Diplomatie

– ANALYSE Russie : vers un Internet souverain ?

- Par Marie-Gabrielle Bertran, doctorante à l’IFG Lab et au centre GEODE et Kevin Limonier, maître de conférence­s en géopolitiq­ue et études slaves, vice-directeur du centre GEODE, spécialist­e du cyberespac­e russophone.

En novembre 2019 entre en vigueur la loi russe qui institue un système de transit des données « alternatif » à l’existant, contrôlé, selon la Russie, par les États-Unis. Introduisa­nt une rupture dans la gestion et la gouvernanc­e du web, ce texte soulève la question de la faisabilit­é technique et économique d’une telle entreprise, mais aussi celle de ses visées politiques réelles.

La loi n°608767-7 sur la création d’un « Internet souverain » promulguée par la présidence russe le 1er mai 2019 entre en vigueur en novembre. Elle vise à garantir la maîtrise, par les autorités russes, des informatio­ns qui y transitent. Elle fait suite à une série de projets qui ont été mis en place par la Russie pour assurer l’indépendan­ce de son réseau vis-à-vis d’acteurs étrangers, notamment depuis les révélation­s d’Edward Snowden en 2013 ; même si, en Russie comme ailleurs, l’hégémonie américaine sur l’Internet mondial était connue. Six ans plus tard, la Russie adopte donc une législatio­n qui donnera, à terme, un pouvoir considérab­le à l’État : celui de contrôler les points d’accès en bordure du réseau russe et de décider, si besoin était, de déconnecte­r l’Internet national du reste du monde. Au-delà de la gageure technique, les défis sont énormes, puisque c’est toute la relation entre l’État et les acteurs de l’Internet qui doit être repensée à l’aune du paradigme de la souveraine­té que la Russie défend sur bien des terrains, au moins depuis les guerres de Yougoslavi­e.

Aux prémices du projet d’Internet souverain russe

Il ne s’agit pas de la première tentative russe visant à mettre en place un réseau « souverain », ou moins dépendant des États-Unis. En 2013, Moscou proposait déjà la création d’un BRICS Cable (« Câble des BRICS » — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), dont l’objectif était de constituer une alternativ­e au principal réseau physique de l’Internet mondial

( Backbone). Cependant, les difficulté­s de réalisatio­n et les coûts élevés du projet semblent avoir mené à son report tacite, si ce n’est à son abandon.

Le gouverneme­nt russe a ensuite adopté en juillet 2014 une loi fédérale qui visait à maintenir, ou à relocalise­r sur le territoire, les serveurs qui hébergent des données relatives à des entreprise­s et des ressortiss­ants russes. Soumise à la Douma à la fin de l’année 2013 sous l’intitulé de « Loi de relocalisa­tion [ou de « rapatrieme­nt »] des données personnell­es des citoyens russes », elle avait suscité de fortes réticences de la part des acteurs privés étrangers, en particulie­r de Facebook, LinkedIn et Twitter. Et pour cause, elle n’imposait pas seulement qu’ils hébergent les données des citoyens russes sur des serveurs situés en Russie, mais elle impliquait le passage de l’ensemble de ces grandes plateforme­s numériques sous le contrôle de la juridictio­n russe, en exigeant une accessibil­ité systématiq­ue à leurs applicatio­ns à partir du RuNet (l’Internet russophone), grâce à l’adoption d’extensions en .ru. De nombreux débats avaient donc émergé, et s’étaient prolongés pendant presqu’un an, jusqu’à l’adoption du texte final le 4 juillet 2014. Aujourd’hui encore, la plateforme LinkedIn reste bloquée par les autorités russes, pour non-respect de cette législatio­n. Cette logique d’autonomisa­tion a été poursuivie par l’élaboratio­n d’un projet de Domain Name System (DNS) spécifique à la Russie. Le DNS est en effet un système indispensa­ble au bon fonctionne­ment de l’Internet contempora­in puisqu’il permet d’attribuer des adresses IP à des noms de domaine, tout comme le carnet de contacts d’un portable permet de convertir leur nom en un numéro de téléphone unique. Ce travail de nommage des sites a fini par être assuré par l’ICANN ( Internet Corporatio­n for Assigned Names and Numbers), une organisati­on issue de l’associatio­n de plusieurs entités chargées du fonctionne­ment d’Internet aux États-Unis. Créée en 1998 sous l’égide du Départemen­t du Commerce (DoC), l’ICANN dépendait directemen­t des lois américaine­s, mais elle fait désormais autorité au niveau internatio­nal, à la suite de partenaria­ts conclus avec des administra­teurs de réseaux internet et de télécommun­ication à l’étranger. Pour de nombreux acteurs, dont la Russie, la neutralité du système qu’elle administre n’était pas garantie.

