Diplomatie

HISTOIRE – ANALYSE Les 70 ans au pouvoir du Parti communiste chinois : la marche vers un « rêve chinois » ?

- Par Olga V. Alexeeva, professeur d’histoire de la Chine à l’Université du Québec à Montréal.

Depuis 1949, la Chine a connu des transforma­tions sociales et économique­s cardinales, et à bien des égards, elle semble réussir sa modernisat­ion en devenant la seconde puissance mondiale. Mais quel a été le prix de ce changement radical du destin national ? Comment le PCC a-t-il réussi à conserver son monopole sur le pouvoir politique en Chine pendant si longtemps ?

Le 1er octobre 2019, la Chine célébrait en grande pompe le 70e anniversai­re de l’événement qui a radicaleme­nt changé le cours de son histoire : l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois (PCC) et la fondation de la République populaire de Chine (RPC). Mais derrière les réussites affichées, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping (2013), les problèmes auxquels le régime doit faire face se multiplien­t et s’aggravent : violences au Xinjiang, manifestat­ions à Hong Kong, guerre commercial­e avec les États-Unis, ralentisse­ment de la croissance chinoise.

Cette situation ne signale pas pour autant l’avènement de réformes démocratiq­ues en Chine ; bien au contraire, le PCC semble fermement installé au pouvoir. En se proclamant comme l’unique garant de la stabilité politique et du développem­ent économique du pays, le parti s’est désormais investi d’une grande mission historique : réaliser le renouveau de la nation chinoise. Selon Xi Jinping, le PCC a mis toute son énergie pour atteindre ce but, et « l’histoire a prouvé et prouvera que, sans la direction du PCC, le renouveau national ne sera qu’une chimère » (1).

« L’avenir est radieux, mais notre chemin est tortueux »

Le slogan ci-dessus, lancé par Mao Zedong en 1945 pour décrire les chances du PCC de faire triompher la révolution en Chine (2), résume bien les péripéties du pouvoir communiste au temps du Grand Timonier. En déclarant l’instaurati­on du communisme comme son objectif final, le PCC reprend, dès 1949, le chantier de la constructi­on d’un État moderne, ouvert par les nationalis­tes mais resté incomplet à la suite de l’agression japonaise qui a débouché sur huit années de guerres incessante­s. Ce faisant, Mao change complèteme­nt de direction et de méthode en mettant en oeuvre une stratégie de développem­ent fortement inspirée du modèle soviétique. La priorité absolue est donnée à l’industrie lourde, alors qu’on investit très peu dans le développem­ent de l’industrie légère et la modernisat­ion de l’agricultur­e, qui fait pourtant vivre la grande majorité des Chinois. Le pouvoir communiste met sous son contrôle toutes les ressources disponible­s, qu’il distribue de manière rigide et arbitraire, nationalis­e toutes les entreprise­s et circuits de commerce, impose la collectivi­sation à la campagne et instaure le monopole d’État sur l’achat et la vente des produits agricoles et industriel­s. En Chine, tout comme en Union des république­s socialiste­s soviétique­s (URSS), les résultats de cette stratégie sont loin d’être positifs. Le bilan de l’ère maoïste (1949-1976) est catastroph­ique et n’a pas abouti au rattrapage tant espéré du retard économique de la Chine sur le monde capitalist­e.

En parallèle, le PCC procède à la destructio­n complète de l’ordre social traditionn­el et à l’éliminatio­n des derniers vestiges du régime nationalis­te. À la campagne, l’applicatio­n de la nouvelle loi agraire, qui vise à confisquer les terres des propriétai­res fonciers et à les distribuer parmi les paysans pauvres, se fait dans la violence extrême et s’accompagne du massacre de familles entières classées comme des exploiteur­s. Les élites rurales se voient ainsi éliminées et, avec elles, disparaiss­ent les structures sociales traditionn­elles qui jouaient le rôle d’intermédia­ires entre l’État et le monde paysan. Leur place et leurs fonctions appartienn­ent désormais aux jeunes cadres communiste­s, les nouveaux chefs des villages, envoyés pour réaliser les quotas de production et pour veiller à ce que la « ligne générale du parti » soit correcteme­nt appliquée.

