Le lac de Serre-ponçon
La montagne pour écrin
Petite mer intérieure, le lac de Serre-ponçon est un paradis pour les amateurs d’activités nautiques.
C’est une image de carte postale. Plantée sur un îlot, s’élève une adorable chapelle du xviie siècle, dédiée à saint Michel. Comme un rêve de robinsonnade, elle semble flotter, solitaire, en plein milieu des eaux turquoise du lac de Serre-ponçon. Ce petit sanctuaire aurait pu être englouti à tout jamais: il fut miraculeusement épargné parce que juché sur un promontoire, au-dessus de la cote maximale du lac. Un édifice sauvé des eaux, comme un ultime rappel d’un monde aujourd’hui disparu.
UN CHANTIER GIGANTESQUE
Le lac de Serre-ponçon, 2800 hectares, à 780 mètres d’altitude, est en effet artificiel: il a été créé pour réguler le cours de la Durance. « Dès le xixe siècle, on a émis le souhait de dompter le cours de cette rivière tumultueuse, fléau de la Provence, rappelle
Florence Ubrun, responsable du Muséoscope du lac, un centre établi sur la commune de Rousset. Avec la fonte des neiges ou de la pluie, son débit pouvait varier de 18 à 1 800 mètres cubes par seconde. Les crues étaient dévastatrices et, en période de sécheresse, le débit ne suffisait pas pour irriguer les cultures. » En 1955, le projet – gigantesque – de barrage hydroélectrique sur la Durance et l’ubaye est enfin amorcé. Une loi confie l’aménagement et l’exploitation de l’ouvrage à EDF, qui en devient concessionnaire. Le chantier a duré des années, employant jusqu’à 3 000 ouvriers. Le remplissage du lac est achevé en mai 1961.
UN PARADIS NAUTIQUE
Rive droite, le belvédère de Rousset, le long de la route départementale 3, est tout indiqué pour contempler ce barrage en terre, l’un des plus grands d’europe, colosse haut de 123 mètres, long de 600 (en crête). « Le barrage et le canal sont construits pour réguler les crues, fournir de l’eau toute l’année et, bien sûr, produire l’électricité nécessaire à près de 300 000 habitants », résume Sébastien Vialaret, responsable du site pour EDF. Et de préciser : « Nous adaptons aussi la gestion du lac en période estivale, pour atteindre un niveau d’eau compatible avec le tourisme et les activités nautiques. » Au-delà de la modification du paysage, cette retenue a contribué, en effet, à l’attrait touristique d’un territoire alors oublié. Depuis les années 1990, Serre-ponçon est l’un des grands spots nautiques des Alpes, un paradis pour amateurs de kitesurf, planche à voile, paddle et kayak. Comment, il est vrai, ne pas succomber à son charme qui semble tout naturel? Un tour en bateau permet idéalement de découvrir les beautés insoupçonnées de ses plages de rêve, de ses criques sauvages et de ses baies cernées par des sommets alpins dépassant les 2000 mètres, tel un écrin protecteur. Autour de la retenue aux rives abruptes, les routes en
lacet offrent, elles aussi, des panoramas à couper le souffle sur les eaux scintillantes; elles sont jalonnées de quantité de pépites – patrimoniales ou naturelles – à admirer
DES TRÉSORS ÉMERGENT DU PASSÉ
Depuis le barrage, direction l’ubaye, rivière qui finit sa course dans le lac. Rive gauche, à l’ubac, le long de la D954, surgit au milieu de nulle part un cimetière solitaire, jouxtant une petite église, vestige du village d’ubaye. Une église, trois épiceries, trois bistrots…, le bourg comptait 153 habitants en 1954. Pour faire place au barrage, il a été dynamité: il a fini englouti par les eaux. Ses habitants? Expropriés. « Cela a été un traumatisme. Nombre d’entre eux sont partis faire leur vie plus au sud », rappelle Florence Ubrun, qui précise qu’au total, dans les vallées de la Durance et de l’ubaye, 1500 personnes ont été évacuées. Un moment douloureux montré dans le film L’eau vive, réalisé par François Villiers sur un scénario de Jean Giono; Guy Béart
en signa le générique avec l’une de ses plus belles chansons… À la demande de la population, par respect pour les morts, le cimetière fut déplacé. Et lorsque le niveau de l’eau baisse, d’émouvants trésors émergent du passé. Ici un lavoir, là une fontaine, plus loin un cep de vigne fossilisé…
UNE PETITE CAPPADOCE
La route nous mène ensuite au Sauzedu-lac, pittoresque village épargné lors de la mise en eau, car juché sur un promontoire à 1 000 mètres d’altitude. Ses habitants imaginaient-ils qu’un jour leur maison donnerait sur un paysage aux allures de Riviera? Le belvédère de la commune offre une vue fantastique sur le lac. Sur la D954 qui y conduit, pendant le trajet, le regard est soudainement aimanté par une curiosité géologique, naturelle cette fois : les Demoiselles coiffées de Pontis. Des sentinelles de pierre, étrangement façonnées par l’érosion, surmontées d’un bloc rocheux imitant un chapeau. Pour découvrir les lieux, le mieux est d’emprunter le sentier qui se faufile à travers cette dépaysante petite Cappadoce version alpine.