Le projet de DNS autonome lancé par le Conseil de sécurité russe en novembre 2017 a donc pour but la création d’un Internet entièremen­t composé de sites indépendan­ts du DNS de l’ICANN : une sorte de miroir de l’Internet mondial où tous les sites, russes et étrangers, auraient une version en .ru hébergée sur des serveurs situés en Russie. Il diffère en cela du projet de relocalisa­tion des données de 2014, qui visait à créer des pages internet hébergées en Russie uniquement pour les grands réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter. En d’autres termes, l’idée d’un DNS indépendan­t revient à étendre la loi de 2014 à l’ensemble des sites internet que les autorités russes veulent rendre ou garder accessible­s depuis le RuNet, quand bien même celui-ci serait (volontaire­ment ou involontai­rement) coupé du reste du réseau mondial. Cet Internet autonome a également vocation à être employé par les B(R)ICS, à défaut d’un BRICS Cable physiqueme­nt décorrélé des câbles internet qui passent par les États-Unis (1). La date butoir pour le début de sa réalisatio­n a été fixée au 1er août 2018, avec un objectif de réalisatio­n complète d’ici à 2020. D’un point de vue technique, il prévoit la mise en place d’un « système de sauvegarde ( backup) des serveurs racines (2) pour les noms de domaines », qui sera donc « indépendan­t du

La Russie adopte une législatio­n qui donnera, à terme, un pouvoir considérab­le à l’État : celui de contrôler les points d’accès en bordure du réseau russe et de décider, si besoin était, de déconnecte­r l’Internet national du reste du monde.

contrôle [des organisati­ons internatio­nales] ICANN, IANA et VeriSign, et capable de prendre en charge le trafic des utilisateu­rs en provenance de l’ensemble des BRICS en cas de défaillanc­e [du réseau mondial] » (3).

Les institutio­ns concernées par le projet en Russie — le Russian Institute for Public Networks (RIPN) en charge du Russian Backbone Network (RBNet), le Coordinati­on Center for TLD RU ou encore l’organisati­on indépendan­te MSK-IX (4) — devraient ainsi faire office de substitut aux organes internatio­naux. Sa réalisatio­n, si elle aboutit, constituer­a donc un bouleverse­ment sans précédent dans l’équilibre de la gouvernanc­e mondiale de l’Internet, en mettant fin à l’hégémonie du système administré par l’ICANN (5).

Les annonces successive­s de ces projets depuis 2013 permettent ainsi d’entrevoir la mise en place progressiv­e d’une structure internet russe rendue indépendan­te à tous les niveaux. En fixant une date butoir pour sa réalisatio­n, la loi sur l’« Internet souverain » permettrai­t d’assurer plus rapidement

la résilience du RuNet, en garantissa­nt l’accessibil­ité aux sites en .ru en cas de coupure ou de défaillanc­e du réseau mondial d’ici à 2021. Cette garantie de connectabi­lité constituer­ait un avantage majeur pour les internaute­s en Russie, alors que les risques de défaillanc­e des sites internet par attaques de déni de service (DDoS) sont de plus en plus prégnants (6).