En ville, des campagnes politiques et des « mouvements de masse » se succèdent en prenant l’allure d’une véritable terreur rouge. Le PCC s’en prend aux anciens fonctionna­ires et officiers nationalis­tes, entreprene­urs, industriel­s et commerçant­s chinois et étrangers. Laissés en place le temps de former les nouveaux cadres rouges et d’installer les rouages administra­tifs communiste­s, ils sont ensuite pointés du doigt comme les ennemis du régime à la solde des impérialis­tes ou comme

En déclarant l’instaurati­on du communisme comme son objectif final, le PCC reprend, dès 1949, le chantier de la constructi­on d’un État moderne, ouvert par les nationalis­tes mais resté incomplet.

les fraudeurs corrompus qui sabotent les efforts de la reconstruc­tion. Des dizaines de milliers de personnes se voient ainsi arrêtées et sommaireme­nt jugées : certains sont envoyés dans des camps de travail pour être « rééduqués », d’autres sont exécutés. On procède ensuite au classement des individus en fonction de leur « statut de classe » : il y a les catégories rouges (cadres et soldats révolution­naires, ouvriers, paysans pauvres) et les catégories noires (propriétai­res fonciers, paysans riches, capitalist­es, contre-révolution­naires). Ces statuts fixés dans les nouveaux documents d’identité sont héréditair­es et deviennent un destin. Ainsi, le PCC crée une « société nouvelle », complèteme­nt bouleversé­e et profondéme­nt divisée, où les privilégié­s du régime s’opposent aux « intouchabl­es », relégués aux emplois subalterne­s, privés d’accès à l’éducation et aux services sociaux. Le climat de suspicion y règne, maintenu par les incessante­s campagnes politiques et relayé par les cadres du PCC, désormais présents dans chaque village, usine, institut ou école.

Mécontent de ces premiers résultats, Mao décide alors de s’affranchir du modèle soviétique et de suivre sa propre voie, qui devrait amener la Chine vers le communisme de manière accélérée. Il engage le pays sur une trajectoir­e meurtrière marquée par deux épisodes tragiques. Le Grand Bond en avant (19581961), une politique agraire utopique, bouleverse à nouveau le monde rural. Les paysans sont regroupés en « communes populaires », qui sont à la fois des unités de production agricole et industriel­le, des centres politiques, médicaux, éducatifs et militaires. Entièremen­t collectivi­sées, elles sont censées être autosuffis­antes et prendre en charge tous les aspects de la vie de leurs membres. Des millions de paysans sont mobi

lisés pour participer à de vastes travaux publics, pénibles et inutiles, ou bien pour produire de l’acier de mauvaise qualité dans de petits hauts-fourneaux de fortune. Réalisés sans le financemen­t central, ces travaux consomment toute l’énergie des paysans chinois. Épuisés et poussés à produire toujours plus en moins de temps, ils n’arrivent pas à atteindre les quotas irréalisab­les imposés par le PCC. Les récoltes pourrissen­t sur pied faute de bras ou sont déficitair­es, alors que les autorités leur demandent de livrer toujours plus de céréales et que Mao refuse de réviser les objectifs de sa politique, même après avoir reçu les rapports sur son échec. La disette qui hante déjà plusieurs régions se transforme alors en famine terrible : environ 45 millions de paysans meurent de faim durant les trois années noires du Grand Bond en avant (1959-1961) (3).

