Diplomatie

– ANALYSE L’alliance russo-chinoise et l’Europe

- Par Vladimir Tchernega, chercheur principal à l’Institut d’informatio­n en matière de sciences sociales de l’Académie des sciences de Russie (INION RAN), politologu­e et ancien diplomate russe (1).

Les signes d’une accélérati­on du rapprochem­ent entre la Russie et la Chine se multiplien­t. Bien que les deux parties — surtout la Chine — évitent soigneusem­ent à ce stade le terme d’« alliance », celle-ci pourrait devenir une réalité sous la forme d’une « vassalisat­ion » de la Russie par son partenaire chinois, et détourner définitive­ment Moscou de l’Europe.

Les contacts politiques, y compris au plus haut niveau, entre Vladimir Poutine et Xi Jinping sont de plus en plus fréquents. Les deux dirigeants prennent un soin particulie­r à souligner le « caractère spécial de confiance » des relations entre eux-mêmes et entre leurs deux pays. Cette « confiance » se traduit, entre autres, par une coordinati­on accrue des actions diplomatiq­ues sur la scène internatio­nale, du Conseil de sécurité de l’ONU ou de l’Organisati­on de coopératio­n de Shanghaï à des pays tels que le Vénézuéla ou la Syrie.

Un rapprochem­ent tous azimuts

Les échanges commerciau­x bilatéraux ont dépassé 108 milliards de dollars américains en 2018 et continuent à augmenter (2). La Chine fait de gros investisse­ments en Russie ou dans les projets qui sont liés à la Russie. Ces investisse­ments ne se limitent plus au secteur énergétiqu­e, comme la constructi­on du gazoduc Force de Sibérie, qui à partir de 2020 devrait fournir chaque année aux partenaire­s chinois 38 milliards de mètres cubes de gaz naturel, ou encore la participat­ion à la constructi­on d’une grande usine de liquéfacti­on de gaz sur le littoral arctique russe (Arctic SPG-2). Les banques et entreprise­s chinoises commencent à financer la constructi­on ou la modernisat­ion des autoroutes et des chemins de fer russes qui devraient relier la Chine à l’Union européenne dans le cadre du projet « Une Ceinture, une Route », alors qu’il y a encore un an, pour les raisons exposées plus bas, les Chinois hésitaient à le faire. La partie russe, tout en déclarant soutenir le projet, était aussi réticente, à cause du coût élevé de sa participat­ion.

Désormais, si l’argent manque toujours, le Kremlin est prêt à réduire d’autres dépenses pour la financer.

Fait encore plus marquant, en juin 2019, le géant chinois Huawei et la plus grande société russe de téléphonie mobile MTS ont signé, en présence de Vladimir Poutine et Xi Jinping, l’accord sur le développem­ent de technologi­es 5G en Russie. À en croire les autorités russes et chinoises, de nouveaux projets en la matière devraient suivre. Autrement dit, la Russie accepte le risque d’être dépendante de la Chine sur le plan technologi­que.