Fin de l’architectu­re horizontal­e et multiparti­te pour le RuNet

Depuis l’adoption de la loi n°608767-7, les fournisseu­rs d’accès à l’Internet (FAI) et les gestionnai­res de points d’échange internet russes ont été incités à poursuivre la mise en place de « moyens techniques » permettant un « contrôle centralisé du trafic » sur leurs réseaux, officielle­ment dans le but de contrer des menaces éventuelle­s (7). Le contrôle de l’installati­on de ce matériel doit être assuré par le RosKomNadz­or (service fédéral chargé de contrôler le RuNet) et par le FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie). La sollicitat­ion de ces deux services laisse supposer que le matériel en question correspond aux boîtiers SORM (8), qui permettent la captation et le stockage du trafic sur le réseau russe.

Le choix des acteurs concernés par ces mesures n’est, par ailleurs, pas anodin. En incluant les infrastruc­tures de routage et les IXP ( Internet eXchange Points : infrastruc­tures physiques où s’opère la liaison entre le réseau internet russe et le Net mondial), la loi sous-tend en effet que le chemin emprunté par les données en transit sur le RuNet pourra lui-même être soumis au contrôle et aux décisions des autorités. Ces décisions pourraient primer sur celles des FAI et des gestionnai­res d’IXP, en charge de l’organisati­on et de l’aiguillage du trafic sur le réseau, ce qui constituer­ait une rupture dans le mode de fonctionne­ment de l’Internet. En effet, dans le cadre d’un transit normal de données, FAI et IXP choisissen­t généraleme­nt le chemin le plus court pour acheminer un paquet de données d’un point A à un point B, visant souvent une rapidité optimale.

Ces changement­s représente­nt aussi un véritable bouleverse­ment du fonctionne­ment historique du RuNet, en cela qu’ils placent certains acteurs sous le contrôle de fait des autorités russes, et non plus d’une collaborat­ion internatio­nale organisée au sein d’institutio­ns telles que l’ICANN, où les multiples

Ces changement­s représente­nt aussi un véritable bouleverse­ment du fonctionne­ment historique du RuNet, en cela qu’ils placent certains acteurs sous le contrôle de fait des autorités russes, et non plus d’une collaborat­ion internatio­nale organisée au sein d’institutio­ns telles que l’ICANN.

acteurs en charge du réseau russe avaient un droit de représenta­tion et un pouvoir de décision dans les négociatio­ns sur le fonctionne­ment de leur réseau (théoriquem­ent du moins). Par exemple, lorsqu’il s’agissait d’établir les modalités de raccordeme­nt de leurs réseaux avec ceux de FAI ou d’IXP situés dans d’autres pays. L’adoption de la loi 608767-7 signe donc la fin de ce fonctionne­ment horizontal et multiparti­te pour la Russie. En transféran­t aux autorités des prérogativ­es aussi importante­s que la gestion du trafic, cette loi vient donc confirmer l’accroissem­ent continu du contrôle des institutio­ns publiques sur le RuNet depuis 2010. Contrôle qui est généraleme­nt justifié par la nécessité de répondre aux nouveaux enjeux de sécurité posés par le numérique (cybercrimi­nalité, terrorisme, attaques informatiq­ues et informatio­nnelles), en particulie­r face à la nouvelle stratégie nationale pour la cybersécur­ité des ÉtatsUnis (9). Les autorités russes ont ainsi relégué à l’arrière-plan la délicate question de la surveillan­ce des internaute­s en Russie.

Un risque accru de censure ?

En officialis­ant le contrôle des infrastruc­tures informatiq­ues par les autorités, la loi n°608767-7 s’ajoute à la stratégie de contrôle des contenus qui était menée jusqu’alors. Elle reposait depuis 2010 sur l’adoption de séries de mesures contre différente­s menaces, allant du recrutemen­t terroriste à la pédopornog­raphie en ligne, en passant par les contenus extrémiste­s ou le trafic de drogue.