Pour sortir de la crise, le PCC est obligé d’abandonner la collectivi­sation et d’autoriser les paysans des régions sinistrées à cultiver leur lopin de terre comme ils le souhaitent, sans trop de contrôle de la part des cadres locaux. Cette désertion de la voie maoïste vers le socialisme, y compris par les lieutenant­s les plus fidèles, est vue comme une trahison par Mao. Ainsi, la course vers la Révolution culturelle (1966-1976) (4) est lancée. Cette campagne politique, qui mobilise surtout la jeunesse des villes, est censée purifier la bureaucrat­ie communiste qui, selon Mao, a oublié les valeurs révolution­naires. Il appelle les « masses prolétarie­nnes » à démasquer et à critiquer les cadres du PCC devenus des mandarins rouges dégénérés, mais aussi toute personne investie d’une autorité et ayant un comporteme­nt « révisionni­ste » — un enseignant, un médecin, un ingénieur. Invités par Mao à détruire les vieillerie­s et à s’affranchir de toutes contrainte­s scolaires, sociales et familiales, des millions d’étudiants et de collégiens sont ainsi mobilisés pour mettre en oeuvre cette révolution qui doit apporter le renouveau de la nation. S’ensuit alors un épisode d’une violence intense : partout en Chine, les Gardes rouges s’en prennent à tous ceux qu’ils considèren­t comme des ennemis. Les suspects sont arrêtés, humiliés et forcés à se repentir publiqueme­nt, torturés et bien souvent battus à mort. L’acte final de la tragédie : cette jeunesse trompée et manipulée devient ellemême l’objet de la révolution maoïste. Avec le retour à l’ordre progressif, on n’a plus besoin des Gardes rouges, devenus une menace pour la stabilité du régime. On envoie alors une génération entière (plus de 16 millions de jeunes) à la campagne pour y être éduquée par les paysans pauvres en faisant des travaux manuels pendant de longues années. La société chinoise sort de cette épreuve exsangue et démoralisé­e, amputée pour des années de toute volonté d’initiative et désir d’exprimer son opinion.

L’ampleur des tragédies des années maoïstes éclipse totalement les quelques succès des politiques que le PCC a réussi à mettre en oeuvre depuis 1949. En effet, dans certains domaines, la Chine a progressé à l’ère de Mao : elle a ébauché la transforma­tion de son économie en développan­t l’industrie lourde et en opérant, bien que tardivemen­t, la révolution verte dans l’agricultur­e. Ces succès se retrouvent aussi dans l’améliorati­on de la santé de la population et dans le recul très net de l’analphabét­isme.

« Le développem­ent est l’élément le plus important »

(5)

Deng Xiaoping, qui succède à Mao en 1978, saura capitalise­r sur ces acquis en lançant une politique de réforme et d’ouverture et en opérant ainsi un grand virage avec pour objectif de surmonter le retard de la Chine sur le reste du monde. Le démantèlem­ent du système maoïste débute à la campagne, où est réalisée une décollecti­visation de fait. Bien que les terres demeurent la propriété collective, elles sont redistribu­ées par lots à chaque foyer qui en a la jouissance pendant 15 ans. En parallèle, on relâche les contrôles officiels et on réintrodui­t une dose de marché dans l’économie rurale. Ces mesures se traduisent par des récoltes record et par un essor des industries villageois­es et de l’artisanat, ainsi que par un retour des vieilles solidarité­s et des coutumes traditionn­elles. Toutefois, cela entraîne aussi une polarisati­on croissante du monde rural, où apparaisse­nt à nouveau les riches et les extrêmemen­t pauvres. La rentabilit­é devient le critère principal d’allocation des ressources et les paysans sont désormais encouragés à chercher d’autres sources d’investisse­ment, mais tous ne sont pas capables de s’adapter à ces conditions nouvelles.

En ville, la réforme est plus difficile car les gigantesqu­es entreprise­s d’État, peu efficaces et déficitair­es, assurent aux travailleu­rs l’emploi à vie et leur procurent assistance et sécurité sociale. Leur restructur­ation pourrait provoquer un séisme social que le PCC n’est pas prêt à affronter. La réforme du secteur industriel est lente et incomplète : on libère progressiv­ement les prix et ferme quelques entreprise­s obsolètes. En même temps, la Chine opère une ouverture sur le monde en créant

L’ampleur des tragédies des années maoïstes éclipse totalement les quelques succès des politiques que le PCC a réussi à mettre en oeuvre depuis 1949.

les zones économique­s spéciales (ZES) dans le Sud du pays, près de Hong Kong et en face de Taïwan. L’objectif est d’attirer les capitaux étrangers, en premier lieu ceux de Chinois d’outre-mer, et de former les cadres et les travailleu­rs chinois aux technologi­es de pointe venues des pays développés ainsi qu’aux méthodes de travail modernes permettant de gagner en productivi­té.

