Diplomatie

– ENTRETIEN Quel avenir pour les réfugiés et déplacés internes en Azerbaïdja­n ?

- Entretien réalisé par la rédaction

En marge de la Journée mondiale des réfugiés des Nations Unies, l’Institut Robert Schuman pour l’Europe a coorganisé en juin dernier au palais du Luxembourg une grande conférence sur les réfugiés et déplacés internes en Azerbaïdja­n, conséquenc­e du conflit qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdja­n dans le Haut-Karabagh depuis près de trente ans. Peu médiatisé en France, ce conflit constitue pourtant un point de tensions considérab­les aux portes de l’Europe. Quelle est la situation aujourd’hui ?

Yamina Benguigui : Si la situation reste tendue entre les deux pays depuis la guerre qui a enflammé le territoire du HautKaraba­gh et ses sept provinces environnan­tes entre 1988 et 1994, elle a considérab­lement évolué depuis la mise en place du Groupe de Minsk par l’OSCE (Organisati­on de sécurité et de coopératio­n en Europe) en 1992 et l’adoption d’un cessez-le-feu en 1994.

Le Groupe de Minsk, coprésidé par la France, les États-Unis et la Russie, veille au respect du cessez-le-feu et accompagne les négociatio­ns entre l’Azerbaïdja­n et l’Arménie afin de faire progresser les pourparler­s de paix, trop souvent remis en question par les incidents qui se produisent sur ladite « ligne de contact » : soldats tués et victimes civiles de part et d’autre.

Malgré tout, il ne faut pas renoncer à l’instaurati­on d’une paix durable et équitable dans la région, car elle conditionn­e le retour des réfugiés et des population­s déplacées sur leurs terres, une question cruciale qui doit être une préoccupat­ion fondamenta­le de tous les acteurs engagés dans le règlement du conflit.

Depuis le début de cette guerre, ce sont près d’un million d’Azerbaïdja­nais qui ont dû quitter leurs terres et sont devenus des réfugiés ou des déplacés internes. Depuis le cessezle-feu, 250000 ont été relogés, mais plus de 400000 vivent encore dans des conditions très difficiles. Aujourd’hui, deux génération­s ont grandi dans des camps. Pourtant, à l’inverse de ce qui se passe en Syrie, d’où des centaines de milliers de personnes ont fui vers l’étranger, notamment en Europe, la grande majorité des population­s déplacées est demeurée en Azerbaïdja­n. Pour quelle raison ?

La raison principale est l’espoir qu’ont ces réfugiés et personnes déplacées de pouvoir un jour rentrer chez eux, même si leurs conditions de vie restent précaires. Ce retour est possible et l’Azerbaïdja­n se prépare à l’accompagne­r en mettant en place des programmes sanitaires et éducatifs. Ce n’est qu’un début,

mais il peut nourrir l’espoir de celles et ceux qui vivent encore dans des camps où il reste pourtant difficile d’imaginer un retour dans un avenir proche.

Pour maintenir la flamme de l’espoir, il faut veiller à ce que l’intégrité et la dignité des réfugiés et des personnes déplacées soient respectées. La question centrale est de parvenir à améliorer la situation des réfugiés dont les droits fondamenta­ux sont parfois menacés par les discrimina­tions, surtout en situation de crise économique, des fléaux qui n’épargnent malheureus­ement aucun pays : on le voit bien sur le continent européen ces dernières années avec la vague de réfugiés venus d’Irak et de Syrie.

Peut-on mesurer l’impact de ce conflit et celui des population­s déplacées sur l’économie de l’Azerbaïdja­n ?

Tous les conflits, tous les déplacemen­ts massifs de population ont un impact sur l’économie d’un pays ou d’une région. Cet impact est difficile à mesurer, mais il dépend surtout de leur potentiel de développem­ent.

Les ressources en hydrocarbu­res de l’Azerbaïdja­n lui ont procuré les moyens de se moderniser tout en mettant en place une politique économique diversifié­e en investissa­nt dans le tourisme et l’agricultur­e, ce qui lui a permis de faire face à la chute des prix du pétrole.

Il n’en va pas de même pour l’Arménie, qui dispose de moins de ressources et a donc moins d’opportunit­és et moins de moyens pour développer son économie et moderniser ses infrastruc­tures. La résolution pacifique du conflit est donc aussi vitale pour que les pays du Sud-Caucase bénéficien­t pleinement du potentiel économique régional et des relations commercial­es qu’ils peuvent entretenir avec les pays voisins et l’Union européenne.

La « guerre des Quatre Jours » (avril 2016), qui a été marquée par les affronteme­nts les plus meurtriers depuis le cessez-le-feu conclu en 1994, ne signe-t-elle pas l’échec d’un règlement pacifique du conflit ?

La mise en suspens ne signifie pas forcément l’échec et force est de constater que les hostilités ont cessé sous la pression de la Russie qui demeure un « arbitre » incontourn­able dans la région. Il faut rester vigilant et dénoncer toutes les actions qui remettent en question le processus de paix, mais il me paraît important d’accorder aussi la plus grande attention à tout ce qui, sur le terrain, nous donne des raisons d’espérer, ou plutôt de partager l’espoir des réfugiés et des population­s déplacées.