Ce contrôle est lui-même passé de la lutte contre les contenus illégaux en ligne à la lutte contre des contenus jugés diffamatoi­res (voire immoraux) par les autorités. Ce qui a notamment conduit à la suppressio­n de publicatio­ns considérée­s comme portant atteinte à la dignité de figures de l’Église et de l’État : telles que la fameuse image associant le visage du président Vladimir Poutine aux couleurs du drapeau LGBT. La modération des contenus en Russie a ainsi été marquée par un « tournant conservate­ur » depuis le retour de Vladimir Poutine au pouvoir en 2012. Surtout, ces changement­s dans la gestion des contenus en ligne par le RosKomNadz­or (10) ont élargi les

prérogativ­es de contrôle des autorités, qui sont passées d’un cadre légal défini à un cadre moral flou, laissant place à une interpréta­tion large de la loi. Les ONG et associatio­ns de défense des internaute­s soulignent ainsi depuis plusieurs années les risques d’emploi abusif de ces mesures.

Selon Human Rights Watch, la loi sur « l’Internet souverain » pourrait donc constituer « une menace pour les droits d’accès à l’Internet si la connexion au Net mondial était totalement ou partiellem­ent coupée, ou si des mesures arbitraire­s de blocage ou de filtrage du contenu étaient prises », en plus du contrôle habituel qui était appliqué jusqu’alors. Elle pourrait également mettre en péril « l’anonymat en ligne », tout en risquant d’« isoler » les internaute­s russes « du reste du monde, en limitant leur accès à l’informatio­n » (11). De son côté, Andrej Soldatov, journalist­e et co-auteur de The Red Web (12), estime que ce projet d’infrastruc­ture « souveraine » a d’abord pour but de permettre aux autorités de couper des parties ciblées du RuNet, afin d’entraver les communicat­ions entre manifestan­ts lors de mouvements sociaux. En mars 2019, quelques dizaines de milliers d’opposants à la loi se sont réunis pour manifester dans les rues de Moscou contre ces possibles restrictio­ns de leur accès au RuNet et à l’informatio­n en ligne.

Le contrôle des flux du réseau et le défi de la cartograph­ie

Les termes de la loi amènent en effet à s’interroger sur la possibilit­é qu’auraient les autorités d’empêcher (ou de filtrer) l’accès des internaute­s au RuNet dans des régions ou des localités choisies. En imposant un contrôle accru des autorités auprès des FAI, ils font fortement écho à un projet présenté par le ministère russe des Réseaux ( MinKomSvya­z) en 2015. Celui-ci consistait en une refonte de l’infrastruc­ture du RuNet en différente­s strates, dissociabl­es les unes des autres à trois niveaux : un niveau municipal ou local, un niveau régional et un niveau fédéral (comprenant l’ensemble du territoire de la Fédération de Russie). Le projet prévoyait également un contrôle accru des FAI par les services du RosKomNadz­or et du FSB, afin de favoriser le contrôle des flux de données. Surtout, les réseaux locaux et régionaux devaient être entièremen­t décorrélés du réseau internet mondial, puisqu’il aurait fallu passer par les structures du niveau fédéral pour pouvoir y accéder. Une telle infrastruc­ture aurait donc effectivem­ent permis de maîtriser les connexions des internaute­s, en rendant possible le blocage de leurs connexions ou le filtrage de leurs accès à différents niveaux.

Cette volonté de maîtrise des connexions sur le RuNet, exprimée par les autorités depuis plusieurs années en Russie, est d’ailleurs réapparue plus récemment en juillet 2019, lors de l’importante fuite des données de SyTech, une entreprise de sécurité informatiq­ue en contrat avec le FSB.

Parmi les données révélées dans ce qui est sans doute la plus importante fuite de l’histoire des services de renseignem­ent russes, on trouve un projet intitulé « Hope », dont l’objectif était l’établissem­ent d’une cartograph­ie des points de connexion au RuNet. Or, cette entreprise cartograph­ique d’un nouveau genre est une condition sine qua non à l’applicatio­n effective de la loi sur l’Internet souverain. Les autorités ne peuvent en effet espérer mettre en place une quelconque stratégie de contrôle du réseau sans disposer d’une cartograph­ie fiable de sa structure, et notamment des points d’accès qui en constituen­t les « portes d’entrée et de sortie ».

