcheurs du dimanche, le survol d’un héron, la courbe gracieuse du canal qui ondule tantôt à gauche, tantôt à droite…
Les pensées dans les nuages, nous arrivons ainsi au pont de Deyme, limitrophe avec la commune de Pompertuzat. Nous nous y arrêtons d’autant plus volontiers que ce pont, avec sa belle arche unique en plein cintre maçonnée de briques, est typique de la fin du xviie siècle. En dépit d’une reconstruction en 1821, il a conservé sa ligne d’origine et ressemble à ceux que Pierre-paul Riquet faisait édifier lors du percement du canal. Nous y attendons le passage d’une péniche, dans l’espoir d’une photo symbolique. En vain. Nous nous contentons de vélos, sur fond de platanes d’un vert éclatant, épousant la courbe du canal.
À NÉGRA, UNE CHAPELLE BATELIÈRE Le chemin de halage offre ensuite une franche incursion dans le paysage agricole. Des champs de maïs et de blé, ainsi que de vastes corps de fermes jalonnent la plaine, rappelant que l’eau du canal est utilisée à des fins d’irrigation.
Sous le chant des oiseaux et l’envol de canards, nous pédalons jusqu’à la maison éclusière du Sanglier, abritée derrière trois gros platanes. Et parvenons à celle de Négra, où l’arrêt est conseillé. En plus d’être une base de location de pénichettes de loisirs, la maison porte, sur son flanc droit, une chapelle. Son Histoire est insolite. Après l’ouverture du canal du Midi à la navigation entre Toulouse et Castelnaudary, dès 1674, un service de coche d’eau fut mis en place. Partant à 6 heures de chaque terminus, il arrivait à Négra vers midi. Le dimanche, impossible pour les passagers d’assister à la messe! Seule une escale technique était assurée, avec auberge et relais équestre pour le changement de traction – les coches d’eau étaient tirés par des chevaux sur les chemins de halage. Conscient de ce besoin, le fils de Riquet, Jean-mathias, fit bâtir une chapelle à Négra, en 1692.
L’office du dimanche et des jours de fête y était assuré, exclusivement dédié aux usagers du canal. Après la suppression du service de transport de poste en 1857, elle continua à être fréquentée par les agents du canal et les bateliers. En 1995, elle a accueilli un mariage ! Modeste, l’un des derniers lieux de culte encore sacralisés du parcours souligne le rôle ancien des associations religieuses dans l’accompagnement des gens du canal, isolés et aux conditions de vie précaires.
CIGALES, LÉZARDS, PAILLOTE ET TOUR DE BABEL Nous ne sommes qu’aux deux tiers du parcours et devons abandonner ces considérations socio-historiques pour reprendre le chemin. Le soleil est au zénith et la chaleur du Lauragais, que nous traversons maintenant dans sa partie Sud, se ressent à travers la frondaison.
Les collines dorées exhalent l’odeur tiède des céréales, chauffées par les rayons ardents. Le chant des cigales atteint son paroxysme. Des lézards verts traversent, ventre à terre, le chemin devant nos roues, se précipitant dans les fourrés. Au ras de l’eau, l’air reste frais. Comme midi approche en ce jour de week-end, des cyclistes ont déjà jeté leur vélo dans l’herbe et déballé sandwichs et gâteaux. Nous effectuons notre arrêt à l’écluse de Gardouch. Le cadre champêtre et détendu du restaurant L’estanquet nous a appâté, de même que le glouglou de l’eau chutant au fond de la bonde. Mais plutôt que de choisir la terrasse déjà bien occupée, nous optons pour la version « cyclarde » du lieu : un jardin à l’arrière, où une paillote comme à la plage sert des tapas et des salades express. L’occasion de nous croire, pour quelques minutes, dans une tour de Babel. Cuisses et visage rougis par le soleil, nous entendons bavarder près de nous des cyclistes Allemands, Britanniques, Néerlandais… Au fil de l’eau ou à vélo, la cote de popularité du canal du Midi en Europe (et au-delà) est immense. Pas sûr que nos compatriotes en aient vraiment conscience…