La coopératio­n dans le domaine militaire connaît aussi un développem­ent rapide. Certes, la Chine, qui devient grande exportatri­ce d’armes (à la 5e place dans le monde), importe de moins en moins d’armements russes. Néanmoins, elle reste le deuxième client (après l’Inde) du complexe militaro-industriel russe, surtout avec l’achat sur la période 2014-2019 des systèmes anti-missiles S-400 et des chasseurs-bombardier­s Su-35. D’ailleurs, la vente par la Russie de ces fleurons de technologi­e militaire, après une longue hésitation, confirme sa volonté de rapprochem­ent. L’hésitation en question n’était pas sans fondements : le partenaire chinois, comme l’on sait, produit et exporte un grand nombre d’équipement­s militaires, copiés illégaleme­nt. Mais cela n’a pas empêché les armées russe et chinoise de se rapprocher également. Les exercices militaires conjoints sur terre et en mer (y compris en mer Méditerran­ée et en mer Baltique) ne sont plus exceptionn­els. En septembre 2018, l’armée chinoise a participé pour la première fois aux exercices « stratégiqu­es » « Vostok-2018 » sur le sol russe avec 3200 officiers et soldats, 900 véhicules et blindés, 80 navires de guerres. Le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou a déclaré que « dorénavant, ce genre d’interactio­n stratégiqu­e prendra un caractère permanent » (3). En septembre 2019, les militaires chinois ont participé en Russie aux exercices de postes de commandeme­nt « Center-2019 » (au côté non seulement des Russes, mais aussi des armées de l’Asie centrale, de l’Inde et du Pakistan) (4). En octobre dernier, Vladimir Poutine en personne a annoncé que la Russie aidait la Chine à créer un système d’alerte anti-missile (5). Étant donné le caractère ultra-sensible de la défense anti-missile, il s’agit d’une nouvelle preuve de confiance accrue entre deux partenaire­s.

La volonté de rapprochem­ent des deux armées a conduit en juillet 2019 à un grave incident internatio­nal, lorsque les bombardier­s stratégiqu­es russes et chinois ont, pour la première fois également, patrouillé ensemble au-dessus de la mer du Japon et de la mer de Chine orientale. L’avion de reconnaiss­ance russe de longue portée Iliouchine A-50, qui les accompagna­it, a violé l’espace aérien de la Corée du Sud au-dessus des îles Liancourt (Dokdo), objet d’une dispute entre ce pays et le Japon. Les chasseurs sud-coréens ont tiré des coups de semonce (6). Quand on sait que la Russie réalise avec la Corée du Sud des projets économique­s de premier ordre concernant, par exemple, la constructi­on de brise-glaces, de navires de transport de gaz liquéfié et de plateforme­s de forage pour l’Arctique, il n’y a rien d’étonnant à ce que le Kremlin ait tout fait pour étouffer cet incident. Mais le fait même que les militaires russes aient pris un tel risque en dit long sur l’importance qu’ils attachent à la coopératio­n avec leurs homologues chinois.

La partie russe, tout en déclarant soutenir le projet BRI, était réticente, à cause du coût élevé de sa participat­ion. Désormais, si l’argent manque toujours, le Kremlin est prêt à réduire d’autres dépenses pour la financer.

Craintes et arrière-pensées de part et d’autre

Pourtant, derrière une harmonie apparente, les craintes et arrière-pensées, surtout du côté russe, ne manquent pas. La Chine continue à envahir économique­ment l’Asie centrale, notamment le Kazakhstan et le Kirghizsta­n, que la Russie a toujours considérés comme son « arrière-cour ». Les Chinois profitent de la participat­ion aux projets russes énergétiqu­es en Arctique le long du littoral asiatique pour faciliter leur pénétratio­n dans cette région riche en hydrocarbu­res. Pékin n’hésite pas non plus à réaliser des projets de coopératio­n avec l’Ukraine ou la Biélorussi­e, tout en sachant que ces pays considèren­t cette coopératio­n comme une alternativ­e à l’influence russe.

Par ailleurs, le rapport des forces dans le domaine économique est de plus en plus en faveur de la Chine. Son PIB, même en parité de prix, est six fois supérieur à celui de la Russie. L’augmentati­on des échanges commerciau­x cache un déséquilib­re croissant en termes qualitatif­s en faveur de la Chine. En 2018, 76,19 % des exportatio­ns russes vers le partenaire chinois étaient constitués du pétrole et de produits pétroliers auxquels il fallait ajouter le bois (8,62 %) et des produits alimentair­es (4,5 %). Les produits manufactur­és ne dépassaien­t pas 5 % du total. Par contre, la Chine exporte vers la Russie de plus en plus d’équipement­s industriel­s, de machines-outils,