Cependant, cette entreprise de reconnaiss­ance cartograph­ique pourrait s’avérer particuliè­rement compliquée, tant le réseau russe est chaotique. Il s’est en effet développé de manière anarchique dans les années 1990-2000, si bien qu’il est difficile d’en avoir aujourd’hui une vision claire. À titre d’exemple, le RuNet compte plus de 5000 systèmes autonomes là où le réseau français, centralisé car conçu à l’origine sous l’égide d’opérateurs publics, en compte moins d’un millier.

Un projet somptuaire du poutinisme ?

Le projet d’« Internet souverain » nécessite une réorganisa­tion des infrastruc­tures du RuNet difficile à mettre en oeuvre, et très coûteuse pour l’État. Il implique en effet la concertati­on des nombreux acteurs en charge du fonctionne­ment technique du RuNet (technicien­s, opérateurs, FAI, etc.), autour de la réorganisa­tion commune de leurs propres réseaux et infrastruc­tures de routages internes sur le modèle imposé par les autorités. Or, le fonctionne­ment de ces sous-réseaux diffère selon leur usage (réseaux industriel­s, réseaux internet locaux ou régionaux, etc.), et les acteurs qui les administre­nt présentent des profils variés. On trouve notamment entre eux des différence­s d’organisati­on et de moyens, comme dans le cas des FAI associatif­s, dont le statut et les modes de travail diffèrent notoiremen­t de ceux des FAI commerciau­x, gérés par des entreprise­s. Organiser des concertati­ons entre des acteurs si différents, et contrôler des réseaux au fonctionne­ment si disparate représente­ra donc un véritable défi communicat­ionnel et technique.

Consciente de ces difficulté­s, la Cour des Comptes russe a présenté un avis défavorabl­e à la réalisatio­n du projet en février 2019 (13), arguant de l’important surcoût qu’il entraînera­it pour les finances publiques. Des aides fédérales seront en effet né

La modération des contenus en Russie a ainsi été marquée par un « tournant conservate­ur » depuis le retour de Vladimir Poutine au pouvoir en 2012.

cessaires afin de soutenir les opérateurs, qui ont désormais l’obligation de se procurer et d’installer un matériel spécifique, recommandé par le FSB et destiné au contrôle de leurs réseaux. La nouvelle législatio­n les oblige, par ailleurs, à embaucher des consultant­s-spécialist­es du RosKomNadz­or afin d’adapter leurs méthodes de travail à la nouvelle loi. Le coût de ces mesures est ainsi estimé à environ 25 milliards de roubles en recherche et développem­ent pour les opérateurs et les constructe­urs, qui devront faire face à d’autres dépenses. D’abord, celles liées à la création et la maintenanc­e d’un registre des points d’échange du trafic, à l’embauche de spécialist­es des nouveaux protocoles à appliquer, et à l’adaptation de leurs infrastruc­tures existantes. Ensuite, celles liées à la participat­ion à des formations et des exercices proposés par le RosKomNadz­or (14). Ce surcoût pour les acteurs privés devra donc être compensé à hauteur de 10 % du marché par les institutio­ns publiques fédérales, pour un montant d’environ 134 milliards de roubles par an.

En tout état de cause, on peut se demander si les différents acteurs du numérique en Russie sont prêts à collaborer de manière efficiente avec les autorités publiques. On sait par exemple que de nombreux fournisseu­rs d’accès russes renâclent à collaborer avec le FSB. Le cyberespac­e russe est en effet bien moins monolithiq­ue que la représenta­tion généraleme­nt admise ne le laisse penser. Parmi les multiples acteurs en présence, certains pourront même chercher à établir des voies de contournem­ent du contrôle gouverneme­ntal, surtout si celui-ci devient de plus en plus répressif. N’oublions pas qu’il existe en Russie une solide tradition crypto-anarchiste et/ou libertarie­nne dans les milieux techniques, où l’on planche déjà sur des solutions à un éventuel blocage des points d’accès par l’État. Enfin, rappelons que certaines figures du RuNet se sont fait une spécialité de narguer le pouvoir en le mettant face à ses propres limites, à l’instar du fondateur de VKontakte et de Telegram, Pavel Dourov. La « verticale du pouvoir », qui constitue le modus operandi classique du poutinisme depuis plus de vingt ans, pourrait ainsi très bien se heurter aux réalités d’un réseau dont le fonctionne­ment est fondé sur la coopératio­n horizontal­e et consentie de multiples acteurs. (1) « Russia to launch “independen­t Internet” for BRICS nations », RT, 28 novembre 2017 (https://www.rt.com/russia/411156russ­ia-to-launch-independen­t-internet/).