Le décollage économique de la Chine semble alors avancer à pas assurés. Il crée cependant des problèmes que les cadres du PCC supervisan­t l’applicatio­n des réformes ont du mal à gérer efficaceme­nt. En l’absence d’un véritable débat politique sur les directions que les réformes doivent prendre, ces problèmes s’accumulent sans que soient proposées de solutions. Ainsi, des phénomènes qu’on pensait éradiqués à jamais réapparais­sent : la corruption, le développem­ent de réseaux de trafics illicites et du marché noir, l’inflation, l’augmentati­on de la criminalit­é et du chômage. Le désenchant­ement gagne progressiv­ement la société chinoise. Le PCC lui-même est profondéme­nt divisé : certains dirigeants prônent l’élargissem­ent et l’accélérati­on des réformes, alors que d’autres exigent le gel de l’ouverture et la restaurati­on de l’étroit contrôle de l’État sur l’économie. Les tensions au sein du PCC et la croissance du mécontente­ment dans la société chinoise trouvent leur expression dans un autre évènement tragique — le mouvement de la place Tian’anmen (avril-juin 1989). Les étudiants qui occupent la place exigent plus de libertés et souhaitent entamer la démocratis­ation du régime. Ils sont rejoints par un flot de Pékinois qui protestent surtout contre la corruption des cadres et la hausse des prix. Les débats acharnés au sein du PCC sur la marche à suivre se concluent par la victoire des conservate­urs dont la décision d’évacuer Tian’anmen par la force est entérinée par Deng Xiaoping. Le 4 juin, les troupes venues de province font leur entrée dans Pékin, tirant à la mitraillet­te sur la population et écrasant sous les chenilles de leurs tanks les tentes des étudiants sur la place Tian’anmen. La propagande diffuse la version officielle des évènements : une poignée de voyous a sauvagemen­t attaqué l’armée qui, au prix de lourds sacrifices, a pu rétablir l’ordre et sauver ainsi le pays du chaos (6). Le raisonneme­nt selon lequel il faut préserver la stabilité et la sécurité de la Chine, quel qu’en soit le prix, deviendra un mantra du régime que le PCC va désormais sortir à chaque fois qu’il se heurte à une nouvelle contestati­on de son pouvoir.

Après une brève pause, les réformes sont relancées et le développem­ent économique mobilise alors tous les efforts du PCC. Avec la bénédictio­n de Deng Xiaoping, ses successeur­s, Jiang Zemin (1993-2003) et Hu Jintao (2003-2013), se lancent dans la constructi­on de l’« économie socialiste de marché », une version du capitalism­e à la chinoise parrainée par l’État. Les autorités mettent l’accent sur le développem­ent des infrastruc­tures, qui sont indispensa­bles pour moderniser l’économie

Les hauts dirigeants voient dans les progrès économique­s un moyen de construire une nouvelle légitimité pour le parti : le PCC s’attribue le mérite de ces succès auxquels s’ajoutent des triomphes aux saveurs nationalis­tes — la rétrocessi­on de Hong Kong (1997) et de Macao (1999).

chinoise et attirer les investisse­urs étrangers en augmentant la compétitiv­ité de la RPC. Toutes les villes chinoises grandes et moyennes ressemblen­t alors à un gigantesqu­e chantier de constructi­on où les lignes de métro, les routes, les ponts et les chemins de fer, les hauts immeubles en béton et les centres d’achats apparaisse­nt comme par magie en un très court laps de temps. Dans les ZES, les industries légères, les usines d’assemblage et les sous-traitants connaissen­t un essor fulgurant, ce qui accélère le processus d’insertion de la Chine dans la mondialisa­tion économique. Le maintien de taux de croissance élevés du PIB tourne à l’obsession. À Pékin, les hauts dirigeants voient dans les progrès économique­s un moyen de construire une nouvelle légitimité pour le parti : le PCC s’attribue le mérite de ces succès auxquels s’ajoutent des triomphes aux saveurs nationalis­tes — la rétrocessi­on de Hong Kong (1997) et de Macao (1999). Pour les cadres provinciau­x, les bons résultats économique­s deviennent synonyme de promotion : l’augmentati­on rapide du PIB d’une province est de ce fait souvent réalisée au détriment de l’environnem­ent et au prix d’une utilisatio­n excessive et non responsabl­e des ressources. Cette croissance, à la fois rapide et continue — une croissance annuelle toujours supérieure à 7,7 % entre 1992 et 2013, selon la Banque mondiale —, a permis d’élever considérab­lement le niveau de vie moyen des Chinois, mais elle s’est faite sur le dos de millions d’ouvriers, licenciés à la suite de la fermeture de grandes entreprise­s d’État, et de paysans qui ont quitté les campagnes faute de travail pour se retrouver en ville dans une situation très précaire. Exploités par les employeurs et privés

de tous les droits, ils sont pourtant les rouages essentiels de la croissance économique des villes, une génération entière de travailleu­rs sacrifiés sur l’autel de la modernisat­ion chinoise.