UNE STATION TOURISTIQUE ET UNE ABBAYE
Changement de décor radical à Savines-le-lac. Cette station touristique, au bord du lac comme son nom l’indique, et au pied du pic de Morgon (2324 mètres), est résolument moderne. Elle a été bâtie pour
remplacer Savines, 976 habitants en 1954, détruit puis englouti, lui aussi, par la mise en eau de 1961. Pendant dix années, Achille de Panaskhet – qui avait déjà reconstruit Cervières, cité martyre du Briançonnais ravagée par les bombes incendiaires allemandes, en 1944 – s’est consacré à la création ex nihilo du village, des bâtiments publics comme des demeures privées. Loin du pastiche montagnard avec profusion de chalets, il imagina un ensemble d’une grande cohérence urbanistique, évoquant l’architecture balnéaire. Une modernité qui a permis à Savines d’être labellisé « Patrimoine du xxe siècle » pour son pont, lequel relie les rives du lac, mais aussi ses locaux administratifs et la fière église Saint-florent, en forme de navire, dotée de somptueux vitraux modernes. À voir absolument… Un détour s’impose alors sur les hauteurs du lac de Serre-ponçon que l’on atteint par la D568. À 1150 mètres d’altitude, située à l’orée d’une forêt réputée pour être l’une des plus pures de France, l’abbaye Notre-dame-de-boscodon revit depuis plusieurs années. Restauré, occupé par une petite communauté dominicaine, ce chef-d’oeuvre de pierres roman, dont l’origine remonte au xiie siècle, frappe par le dépouillement à l’extrême de son église, proche de l’art cistercien, autant que par la quiétude apaisante qui émane de son ravissant cloître.
UNE VISION SURRÉALISTE
Regagnons les rives. À l’extrémité orientale du lac, dominant la Durance du haut de son roc, surgit la cité d’embrun qui fut capitale ecclésiastique (archidiocèse) jusqu’à la Révolution. Une prestigieuse histoire dont témoigne encore son très riche patrimoine, à découvrir au fil des ruelles, avec le mont Guillaume en arrière-plan. On admire la somptueuse cathédrale Notre-dame-duréal, érigée entre 1170 et 1225 dans un style influencé par l’art lombard. En face, la maison des Chanonges, où résidèrent les chanoines jusqu’au xive siècle, est, avec sa façade agrémentée d’un haut-relief représentant un lion dévorant une chèvre, un bijou
de l’art roman. Quant à la tour Brune, il s’agit de l’ancien donjon du palais des Archevêques… Notre boucle sur la rive droite s’achève avec une curiosité, encore. Dans la baie de Chanteloube, une vision surréaliste : le viaduc émerge des eaux lacustres! En chantier de 1909 à 1934, bien avant le barrage hydroélectrique, il a été aménagé pour la ligne Chorges-barcelonnette. Le projet ferroviaire n’a pas abouti, laissant l’ouvrage sans utilité. Sauf aujourd’hui, lorsque la cote du lac est basse : il est accessible à pied.