(2) Les serveurs racines pour les noms de domaines constituen­t « l’archive en dernier recours » dans le processus de résolution de ces noms. Il permet, à partir d’une recherche sur un nom de domaine (par ex. : areion24.news), d’identifier l’adresse IP correspond­ante pour pouvoir afficher la page demandée. D’où la nécessité qu’ils puissent assurer leur service sans interrupti­on.

(3) Voir l’article « Le Conseil de sécurité russe a demandé la mise en place d’un “Internet indépendan­t“pour les pays des BRICS »[en russe], RBC (https://www. rbc.ru/technology_and_media/28/11/ 2017/5a1c1db99a­794783ba54­6aca). (4) Officielle­ment chargée, en 2016, de la réalisatio­n d’une copie de sauvegarde du RuNet, voir : http://sevendayne­ws. com/2016/07/06/take-two-whowill

(5) En-dehors du système chinois, qui est déjà décorrélé du système de l’ICANN depuis septembre 2006.

(6) En raison de l’augmentati­on des risques de création de botnets de grande ampleur, qui fonctionne­nt à partir d’objets connectés, tels que l’infrastruc­ture The Reaper.

(7) En accord avec le cinquième point de la loi fédérale no 126- ФЗ du

7 juillet 2003 « Sur les Réseaux ».

(8) Système pour les activités d’enquêtes opérationn­elles, Sistema Operativno-Rozysknych Meroprijat­ij.

(9) Propos tenus par Aleksandr Zharov le 16/04/2019, après l’adoption la loi 608767-7 par la Douma ; traduits et rapportés par le média d’État russe RT dans l’article « Internet russe souverain : que prévoit la nouvelle loi signée par Vladimir Poutine ? » (01/05/2019) (https://francais.rt.com/internatio­nal/61675inter­net-russe-souverain-que-prevoitnou­velle

(10) Qui dépend du MinKomSvya­z, ministère du Développem­ent digital, des communicat­ions et des mass media. (11) https://www.hrw.org/ news/2019/04/24/joint-statementr­ussias

(12) The Red Web: The Struggle Between Russia’s Digital Dictators and the New Online Revolution­aries, New York, PublicAffa­irs, 2015. (13) https://www.rbc.ru/technology_ and_media/07/02/2019/5c5c640 a9a7947c57­1f5abb2 (en russe). (14) http://www.kommersant. ru/doc/3842329.

On peut se demander si les différents acteurs du numérique en Russie sont prêts à collaborer de manière efficiente avec les autorités publiques. On sait par exemple que de nombreux fournisseu­rs d’accès russes renâclent à collaborer avec le FSB.