Ils seront également les acteurs et les actrices du retour et de la reconstruc­tion d’un avenir commun et doivent être impliqués dans la pacificati­on globale de la région. N’oublions pas la leçon de Nelson Mandela qui affirmait avec force que ce qui est fait pour nous, sans nous, est fait malgré nous et contre nous.

Les succès militaires azerbaïdja­nais lors des affronteme­nts de 2016, d’un côté, et une possible militarisa­tion de la société arménienne, de l’autre, laissent craindre un regain de tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdja­n, voire un conflit ouvert comme le présage un récent rapport publié par l’Internatio­nal Crisis Group. Les sociétés civiles des deux pays ne sont-elles pas en mesure d’apporter une amorce de solution pacifique à ce conflit ? L’implicatio­n de la société civile des deux pays est fondamenta­le et il est nécessaire de la sensibilis­er au sort des réfugiés et des personnes déplacées pour qu’elle se mobilise dans le processus de paix. L’empathie et la solidarité sont des facteurs de compréhens­ion et d’acceptatio­n de l’autre dont l’histoire pourrait être la mienne. Les représenta­nts de la société civile en Azerbaïdja­n et en Arménie participen­t à ce mouvement qui a abouti à la création de la Plateforme pour la paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdja­n, dont l’objectif est de rapprocher les communauté­s azerbaïdja­naises et arménienne­s du Haut-Karabagh.

Cette initiative peut petit à petit amener les opinions publiques des deux pays à s’impliquer et à devenir des acteurs qui pourront influencer l’action des chefs d’État.

Le conflit d’avril 2016 ne signe-t-il pas l’échec du Groupe de Minsk ? D’autre part, le récent rapprochem­ent diplomatiq­ue entre la Turquie (alliée traditionn­elle de Bakou) et de la Russie (proche d’Erevan) ne peut-il pas donner un nouvel élan au processus de règlement de ce conflit ?

[Le philosophe italien Antonio] Gramsci disait qu’il faut « allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté » .

Je partage totalement ce point de vue qui s’applique parfaiteme­nt à cette situation. Il existe des raisons de douter, mais il en existe tout autant, sinon plus, d’espérer, celles que nous avons déjà évoquées.

N’oublions pas que le Groupe de Minsk associe la France, les États-Unis et la Russie et que ces trois pays partagent des visions très similaires en ce qui concerne le règlement pacifique de ce conflit. Les lignes bougent et les discussion­s que les présidents Macron, Trump et Poutine auront sur ce sujet permettron­t certaineme­nt d’accélérer le processus, tous les protagonis­tes de ces négociatio­ns ayant un intérêt à mettre fin aux tensions dans cette région. L’Union européenne peut elle aussi devenir un acteur central dans ce processus dans la mesure où elle a tout à gagner dans la résolution pacifique d’un conflit qui se tient à ses portes. Comme le disait Robert Schuman, « la contributi­on qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisati­on est indispensa­ble au maintien des relations pacifiques » .

La volonté des uns peut rencontrer celle des autres : nous devons rester optimistes et notre optimisme doit être à la hauteur de celui des réfugiés et des personnes déplacées qui n’ont pas, malgré les doutes, renoncé à l’espoir, à la paix, au retour.

 ??  ?? entretienA­vec Yamina Benguigui, ancienne ministre de la Francophon­ie, présidente de l’Institut Robert Schuman pour l’Europe.Photo ci-dessus :Coprésidé par la France, les États-Unis et la Russie, le groupe dit « de Minsk » sur le Haut-Karabagh, créé en 1992 et qui officie au sein de l’Organisati­on pour la sécurité et la coopératio­n en Europe (OSCE), a pour mission de trouver une issue à ce « conflit gelé » de l’ex-URSS. Un objectif loin d’être atteint, en particulie­r depuis la « guerre des Quatre Jours » (avril 2016), qui a été marquée par les affronteme­nts les plus meurtriers depuis le cessezle-feu conclu en 1994. (© DR)
entretienA­vec Yamina Benguigui, ancienne ministre de la Francophon­ie, présidente de l’Institut Robert Schuman pour l’Europe.Photo ci-dessus :Coprésidé par la France, les États-Unis et la Russie, le groupe dit « de Minsk » sur le Haut-Karabagh, créé en 1992 et qui officie au sein de l’Organisati­on pour la sécurité et la coopératio­n en Europe (OSCE), a pour mission de trouver une issue à ce « conflit gelé » de l’ex-URSS. Un objectif loin d’être atteint, en particulie­r depuis la « guerre des Quatre Jours » (avril 2016), qui a été marquée par les affronteme­nts les plus meurtriers depuis le cessezle-feu conclu en 1994. (© DR)
 ??  ?? Photo ci-dessus :Le 5 avril 2016, un habitant du village azéri de Gapanli, proche du Haut-Karabagh, montre les traces de combats lors de la « guerre des Quatre Jours » entre l’Arménie et l’Azerbaïdja­n. (© Xinhua/Tofik Babayev)
Photo ci-dessus :Le 5 avril 2016, un habitant du village azéri de Gapanli, proche du Haut-Karabagh, montre les traces de combats lors de la « guerre des Quatre Jours » entre l’Arménie et l’Azerbaïdja­n. (© Xinhua/Tofik Babayev)
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