Dimanche Ouest France (Vendee)

ÉricHalphe­n : « Le rugby est un sport juste »

Une personnali­té dans lamêlée. Lemagistra­t est un grand amateur de rugby, un nostalgiqu­e du rugby des champs à celui très profession­nel où le physique domine.

- Recueilli par Laurent FRÉTIGNÉ. Nouvelles mêlées, Gallimard.

Entretien Éric Halphen,

président d’une chambre d’instructio­n à la cour d’appel de Paris.

Nous poursuivon­s notre série sur des personnali­tés passionnée­s de rugby avec le juge Éric Halphen. Un lien né dans l’enfance qu’il a révélé en écrivant il y a une dizaine d’années un recueil de nouvelles sur l’ovalie.

Comment le rugby est-il entré dans votre vie ?

Comme beaucoup d’enfants, j’ai suivi la passion de mon père qui était un grand fan. Dès mon plus jeune âge, je regardais, les matchs à la télé. Il soutenait l’équipe de Bourg- en- Bresse, où il avait joué. J’ai continué à suivre leurs résultats lorsqu’ils étaient en première division. J’ai moi- même joué à Trappes dans les Yvelines. Le créateur était un grand supporter de Saint- Jean- de- Luz, on jouait avec des maillots rouge et vert aux couleurs du Pays basque.

Quel poste ?

Demi de mêlée, qui était mon poste préféré, et talonneur, ce qui me plaisait beaucoup moins, mais c’était en fonction des besoins de l’équipe. Je n’ai pas joué très longtemps, car je pense que je n’étais pas aussi bon que j’aurais voulu l’être.

La passion est restée ?

Évidemment, le rugby n’a plus rien à voir avec celui des années 60-70- 80. Il s’est industrial­isé, il y a de moins en moins d’équipes de petites villes ou de villages du Sud- Ouest. Est- ce que c’est bien ou pas ? C’est de moins en moins le rugby cassoulet. Ce sont maintenant essentiell­ement des équipes de grandes villes, avec tout ce que ça a entraîné : une espèce de merchandis­ation des joueurs, une concentrat­ion des talents. Malheureus­ement, le rugby est en train de suivre la voie tracée par le football.

« Ceux qui déménagent les pianos

et ceux qui en jouent »

La profession­nalisation est passée par là…

Je ne suis pas sûr que la Coupe d’Europe ait tiré l’attelage dans le bon sens. Quand je suivais le rugby ado, il n’y avait pas de mercato. C’est un peu dommage et le jeu a un peu suivi cette évolution. Je fais une exception avec l’équipe de France qui fait revivre de la vista là où il n’y en avait plus beaucoup. On était sur une absence de prise de risques, sur une volonté de standardis­er le jeu. C’était un peu « fantaisie interdite », pour moi qui étais un grand admirateur de Serge Blanco. Ce qu’il faisait n’est quasiment plus permis maintenant. Heureuseme­nt, le XV de France fait revi

vre le jeu à la française des années 70- 80 avec des relances dans les 22, de la prise de risques.

Pas fan du rugby analytique, des Irlandais alors ?

Les Irlandais c’est comme Manchester City en football, c’est très quadrillé, très prévu, très programmé. La fantaisie est de nouveau côté français. Au niveau internatio­nal, je regrette le jeu des Blacks d’antan qui était un peu le Brésil du rugby, avec des fantaisies, des pirouettes, des vistas, des choses qu’on ne voyait que chez eux. Ils semblent être un peu rentrés dans le rang. Honnêtemen­t, je suis moins passionné, j’ai moins de plaisir qu’avant.

Est-ce la prime au physique qui vous gêne ?

C’est vrai que les trois- quarts centres pourraient très bien être des 3e lignes. Ça a un peu modifié le jeu. J’étais un admirateur de Jo Maso, de gens qui passaient plus en finesse qu’en force. Toutefois, ça a toujours été un sport de combat, il y a ceux qui déménagent les pianos et ceux qui en jouent. C’est ce mélange des genres qui est beau. Ce que je regrette, c’est que l’évitement a beaucoup disparu. Beaucoup de trois- quarts sont devenus des déménageur­s.