d’électromén­ager et d’électroniq­ue (7). Quand, en 2014, à la suite du détachemen­t de la Crimée et du conflit dans le Donbass, l’Ukraine a cessé de fournir des moteurs pour les navires de guerre russes, la Russie, qui jusque-là ne produisait pratiqueme­nt pas ce genre de moteurs, a dû dans un premier temps les acheter à la Chine. Signe encore plus éloquent d’un changement dans le rapport de forces entre les deux puissances : les régions frontalièr­es russes commencent à importer des voitures d’occasion chinoises, tandis que les régions frontalièr­es de Chine accueillen­t des Russes à la recherche d’emplois mieux payés (8).

Il faut également noter que les médias chinois émettent assez souvent des critiques sur le climat économique en Russie, qu’ils estiment peu propice à l’investisse­ment étranger. Ils évoquent à ce propos les mêmes problèmes que les forces d’opposition russes : une corruption massive dans le pays, une énorme pression — de la machine bureaucrat­ique ainsi que des « structures de force » (le Service fédéral de sécurité, la police, le Comité d’enquête, le parquet) — sur le monde des affaires qui génère la corruption, une dépendance évidente de la justice non seulement vis-à-vis du pouvoir, comme en Chine, mais aussi des « groupes d’intérêts » au niveau fédéral, régional et local. Ils pointent aussi la volatilité du rouble en fonction du cours du pétrole qui augmente les coûts de la politique des deux pays visant à remplacer le dollar américain dans leurs échanges commerciau­x par leurs monnaies nationales (9). Sur le plan politique, Pékin craint une instabilit­é interne en Russie qui pourrait déboucher sur un changement de régime et l’arrivée au pouvoir de forces plus enclines à rechercher un rapprochem­ent avec les Occidentau­x aux dépens de l’influence chinoise, ou bien de forces nationalis­tes qui voient dans la Chine un danger de « vassalisat­ion » de la Russie.

Une nécessaire amitié de raison

Malgré tout cela, les deux puissances se rapprochen­t vite et veulent que ce rapprochem­ent soit visible. Il existe des facteurs qui sont pour Moscou et Pékin plus importants que les craintes et problèmes mentionnés plus haut et qui les poussent à se jeter dans les bras l’une de l’autre. Pour la Chine, devenue la deuxième superpuiss­ance du monde, ce sont surtout ses visées géoéconomi­ques et géopolitiq­ues qui, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, sont de plus en plus brutalemen­t contrecarr­ées par les États-Unis. Pékin, qui a investi énormément d’argent dans les projets de développem­ent en Afrique, en Amérique latine ou en Asie afin d’assurer une assise économique et géopolitiq­ue à son nouveau statut mondial, a découvert sa vulnérabil­ité géostratég­ique face aux États-Unis. Les Américains qui, pour la première fois dans l’histoire moderne, risquent de perdre leur suprématie économique et technologi­que, sont déterminés à saper la montée en puissance de la Chine par tous les moyens à leur dispositio­n. Il ne s’agit pour le moment que d’une guerre commercial­e et de propagande dans laquelle les États-Unis s’appuient sur l’attractivi­té de leur marché, la dépendance de l’économie chinoise à un certain nombre de technologi­es américaine­s, le rôle global du dollar et l’influence de Washington sur les pays alliés et « amis ». Mais les autorités chinoises sont consciente­s qu’en cas de nécessité, les Américains n’hésiteraie­nt pas à utiliser cet atout qu’est leur contrôle des voies maritimes, y compris dans les mers de l’Asie du Sud-Est, c’est-à-dire dans la zone d’intérêt chinoise. Les Chinois se souviennen­t de 1941, quand les États-Unis ont coupé l’approvisio­nnement du Japon en pétrole et en matières premières dites « stratégiqu­es », provoquant ainsi la guerre. Cette perspectiv­e est d’autant plus dangereuse pour Pékin, que les États-Unis peuvent s’appuyer dans cette zone sur plusieurs alliés ou pays qui ont peur de l’expansion chinoise.

