Dimanche Ouest France (Vendee)
La pole dance, « un sport thérapeutique »
Reportage. Discipline liée au strip- tease, la pole dance s’est récemment démocratisée. Des cours pour enfants voient même le jour et bousculent un peu plus les stéréotypes qui collent à la barre.
Elles sont quatre, ce mercredi aprèsmidi de janvier, lors du cours pour les 7- 9 ans. Les corps frémissent au moment du premier contact avec la barre en inox, avant de se réchauffer très vite pendant l’échauffement dynamique au rythme des musiques punchy crachées par la sono. Et puis les biceps commencent à « brûler » quand ils sont sollicités pour tenir en équilibre dans le vide au moment de réaliser la première figure. Johanna, la professeure du jour, l’a appelée « la grenouille ». Une manière de coller à l’imaginaire de son jeune public.
Habillés d’un shorty et d’une brassière de sport – tenue essentielle en pole dance pour que le corps tienne contre la barre à l’aide de techniques d’accroches de genoux, de coudes, de cuisses –, les enfants tentent maintenant « le crucifix », autre figure qui sera au programme du spectacle de fin d’année. On lit l’appréhension sur les visages juvéniles au moment où, tête à l’envers, il faut lâcher pour la première fois les mains de la barre. « Faites- vous confiance » , rassure Johanna, qui veille à la sécurité. Au bout de quelques répétitions, la professeure se contente d’accompagner le mouvement. Les jeunes filles ont pris confiance. Les figures sont réussies. Mais déjà, il faut laisser la place. Le groupe des 10-12 ans attend à côté.
Entre agrès de gym et art du cirque
Depuis la rentrée 2023, les cours dédiés aux enfants s’enchaînent ainsi le mercredi après- midi dans le studio ouvert un an auparavant par Johanna Vigneron à Gières (Isère), en proche banlieue de Grenoble.
Au lieu de déposer leurs enfants à la salle de basket ou à la piscine, les parents s’arrêtent dorénavant dans cet entrepôt, transformé en studio de danse, où trônent huit barres verticales de 3,80 m de haut. « Les gens autour de moi trouvaient choquant que j’inscrive ma fille à la pole dance. Ils me disaient qu’on allait la retrouver plus tard dans une boîte de strip- tease, confie Harmony, la maman de Luana (8 ans). Aujourd’hui je leur réponds que la pole dance consiste à réaliser des acrobaties qui musclent tout le corps. » « Ce sport permet aussi de travailler la coordination chez les enfants, ajoute Charlaine, professeure de français, qui s’est inscrite un an avant sa fille. Quand je dis que je fais de la pole dance, les gens ont toujours l’image sexy de la discipline qui leur vient à l’esprit. Mais je leur dis, ce n’est pas que ça : c’est une vraie dis
cipline, sportive et complète. Après un cours, on est KO, on dort ! »
Pour beaucoup, la pole dance reste en effet synonyme d’érotisme et de strip- tease. Un rapprochement logique au regard de l’histoire de la discipline, qui déforme néanmoins sa réalité, bien plus diverse et décomplexée.
Une histoire liée au strip- tease
À l’origine, la pole dance vient du monde forain. « Les sources actuelles s’accordent à dire que la pole dance serait née au Canada à la fin du XIXe, début du XXe siècle, raconte Mariana Baum, première professeure de pole dance en France, à partir de 2005. Des danseuses, appelées “hoochie coochie” pour le balancement suggestif de leurs hanches, avaient créé des numéros érotisants qu’elles réalisaient en tenue légère dans une tente réservée aux adultes. Cette dernière tenait avec un mât que les danseuses ont commencé à utiliser. »
Avec l’avènement du burlesque et des cabarets, dans les années 1950, ce type de spectacle a ensuite été déplacé dans les bars de nuit. Puis, avec l’autorisation de l’exploitation
commerciale du sexe, cette danse devient un service érotique tarifé qui cultive l’image que de nombreuses personnes ont encore de cette pratique. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Sous l’impulsion de stripteaseuses qui ont développé des cours à partir des années 1990, la pole dance s’extirpe du milieu du strip et devient véritablement une discipline sportive et artistique. Depuis 2010, il est ainsi courant d’assister à des spectacles de pole dance lors des représentations de la célèbre compagnie du Cirque du Soleil.
Aujourd’hui, l’une des forces de la pole dance est sa variété. Il existe en effet une version plus sportive, une autre plus artistique et une dernière qualifiée de sexy ou exotique, pratiquée en talons. Pour Johanna Vigneron, hors de question de dénigrer cette dernière variante, qui rappelle les liens avec le strip- tease. « La discipline vient de là, donc ce serait malhonnête de renier ses origines. Je ne trouve pas que c’est une mauvaise chose, au contraire, estime la professeure de 29 ans. C’est un art et certaines le font très bien. Certains veulent une pole sexy, d’autres plus athlétique. La pratique évolue et se diversifie. »
En France, la discipline est reconnue par la Fédération française de danse (FFD) depuis 2016 et un championnat de France a lieu tous les ans (qualificatif pour les championnats du monde). Depuis quelques années, la pratique connaît un développement fulgurant. La preuve en est le nombre d’écoles, « entre 230 et 250 » , selon Mariana Baum, coordinatrice pole dance auprès de la FFD. « Il ne se passe pas une semaine sans que la presse quotidienne régionale n’évoque l’ouverture d’une école ou l’histoire d’un champion ou d’une championne. On est passé à un autre niveau et on est sorti des vieux schémas. »
« On travaille la confiance en soi »
Un an et demi après son ouverture, le studio de Johanna Vigneron compte 130 adhérents. Il s’agit presque exclusivement de femmes et une dizaine d’enfants. « La première fois que j’ai touché la barre, j’ai beaucoup aimé. C’est un sport qui développe la force et le muscle, glisse Coralie, 30 ans, qui a commencé à suivre il y a quelques mois les cours adultes à l’Envolée Pole Dance Studio. On travaille également la confiance en soi. L’aspect psychologique est très important quand on arrive à se soulever soi- même. »
« La pole dance est un sport thérapeutique, enchaîne Johanna Vigneron. Chaque personne se met des barrières, mais quand on se fait confiance, on se découvre aptitudes insoupçonnées. »
Ce soir- là, comme la plupart des autres femmes de son cours, aux âges et morphologies différentes, Coralie réussira son premier « crucifix ». Un moment immortalisé en photo avant de se quitter en se souhaitant : « De bonnes courbatures ! »