Dimanche Ouest France (Vendee)

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Aujourd’hui habitante de L’Île- d’Yeu, Jacqueline Bretet revient sur l’épisode le plus douloureux de sa vie : le bombardeme­nt de Nantes le 16 septembre 1943. À 83 ans, elle raconte.

- Le témoignage

Jacqueline Bretet accueille dans sa maison. Il pleut ce matin- là, à L’Îled’Yeu. Difficile d’imaginer que derrière sa joie se cachent de douloureux souvenirs d’enfant.

C’était le 16 septembre 1943. Jacqueline Colas, son nom d’alors, vit à Nantes. Sa mère, Agnès, s’absente quelques minutes pour poster un courrier. Au même moment, la cité des ducs est survolée par les avions B17. Ils appartienn­ent aux escadrille­s américaine­s. Les bombes pleuvent sur le port de Nantes. « Ils survenaien­t habituelle­ment de nuit. Je pense que c’est une bavure de leur part », avance Jacqueline Bretet.

Faute d’informatio­n, la population n’a pu être évacuée. La voilà piégée. La force de frappe est massive : 147 bombardier­s qui larguent 1 450 engins explosifs en trois passages. « En une demi- heure, une grande partie de Nantes est détruite » , se remémore l’octogénair­e. Quelque 1 150 personnes décèdent, 1 800 autres sont blessées et 400 immeubles détruits. À ce moment de l’année, les gens affluent en ville. Un air de rentrée flotte. « Les enfants allaient aumanège, d’autres faisaient leurs emplettes, tout le monde était pris par ses activités, raconte la témoin. Maman a dû revenir sous les bombes et s’est abritée sous un escalier de pierres qui mène à la cour où nous résidions, à l’école Sainte- Marie, l’actuelle Notre- Dame- de- Bon- Port » .

« Je me souviens de tout »

Dans cette maison de deux étages, avec cour, se trouvent des artisans ébénistes. Parmi eux : Michel Crouan, sculpteur sur bois. Sourd et muet, l’homme s’est vu confier la garde des enfants par Agnés, le temps de sa brève absence.

Sa grande soeur, Éliane, 5 ans, est en train de jouer dans la cour lorsque les sirènes retentisse­nt. « Je me souviens de tout. Ma soeur arrive au premier étage en criant pour que l’on se cache. Elle essaie de me sortir du lit à barreaux mais elle n’a pas assez de force alors elle part pour se cacher toute seule » .

Jacqueline, deux ans et demi, se met à pleurer et appelle sa soeur. Malgré son très jeune âge, elle pressent le danger imminent. Éliane brave la peur qui l’assaille et revient sur ses pas : « C’est en me penchant la tête la première qu’elle a réussi à me retourner pour me faire basculer » . Elle l’emmène se cacher dans l’armoire qui renferme la garde- robe. Les deux petites filles se retrouvent soulevées par le souffle d’une explosion tout juste après y être entrées pour s’abriter. « Les panneaux de l’armoire ont été arrachés. Il y avait un nuage de poussière, des gravats, c’était l’horreur. Les pavés de la cour se trouvaient dans mon petit lit. »

Lorsqu’elles veulent redescendr­e, les deux soeurs se retrouvent face à un trou béant : « Il n’y avait plus d’escalier » .

En état de choc, Jacqueline et Éliane n’entendent pas leur mère les appeler. « C’est Robert Chiffoleau qui nous a trouvées. J’étais sous une table en train de ramasser de la vaisselle cassée, ma soeur derrière le lit de mes parents. »

« Nous sommes tous des miraculés »

La bombe de 250 kg venait de s’abattre dans un fracas assourdiss­ant sur l’atelier des artisans. « Il y avait un trou de cinq mètres de profondeur et dix mètres de diamètre. Monsieur Crouan n’a pas survécu. C’est un choc énorme, je n’avais même pas 3 ans. » Jacqueline et sa famille font ainsi partie de la longue liste des sinistrés de la ville, et doivent abandonner leur logement. « Je me vois encore partir de la maison, du 6, rue Dobrée avec ma poussette, unemalle en bois sur les genoux qui me faisaitmal, mes parents chargés de valises, les gens par terre dans les rues. Le souvenir est encore très dur » , confie- t- elle avec courage. En cette fin d’après midi, au moins 1 500 personnes ont perdu la vie.

Quatre-vingts ans plus tard, dans sa maison à L’Île- d’Yeu, Jacqueline Bretet sort une lettre gardée précieusem­ent. Elle a été écrite par son père, Auguste. Il l’avait envoyée dès le lendemain du drame pour rassurer ses parents qui résidaient sur l’île. Au coeur de la catastroph­e, les sept membres de la famille sont par chance sains et saufs. « Mon père aurait dû être chez une cliente qui a été bombardée. Mon frère Roger, 10 ans, était parti porter une caisse au commission­naire pour récupérer du pain. Nous sommes tous des miraculés. » Ils passent les premières nuits chez le patron de son père. Puis, après avoir envoyé ses deux grands frères à Sainte- Hermine chez une tante, un camion de la ville viendra les chercher pour les évacuer à Chavagnes- en- Paillers, où ils devront se satisfaire d’un préau d’école aménagé pour les sinistrés de guerre. « On y est restés presque deux ans. C’était très rudimentai­re. Nous étions séparés de papa et de mon autre soeur aînée de 18 ans. » La famille sera ensuite relogée dans les baraquemen­ts de la cité de la Crémetteri­e à Saint- Herblain ( Loire- Atlantique). « Ce sont neuf années sans chauffage. On avait souvent froid, les ardoises étaient poreuses. J’ai souvent vu ma mère pleurer. C’était affreux. Mon père est décédé d’un cancer des poumons quand j’avais 15 ans. »

« Elle a sauvé sa vie

et la mienne »

Aujourd’hui, celle qui se fait appeler « mamie Kikine » a trois filles, treize petits enfants et treize arrières petits enfants. Avec sonmari Henri, rencontré lors de vacances sur l’île d’Yeu quand elle avait 21 ans, Jacqueline Bretet a fait « d’un coup foudre » une famille soudée et heureuse comme l’ont été ses parents malgré toutes les privations. La musique, grâce au tuba, et le chant ont été des aides dans son existence.

Née à Nantes en 1940, Jacqueline a longtemps gardé au fond d’elle les souvenirs de cette « guerre atroce ». Malgré les années, survit toujours dans un coin de sa tête l’ombre menaçante d’une forteresse volante. « Je vois encore ces bombes tomber, je les regardais par la fenêtre de mon lit avec des yeux d’enfant en pensant à une tapée d’oiseaux, conclut- elle avant de rendre hommage à sa soeur. Je voulais témoigner pour que les gens sachent qu’une enfant de 5 ans est capable de faire des choses énormes. Elle a sauvé sa vie et elle a sauvé la mienne » .

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| PHOTO : OUEST-FRANCE Jacqueline Bretet, née Colas, revient sur les bombardeme­nts du 16 septembre 1943 qui ont eu lieu à Nantes et comment elle a été sauvée par sa soeur Éliane.

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