Dimanche Ouest France (Morbihan)

Peu nombreux, les chaumiers ne chôment pas !

Entre les rénovation­s de toitures et ceux qui passent de l’ardoise à la chaume, la demande augmente. À Muzillac, l’équipe de Jérôme Lucas refait le toit d’un gîte à recouvrir d’environ 4 500 bottes de roseaux.

- Sylvie RIBOT.

« Ce toit de chaume devait bien avoir 40 ans. Il arrivait au bout et avait pas mal de mousse dessus », explique Jérôme Lucas, chaumier, perché sur le toit, la grue en arrière-plan. À Muzillac, sur cette grande longère recouverte de 340 m2 de chaume, Jérôme et ses deux collègues ont environ quatre semaines de boulot sur ce chantier.

« On a amené un semi et demi de roseaux de Camargue. » Ces stocks occupent une bonne partie du jardin. Ils attendent en rouleaux de 500 kg, eux-mêmes constitués de bottes de 5 kg. Alors qu’une partie du nouveau toit a déjà fière allure, les chaumiers enlèvent l’ancienne chaume sur la partie qui reste à faire. Ils vérifient la solidité des bois verticaux (chevrons) et horizontau­x (liteaux) qui quadrillen­t la constructi­on, visibles une fois la chaume partie.

« On est une quarantain­e en France »

« Dessus, on met 40 cm d’épaisseur de chaume, que l’on superpose pour que l’eau coule de bout de roseaux en bout de roseaux, explique Jérôme Lucas. Ces 4 500 bottes, on les tape à la palette ou au battoir pour tasser et égaliser. Au final, il y aura près de 25 tonnes sur ce toit. »

Installé à Baud comme chaumier depuis une vingtaine d’années, Jérôme Lucas note « qu’on est de moins en moins nombreux. En France, on perd cinquante chaumiers tous les 15 ans. On est une quarantain­e en France, surtout en Bretagne, Pays de Loire et Normandie. »

Comme il n’existe pas de formation officielle, les chaumiers « se forment sur le tas et sur le toit, avec un patron. C’est ce que j’avais fait, moi aussi ». Il a découvert ce métier, peu connu, « par le père d’un copain chez qui j’avais fait un stage. Ça me plaît de restaurer le bâti ancien ».

Sa société emploie deux personnes. Et les trois chaumiers ne chôment pas : « On a un an et demi de planning devant nous. La demande augmente. »

Pour des rénovation­s dans le Morbihan, la Brière, le Grand Ouest… Après Muzillac, ils interviend­ront au village

de chaumières de Poul Fetan, à Quistinic, puis au Village gaulois de Pleumeur-Bodou (Côtes-d’Armor).

« Depuis quelques années, on a aussi enlevé pas mal d’ardoises pour les remplacer par de la chaume. C’est possible à partir d’une pente de toit de 45°. »

« Très bon isolant »

Plus chère que l’ardoise (environ 60 000 € pour la longère de Muzillac par exemple), nécessitan­t un peu d’entretien (traitement fongicide, surveillan­ce du faîtage), la chaume séduit par son côté écolo et « parce que c’est un très bon isolant, avec une inertie plus forte que la laine de verre. L’été, elle garde le frais, et l’hiver, le chaud. » Depuis le Covid, « c’est un peu plus compliqué de se fournir, car les Pays de l’Est achetaient leurs roseaux en Chine. Les coûts de transport ayant augmenté, ils s’approvisio­nnent davantage en France, d’où une petite pénurie et une hausse des prix. Heureuseme­nt que les roseaux repoussent en un an!»

Bien qu’utilisant ce matériau naturel et isolant, l’artisan chaumier s’étonne

au passage d’avoir perdu son label RGE (Reconnu garant de l’environnem­ent) , l’an dernier. « Je l’avais depuis huit ans et, d’un coup, je ne sais pas pourquoi, comme les autres chaumiers, je ne rentrais plus dans les cases. Car il fallait un matériau certifié par une usine. » Ce label permet ensuite aux clients d’obtenir des aides comme Ma Prime rénov, la prime CEE, l’écoprêt à taux zéro… Un comble pour les chaumiers.

Ce gîte, « c’était un coup de coeur et un coup de chance »

Suzanne Stauffer et Stéphane Beutler, les Suisses, qui ont racheté ce gîte en janvier, ont sauté le pas malgré tout car rien n’est trop beau pour leur coup de coeur. Elle, travaillai­t dans le soin à domicile auprès des personnes âgées. Lui, en tant que couvreur… « On voulait changer de vie et lever un peu le pied, dans un cadre agréable. » Voyageant en camping-car, ils revenaient souvent dans le Morbihan. « On a cherché un gîte à reprendre et on n’avait pas repéré cette longère de 1830 », raconte Suzanne.

« Et puis, un jour, on est venu ici en tant que clients, pour une nuit, pour aller voir des pistes de gîtes à reprendre. » En découvrant la demeure, Suzanne tilte et se dit « Voilà ! Cest ça que j’aimerais ! » Ils craquent pour le côté rural, les vieilles pierres, le toit de chaume, la mer à 10 minutes. Le lendemain, le proprio leur apprenait que l’affaire était à vendre ! « Du coup, on est restés trois nuits au lieu d’une, et on a lancé notre projet. C’était un coup de coeur et un coup de chance ! », sourit Suzanne.

La longère au charme indéniable abrite l’habitation de Suzanne et Stéphane, deux gîtes indépendan­ts (2-4 personnes, 4-6 personnes) et trois chambres d’hôtes, qui se réservent via les plateforme­s habituelle­s ou lachaumier­e-muzillac.jimdofree.com

« Notre première année d’activité a été bonne », se réjouissen­t-ils. Après cette pause-travaux, en novembre, les locations seront reparties de plus belle : « Le gîte est complet à Noël et au Nouvel an ». D’ici là, les locataires auront un nouveau toit de chaume au-dessus de leur tête. Et le Père Noël aura une sacrée vue à l’arrivée !

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| PHOTO : CHARLES-ALAIN RONGIER Le gîte La Chaumière à Muzillac se refait une beauté grâce au travail des chaumiers. Jérôme Lucas, artisan chaumier de Baud et ses collègues mettent environ 25 tonnes de roseaux pour refaire le toit.
 ?? | PHOTO : OUEST-FRANCE ?? Stéphane Beutler et Suzanne Stauffer, les propriétai­res du gîte, Jérôme Lucas, artisan chaumier, et ses deux collègues Stéphane Lorcy et Dimitri Guillois.
| PHOTO : OUEST-FRANCE Stéphane Beutler et Suzanne Stauffer, les propriétai­res du gîte, Jérôme Lucas, artisan chaumier, et ses deux collègues Stéphane Lorcy et Dimitri Guillois.
 ?? | PHOTO : OUEST-FRANCE ?? Jérôme Lucas et Dimitri Guillois, en train de dégager une partie de l’ancien toit du gîte La Chaumière, à Muzillac.
| PHOTO : OUEST-FRANCE Jérôme Lucas et Dimitri Guillois, en train de dégager une partie de l’ancien toit du gîte La Chaumière, à Muzillac.

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