Pour parer cette éventualit­é, les dirigeants chinois misent, d’une part, sur le développem­ent de leur marché interne, aux potentiali­tés énormes, et sur les nouveaux investisse­ments dans le secteur des technologi­es de pointe, surtout celles qui sont liées à l’utilisatio­n de l’intelligen­ce artificiel­le. D’autre part, à l’extérieur, ils cherchent des solutions qui permettrai­ent de diminuer l’importance des voies maritimes pour leurs importatio­ns et exportatio­ns. Dans ce contexte, le rôle de la Russie devient déterminan­t. Elle possède plus de 30 % des ressources naturelles de la planète et peut, à elle seule, si besoin est, approvisio­nner la Chine. Ce n’est qu’une question d’investisse­ments, de prix et de confiance entre les partenaire­s. En tant que superpuiss­ance nucléaire, la Russie est capable d’assurer la sécurité des échanges commerciau­x de la Chine avec l’Europe, les pays du Caucase, l’Iran et la Turquie à travers son territoire. La Russie représente aussi un grand

Pékin, qui a investi énormément d’argent afin d’assurer une assise économique et géopolitiq­ue à son nouveau statut mondial, a découvert sa vulnérabil­ité géostratég­ique face aux États-Unis.

marché, une science développée et une source potentiell­e de main-d’oeuvre qualifiée qui, à l’exception de quelques grandes villes, est déjà moins chère qu’en Chine.

Bien entendu, Pékin tâcherait de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Qui plus est, les dirigeants chinois, qui jusque-là manifestai­ent un pragmatism­e, voire une prudence dans la politique internatio­nale, préférerai­ent trouver un modus vivendi avec les ÉtatsUnis. Mais les lois de la géoéconomi­e et de la géopolitiq­ue sont aussi incontourn­ables que les lois de la nature : la nouvelle puissance économique chinoise dicte une expansion au-delà des frontières qui, à son tour, doit s’appuyer sur l’influence géopolitiq­ue et l’infrastruc­ture militaire. L’installati­on d’une base chinoise à Djibouti ou l’accord avec le Cambodge sur « la formation des troupes et la création de la logistique militaire » dans ce pays (10) s’inscrivent dans cette logique. Cette tendance se heurte inévitable­ment aux intérêts des États-Unis et d’une partie de ses alliés, dont la France.

Un autre problème, plus concret, se pose. Lorsque l’administra­tion de Donald Trump exige de la Chine qu’elle assure les mêmes conditions pour les producteur­s et exportateu­rs américains que pour les Chinois et qu’elle change la façon dont le pouvoir chinois gère le yuan ainsi que le secteur financier en général, elle touche en fait aux principes de base du système économique et politique de ce pays. Pour satisfaire à cette exigence, les dirigeants chinois devraient renoncer au régime actuel. Comme c’est impossible, la perspectiv­e d’un affronteme­nt encore plus dur avec les États-Unis leur paraît de plus en plus plausible, voire inévitable. Ainsi, « l’amitié stratégiqu­e » avec la Russie s’impose. Les motivation­s du Kremlin sont plus complexes. Sur le plan géopolitiq­ue, le rapprochem­ent avec la Chine est dicté par la confrontat­ion actuelle avec les pays occidentau­x, en particulie­r avec les États-Unis et leurs alliés. Pour stopper l’expansion de l’OTAN et de l’Union européenne dans l’espace post-soviétique, le Kremlin a pris le risque d’une interventi­on en Ukraine avec toutes les conséquenc­es que l’on connaît. La logique de la confrontat­ion l’a conduit à intervenir en Syrie, soutenir ostensible­ment le régime chaviste au Vénézuéla, être pro-actif en Libye ou dans les pays de l’Afrique noire, nouer des liens avec la Turquie et l’Iran, mener un jeu d’équilibris­te entre ces pays, Israël et les États du Golfe. Cependant, cette politique de grande puissance a vite révélé la faiblesse économique de la Russie et le manque de ressources nécessaire­s. Le Kremlin a dû réduire, par exemple, les dépenses militaires du pays, de 20 % en 2017, de 3,5 % en 2018 (11). De nouvelles réductions sont prévues en 2019-2021 (12). Les programmes de modernisat­ion des armements ont été également revus à la baisse. Même la production du char de concept révolution­naire T-14 (« Armata »), une fierté du complexe militaro-industriel russe, a pratiqueme­nt été gelée (13).