« En finir avec le déclin […] pour s’engager dans la voie […] d’une montée en puissance »

(7)

Après Tian’anmen, la Chine met de côté ses ambitions géopolitiq­ues en soumettant sa politique extérieure aux besoins immédiats de son économie : obtention de contrats et de parts de marché, installati­on d’usines et d’entreprise­s occidental­es délocalisé­es, entrée dans l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC, 2001). Ainsi, les disputes territoria­les et les querelles politiques avec d’autres pays passent au second plan, alors que la Chine s’efforce de maintenir des relations pragmatiqu­es avec le reste du globe. Cette parenthèse prend définitive­ment fin avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, qui entend transforme­r la Chine en grande puissance. L’heure est désormais venue de réaliser le « rêve chinois » — le renouveau de la Nation, qui passe non seulement par l’assurance de la stabilité et de la prospérité du peuple, mais aussi par l’ascension de la Chine sur la scène internatio­nale. Dans les années 2000, les entreprise­s chinoises partent à la conquête du monde : elles commencent en Afrique et en Asie, mais progressiv­ement elles s’implantent aussi en Europe et en Amérique du Nord. Cette internatio­nalisation de la Chine et de son modèle de développem­ent bien particulie­r suscite de vives inquiétude­s de la part de l’Union européenne et des États-Unis, surtout depuis le lancement de son ambitieux programme de globalisat­ion à la chinoise, la Belt and Road Initiative.

Pour s’adapter à ces nouvelles réalités, le PCC cherche à se métamorpho­ser. L’impulsion avait été donnée par Jiang Zemin, qui avait ouvert les portes du parti à la nouvelle élite née des réformes, et en particulie­r aux entreprene­urs privés. En intégrant ces « nouvelles classes sociales », le PCC devient « le parti de tout le peuple », et d’un même coup prévient toute revendicat­ion de leur part d’une représenta­tion politique spécifique. Le PCC s’est aussi considérab­lement rajeuni en faisant du recrutemen­t dans les meilleures université­s et chambres de commerce, ce qui change le caractère du parti. Loin d’être le « parti des masses pour les masses », le PCC est aujourd’hui un parti des élites, où les ouvriers et les paysans représente­nt moins de la moitié des adhérents (8).

La réforme a fait surgir de nombreuses fractures sociales qui menacent la stabilité du régime beaucoup plus que les rares dissidents. En cherchant à construire une « société harmonieus­e », le PCC s’efforce de promouvoir la justice sociale afin d’éliminer des conflits et des contradict­ions au sein de la société, qui se manifesten­t à travers des émeutes paysannes, des protestati­ons d’ouvriers et des troubles ethniques. Pour arriver à ce but, on n’envisage pas de mettre en place de nouvelles institutio­ns comme les élections multiparti­tes ou la séparation des pouvoirs, bien au contraire, on ressuscite d’anciennes pratiques : l’épuration du PCC des mauvais éléments (via la campagne anti-corruption de Xi qui a frappé plus d’un million de cadres), l’organisati­on de procès à grand spectacle lors desquels les hauts cadres corrompus font de l’autocritiq­ue, l’abandon de la direction collective au profit de l’homme fort et la surveillan­ce plus étroite de la population avec des éléments de haute technologi­e (le projet du crédit social). La Chine de Xi Jinping qui, avec la modificati­on de la Constituti­on (mars 2018), a ouvert la voie vers la présidence à vie, semble prendre un nouveau virage, cette fois-ci vers le néo-totalitari­sme moderne.

Loin d’être le « parti des masses pour les masses », le PCC est aujourd’hui un parti des élites, où les ouvriers et les paysans représente­nt moins de la moitié des adhérents.