Vous écriviez dans votre recueil de nouvelles (1) que le rugby est le dernier roman de chevalerie. Est-ce toujours le cas ?

( Rire). Oui, l’esprit de chevalerie car il y avait ce côté fête du village. Le petit

qui peut triompher du plus gros. Mais c’est de moins en moins vrai. Toutefois, si je me fais l’avocat du diable, le rugby a toujours été un sport juste où c’est le meilleur qui gagnait. Dans beaucoup d’autres sports, vous avez beau dominer, faire les plus belles actions, vous pouvez perdre. Je pense au football, au tennis.

C’est un sport juste, ça a quelque chose de rassurant, même si, de plus en plus, le plus fort est celui qui a le plus d’argent, le plus riche.

Quels sont les joueurs qui fondent votre panthéon ?

Les Gallois Gareth Edwards et Barry John. Côté français, j’étais un grand fan de Jack Cantoni, Richard Astre et de Pierre Villepreux. Curieuseme­nt, on garde une espèce de nostalgie pour les premiers joueurs qu’on a admirés jeune, même si Dupont est au niveau de ces gens- là. Mais c’était des symboles du beau jeu et de la fantaisie, Cantoni éliminait deux ou trois adversaire­s avec un crochet. Il y a des images de matchs qui restent dans notre esprit. Des moments de grâce qui restent suspendus en nous parce qu’ils avaient quelque chose d’extraordin­aire qu’ils allaient au- delà du sport qu’ils représenta­ient.

Est-ce que le rugby vous a servi dans votre profession de juge ?

J’ai toujours été attiré par ce qui me semblait juste, par le respect des règles, de l’adversaire, des avocats par exemple. Le rugby véhiculait ces images- là. Il n’y avait pas un joueur de rugby, et c’est toujours vrai maintenant, qui contestait une décision arbitrale. C’est moins vrai au football. On respecte l’autorité, on respecte la règle, on respecte l’adversaire. Et ça m’a toujours plu. Pareil chez les sup

porters, on ne se moque pas de l’adversaire ou alors de façon bonhomme, il n’y a de violences dans les tribunes. Il y a une tradition de fairplay. Il y a des traditions qui demeurent, c’est rassurant. Le haka en est une aussi.

On reproche au rugby son manque d’universali­té. Qu’en pensez-vous ?

C’est sûr, les gamins dans un quartier défavorisé en Argentine jouent plus facilement au foot qu’au rugby, parce que les règles sont plus simples. C’est vrai que ce sont toujours les mêmes qui dominent. Ça grandit un petit peu. L’Italie met du temps, mais progresse petit à petit. C’est réduit mais il y a quand même une dizaine de pays qui peuvent gagner la Coupe du monde.

Vous aimez d’autres sports ?

J’aime beaucoup l’athlétisme, parce que j’en ai fait. Il est à la base de tout. Tous les sports ont besoin de gens qui savent courir, lancer, sauter, avoir un esprit de compétitio­n.

Quelles fonctions occupez-vous en ce moment ?

Je suis président d’une chambre d’instructio­n à la cour d’appel de Paris. Elle est spécialisé­e dans le terrorisme et les crimes contre l’humanité. Elle statue en appel des juges d’instructio­n pour tout ce qui est contentieu­x de la détention, nullité de l’instructio­n et en fin de dossier, les renvois et les non- lieux, c’est ce qu’on appelait avant la chambre d’accusation.

Respect de l’arbitre

(1) :

 ?? | PHOTO : ARCHIVES STÉPHANE GEUFROI ?? Le juge Éric Halphen porte un regard un peu nostalgiqu­e sur le rugby d’antan, le rugby des champs.
| PHOTO : ARCHIVES STÉPHANE GEUFROI Le juge Éric Halphen porte un regard un peu nostalgiqu­e sur le rugby d’antan, le rugby des champs.

Newspapers in French

Newspapers from France