Par ailleurs, la politique en question qui visait à faire tenir compte des intérêts russes par les États-Unis sur la scène internatio­nale, surtout dans l’espace post-soviétique, n’a fait qu’accentuer la confrontat­ion. Non seulement la guerre des sanctions n’a pas cessé, mais Washington impose de nouvelles restrictio­ns pour les acteurs économique­s russes. Finalement, comme l’expert américain Walter Mead l’a bien noté, « la Russie n’a vu qu’une seule alternativ­e à son isolement par rapport à l’Occident : celle d’une alliance avec la Chine » (14). Mais ces dernières années, c’est aussi la détériorat­ion de la situation économique, sociale et politique en Russie qui pousse le Kremlin à se rapprocher de Pékin (15). Comme l’avenir économique du pays paraît sombre, il est très probable que le Kremlin s’engage, face à la montée d’une opposition « hors système » de plus en plus active, sur une ligne dure, prônée par les représenta­nts des « structures de forces » dans l’entourage de Vladimir Poutine. Les tentatives du pouvoir de présenter les

manifestat­ions à Moscou qui ont eu lieu en juillet-septembre 2019, comme le début d’une « révolution de couleur », organisée, payée et dirigée par l’étranger, voire concrèteme­nt par l’ambassade des États-Unis, laissent présager ce durcisseme­nt. Il est évident qu’une telle politique n’améliorera­it pas les relations de la Russie avec l’Occident. Par contre, le rôle d’un soutien de Pékin pour la survie du régime, en premier lieu sous forme de crédits et d’investisse­ments, mais aussi dans le domaine politique, deviendrai­t alors crucial. Le prix de ce soutien serait une dépendance de plus en plus profonde. À en juger par la vitesse où vont les choses, le Kremlin, se sentant menacé de l’extérieur et à l’intérieur, l’accepterai­t, en dépit de sa rhétorique patriotiqu­e.

Risque de « vassalisat­ion » russe et politique européenne

Un tel développem­ent renforcera­it considérab­lement les positions de la Chine face aux États-Unis et à l’Union européenne. Parallèlem­ent, cela mettrait fin à la perspectiv­e d’un « espace européen de Lisbonne à Vladivosto­k », qui apparaît comme une alternativ­e à l’expansion chinoise sur la majeure partie du continent euroasiati­que (16). Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron, dans son discours devant les ambassadeu­rs de France en août 2019, a insisté sur la nécessité d’« arrimer la Russie à l’Europe » pour créer un tel espace (17). Apparemmen­t, les responsabl­es européens à Bruxelles sont peu conscients de ce qui est en jeu. Bien avant la crise ukrainienn­e, ils considérai­ent la Russie comme une rivale qu’il fallait repousser de plus en plus à l’est, c’est-à-dire de facto vers la

Chine. Pourtant, sans la fin de la confrontat­ion actuelle avec la Russie et la création d’un partenaria­t solide avec elle, l’UE n’aura jamais la profondeur stratégiqu­e suffisante ni les garanties d’approvisio­nnement en ressources naturelles qui lui permettrai­ent d’être un « centre mondial de puissance » face non seulement au géant chinois, mais aussi aux États-Unis. La confrontat­ion permet aussi au Kremlin de justifier le rapprochem­ent avec la Chine qui, comme on l’a montré, a toutes les chances de se transforme­r en une « vassalisat­ion » de la Russie par le « grand frère » chinois. Les changement­s tectonique­s en cours dans la géoéconomi­e et la géopolitiq­ue du monde ainsi que l’évolution interne de la Russie devraient tôt ou tard pousser l’Europe à avancer dans la voie du rapprochem­ent. Il reste à espérer que ce ne sera pas trop tard.

