Dimanche Ouest France (Vendee)
« Badinter allait jouer la vie de Patrick Henry »
En 1977, la plaidoirie de Robert Badinter, décédé vendredi, avait permis au meurtrier Patrick Henry d’échapper à la peine de mort. Daniel Mornet avait suivi le procès pour Ouest- France. Il raconte.
Daniel Mornet, désormais installé aux Sables- d’Olonne, a suivi le procès de Patrick Henry pour OuestFrance.
Dans quelles circonstances vous êtes-vous retrouvé à couvrir le procès de Patrick Henry en 1977 ?
« L’enjeu de faire abolir la peine de mort »
J’étais journaliste à Rennes et la justice était une de mes spécialités, mais je n’étais pas sûr d’y aller parce qu’on était en grève. Il y a eu un vote spécial des journalistes et j’ai pu filer en vitesse prendre le train.
Quand je suis arrivé à Troyes, le palais de justice était cerné par les CRS, il y avait la foule qui hurlait «À mort, à mort » . J’ai dû convaincre un CRS de m’emmener dans le bureau du greffe chercher mon laissez- passer. Je suis arrivé à l’audience qui avait déjà commencé.
Quelle était l’ambiance dans la salle d’audience ?
Elle était pleine de journalistes, peut être 70, de la presse étrangère et de la presse nationale. Au fond, il y avait quelques personnalités, parmi lesquelles le présentateur du journal télévisé Roger Gicquel, qui avait annoncé l’arrestation de Patrick Henry par cette phrase restée célèbre : « La France a peur ».
Le procès a duré plusieurs jours. Il n’y avait pas internet et dès qu’il y avait quelque chose de nouveau, un rebondissement, tout le monde se précipitait pour dicter son papier dans la salle d’à côté où il y avait quelques téléphones.
Avez-vous senti que vous assistiez à un moment important, historique en quelque sorte ?
Oui. J’avais pourtant suivi pas mal de procès importants, mais celui- ci était tout à fait lourd de sens, sachant que Badinter allait jouer la vie de Patrick
Henry, avec en plus l’enjeu de faire abolir la peine de mort.
Pourtant, on pensait que Patrick Henry n’y échapperait pas, ce qu’il avait fait était tellement horrible ( il avait enlevé un garçon de 7 ans à la sortie de l’école, avant d’exiger une rançon et de le tuer NDLR), et on était à Troyes où des procès avaient abouti à la peine de mort.
Que s’est-il passé au moment où la défense est intervenue ?
Aucun avocat n’avait voulu prendre la défense de Patrick Henry, hormis Robert Bocquillon, le bâtonnier. Très calmement, il a plaidé tous les détails, tous les éléments qui pouvaient être retenus contre la peine de mort. Il savait que derrière, il y aurait le coup de gueule de Robert Badinter.
Pourtant, je me disais que Badinter
allait avoir beaucoup de mal à convaincre même s’il avait du talent. Et puis, il prend la parole. Il était juste devant moi. Je le revois, appuyé sur le rebord d’une rampe, et il a parlé très longtemps sans une note. On était complètement bouleversés. On ne s’attendait pas à ce qu’il soit aussi convaincant. Il reprenait chaque élément de l’accusation et on se disait : c’est vrai, je n’avais pas pensé à ça…
Que s’est-il passé au moment du verdict ?
On a attendu longtemps, les délibérations ont dû être très rudes, et on a finalement appris que Patrick Henry était condamné à la perpétuité. À mon avis, c’est là que s’est décidée la fin de la peine de mort. Badinter a remarquablement plaidé encore à l’Assemblée nationale, mais c’est au procès de Patrick Henry que ça s’est décidé.
Après le verdict, on ne pouvait plus sortir parce qu’il y avait la foule agrippée aux grilles. Juste avant nous, un policier en civil avait été pris à partie parce que quelqu’un l’avait désigné du doigt en disant que c’était un des jurés. Il avait fallu l’intervention de motards, fonçant sur les gens qui l’entouraient.
Vous êtes rentrés et c’était fini ?
Non, car j’avais titré mon papier de conclusion Verdict d’espoir. C’était un peu provoc mais positivement provoc, cela allait dans le sens de ce qu’on défendait au sein du journal qui allait à contresens de, disons, 80 % des lecteurs à l’époque.
J’argumentais longuement sur le fait qu’il y aurait peut- être encore des exécutions mais que ça deviendrait de plus en plus rare. On a tout assumé ensemble avec le patron, François Régis Hutin, parce que les réactions n’ont pas manqué.
« C’est un grand qui disparaît »
Vous avez reçu beaucoup de courriers ?
Oui, il y en avait plein, des lettres très argumentées. J’en ai gardé quelques- unes. Regardez celle- là : « Voici plusieurs jours que vos articles régulièrement me soulèvent le coeur » . Dans celle- ci, le lecteur reprend le titre : « Verdict d’espoir : Pour qui, pour les assassins ? » J’ai aussi reçu cette réaction de Jacques Garnier, le bâtonnier de Rennes, qui était sympa parce qu’il m’a dit qu’ « il fallait un certain courage pour dire certaines choses ». Il y a eu aussi beaucoup de coups de téléphone.
Qu’avez-vous ressenti en apprenant le décès de Robert Badinter vendredi ?
Je me suis dit : c’est un grand qui disparaît. Il sera difficile de trouver une autre voix aussi puissante. Il n’a jamais mis de bémol sur ses convictions, il a toujours été très droit. C’est tellement rare, aujourd’hui mais à l’époque aussi.