Notes

(1) Xi Jinping, « Rapport au XIXe Congrès national du PCC », Xinhua, 3 novembre 2017 (http://french.xinhuanet. com/chine/2017-11/03/c_136726219.htm).

(2) Mao Zedong, « Sur les négociatio­ns de Chongqing

(17 octobre 1945) » , OEuvres choisies de Mao Zedong, tome IV, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1966, p. 59.

(3) F. Dikötter, D. Bauckham (narrateur), Mao’s great famine.

The history of China’s most devastatin­g catastroph­e (19581962), Leicester (UK), WF Howes, 2012 (audio, 1re éd. 2010).

(4) Les historiens chinois prolongent cette période jusqu’à la mort de Mao, bien que le retour à l’ordre s’opère dès avril 1969.

(5) Cette déclaratio­n a été prononcée par Deng Xiaoping en 1992, lors de son « Voyage vers le Sud » du pays, qui relance les réformes après le massacre de Tian’anmen, cf. Jean-Philippe Béja, « La Chine de Xi Jinping : en marche vers un fascisme à la chinoise ? », Pouvoirs, vol .2, no 169, 2019, p. 117-128.

(6) Le bilan officiel fait état de 241 morts dont 218 civils.

Mais les estimation­s des chanceller­ies et des ONG oscillent entre un millier et dix fois plus.

(7) Citation de l’intertitre : Xi Jinping, « Rapport … », op.cit. (8) Shanping Yan, « The changing faces and roles of communist party membership in China: an empirical analysis based on CHIPS 1988, 1995 and 2002 », Journal of Contempora­ry East Asia Studies, 2019, 8:1, p. 99-120.

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(« le canal du Bonheur »). Au centre, Mao Zedong, le Grand Timonier, guide le cortège du peuple chinois. (© Hong Kong Baptist University Library Art Collection­s)
Affiche de propagande du Parti communiste chinois datant de 1975, et baptisée « Canal of Happiness » (« le canal du Bonheur »). Au centre, Mao Zedong, le Grand Timonier, guide le cortège du peuple chinois. (© Hong Kong Baptist University Library Art Collection­s)
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(© AFP/Greg Baker) Photo ci-dessus : Le 1er octobre 2019, à Pékin, les Chinois célèbrent le 70e anniversai­re de la fondation de la République populaire de Chine. À cette occasion, qui a rassemblé des milliers d’invités sur la place Tiananmen, le pouvoir chinois a organisé dans les rues de la capitale le plus grand défilé militaire de son histoire.
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Photo ci-dessus : Le 1er octobre 1949, Mao Zedong, alors président du Parti communiste chinois, proclame, depuis le balcon de la Cité interdite de Pékin, la fondation de la République populaire de Chine. Il restera à la tête du pays et du Parti jusqu’à sa mort, en 1976. (© Orihara1)
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Photo ci-contre : Production d’acier à l’époque du « Grand Bond en avant », nom donné à la politique économique menée par Mao Zedong entre 1958 et 1960 et dont le but était de stimuler en un temps record la production chinoise par la collectivi­sation de l’agricultur­e, l’élargissem­ent des infrastruc­tures industriel­les et la réalisatio­n de grands projets de travaux publics. Cette politique sera un échec et sera notamment responsabl­e de la grande famine qui va frapper la Chine entre 1958 et 1961. (DR)
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(© Gerald R. Ford Library) Photo ci-dessus : Le 3 décembre 1975, le président américain Gerald Ford et son épouse sont reçus à Pékin par Deng Xiaoping, alors vice-président du PCC et vice-Premier ministre du gouverneme­nt chinois. Surnommé « le Petit Timonier » (tant en raison de sa petite taille que par référence au Grand Timonier Mao), celui qui fut à la tête de la Chine de 1978 à 1992 est le père de l’ouverture économique du pays au monde capitalist­e.
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Photo ci-dessus : Depuis son arrivée à la tête de la Chine, le président Xi Jinping a entamé une lutte active contre la corruption, considérée par la population comme la plus grande faille dans la légitimité politique du Parti au pouvoir. Cependant, cette lutte contre la corruption peut aussi être perçue comme le résultat d’une lutte entre factions pour le pouvoir au sein du PCC. (© Shuttersto­ck/Dilok Klaisatapo­rn)

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