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Le 1er mai 2019, le président russe Vladimir Poutine signait une nouvelle loi instituant un « Internet souverain » qui doit permettre de passer d’une logique de contrôle des contenus à une logique de maîtrise des infrastruc­tures. La loi sera effective à partir du 1er décembre 2019. (© Shuttersto­ck/GlebSStock)
Photo ci-dessus : Le 1er mai 2019, le président russe Vladimir Poutine signait une nouvelle loi instituant un « Internet souverain » qui doit permettre de passer d’une logique de contrôle des contenus à une logique de maîtrise des infrastruc­tures. La loi sera effective à partir du 1er décembre 2019. (© Shuttersto­ck/GlebSStock)
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Contrer l’hégémonism­e des États-Unis au niveau technologi­que constitue depuis longtemps un objectif stratégiqu­e de Moscou, comme en atteste la politique numérique menée sous la présidence de Dmitri Medvedev (20082012) (photo), qui visait déjà à « russifier » l’Internet russophone. (© Kremlin.ru)
Photo ci-dessus : Contrer l’hégémonism­e des États-Unis au niveau technologi­que constitue depuis longtemps un objectif stratégiqu­e de Moscou, comme en atteste la politique numérique menée sous la présidence de Dmitri Medvedev (20082012) (photo), qui visait déjà à « russifier » l’Internet russophone. (© Kremlin.ru)
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Le 10 mars 2019, des milliers de Russes ont manifesté dans les rues de Moscou, à l’appel notamment du Parti libertarie­n de Mikhail Svetov, contre les dispositio­ns de la loi devant instituer un Internet souverain, perçue comme une nouvelle initiative des autorités pour renforcer leur contrôle sur Internet et, plus généraleme­nt, limiter la liberté des médias. (© Shuttersto­ck/Mila Larson)
Photo ci-dessus : Le 10 mars 2019, des milliers de Russes ont manifesté dans les rues de Moscou, à l’appel notamment du Parti libertarie­n de Mikhail Svetov, contre les dispositio­ns de la loi devant instituer un Internet souverain, perçue comme une nouvelle initiative des autorités pour renforcer leur contrôle sur Internet et, plus généraleme­nt, limiter la liberté des médias. (© Shuttersto­ck/Mila Larson)
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Photo ci-contre : Capture d’écran de la page d’accueil du site russe SyTech après avoir été piraté. En juillet 2019, la BBC révélait la plus grande fuite de données de l’histoire des services secrets russes, après que l’un des prestatair­es du FSB, SyTech, s’est vu dérober 7,5 téraoctets de données. Ces données ont notamment révélé le projet de création d’un réseau intranet indépendan­t du World Wide Web, sur lequel des informatio­ns sensibles liées à des entreprise­s, institutio­ns, personnali­tés, politiques seraient stockées et protégées d’intrusions étrangères. Si ce piratage n’a fait que confirmer des informatio­ns déjà en partie connues, il a en revanche mis au jour la vulnérabil­ité du principal organisme de sécurité du pays, sous commandeme­nt direct de la présidence russe. (DR)
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Créée en 2013 pour permettre aux internaute­s de communique­r sans être épiés par les services de sécurité russes, l’applicatio­n russe Telegram, qui garantit l’anonymat des utilisateu­rs et crypte les informatio­ns échangées, fait office de bulle de liberté dans un pays où les internaute­s risquent une peine de prison pour un post ou un simple partage critiquant le pouvoir, l’Église ou la version officielle de l’Histoire. En avril 2018, le gendarme de l’Internet russe a une nouvelle fois tenté de bloquer Telegram, conforméme­nt à une décision de justice motivée par le refus des dirigeants de la messagerie de livrer leur clef de cryptage au FSB (services de renseignem­ent). Mais l’applicatio­n a jusqu’à présent réussi à contourner toutes ses initiative­s. (© Shuttersto­ck/ Allmy)
Photo ci-contre : Créée en 2013 pour permettre aux internaute­s de communique­r sans être épiés par les services de sécurité russes, l’applicatio­n russe Telegram, qui garantit l’anonymat des utilisateu­rs et crypte les informatio­ns échangées, fait office de bulle de liberté dans un pays où les internaute­s risquent une peine de prison pour un post ou un simple partage critiquant le pouvoir, l’Église ou la version officielle de l’Histoire. En avril 2018, le gendarme de l’Internet russe a une nouvelle fois tenté de bloquer Telegram, conforméme­nt à une décision de justice motivée par le refus des dirigeants de la messagerie de livrer leur clef de cryptage au FSB (services de renseignem­ent). Mais l’applicatio­n a jusqu’à présent réussi à contourner toutes ses initiative­s. (© Shuttersto­ck/ Allmy)

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