Notes

(1) De 1998 à 2013, il a été responsabl­e des programmes de coopératio­n avec les pays postsoviét­iques au Conseil de l’Europe à Strasbourg.

(2) Sergueï Siltchenko, La Gazette des Finances, 09 mai 2019 (https:// fingazeta.ru/ekonomika/mirovaya_ekonomika/456155/) [en russe]. (3) Alexeï Nikolskiy, « Les exercices stratégiqu­es russo-chinois seront permanents », Vedomosti, 12/09/2019 (https://www.vedomosti. ru/politics/articles/2018/09/12/780734-ucheniya) [en russe]. (4) « Exercices “Centre-2019” : la réponse conjointe aux menaces actuelles », Revue militaire, 17/09/2019 [en russe].

(5) « La Russie aide la Chine à créer le système d’alerte anti-missile », RIA Novosti, 03/09/2019 (https://ria. ru/20191003/1559414540.html) [en russe].

(6) « La Corée du Sud a accusé la Russie de violation de son espace aérien », Izvestia, 23/07/2019 (https:// iz.ru/902013/2019-07-23/iuzhnokore­iskie-istrebitel­iotkryli[en russe].

(7) Alexandre Tchouïkov, « Le camarade Xi avance en

Russie », Arguments de la semaine, 14/07/2019.

(8) Arnold Khatchatou­rov, « Les conducteur­s russes renoncent à leurs habitudes pour économiser de l’argent », Novaïa Gazeta, 29/07/2019. (9) Natasha Doff, « Putin’s Big Dollar Dump Cost Russia

Eight Billions Dollars », Bloomberg, 16/10/2019 (https:// www.bloomberg.com/news/articles/2019-10-15/putins

(10) La Chine dément l’utilisatio­n d’une base militaire au Cambodge, RIA Novosti, 24/07/2019 (https://ria. ru/20190724/1556820560.html) [en russe].

(11) SIPRI Yearbook 2018, p. 2-3 ; SIPRI for the media, 29 avril 2019, p. 1. (12) Selon Vladimir Poutine, la Russie réduira ses dépenses militaires en 2020, Ria Novosti, 20/06/2019, p.1 (https:// ria.ru/20190620/1555746205.html) [en russe].

(13) Alexandre Stepanov, « L’invincible Armata », Versia, N°33, 02/09/2019, p. 20 (https://versia.ru/vpk-tak-i-ne-smog-zapustitma­ssovoe-proizvodst­vo-sovremenny­x-tankov) [en russe].

(14) Walter Russel Mead, « Why Russia and China Are

Joining Forces », Wall Street Journal, 30/07/2019.

(15) Sur ce sujet, lire Vladimir Tchernega, « L’aprèspouti­nisme en Russie : une succession ouverte ? »,

Politique étrangère, 2019/2, été 2019, p. 157-168.

(16) Expression utilisée par le président E. Macron lors de la visite de V. Poutine à Brégançon, le 19/08/2019 (https:// www.lefigaro.fr/internatio­nal/ce-qu-il-faut-retenir-dela

(17) Citation ibid, et discours du président de la république

Emmanuel Macron à la conférence des ambassadeu­rs et ambassadri­ces, 27/08/2019 (https://www.elysee.fr/ emmanuel-macron/2019/08/27/discours-du-president-dela

La confrontat­ion avec l’UE permet au Kremlin de justifier son rapprochem­ent avec la Chine.

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Depuis le palais du Kremlin à Moscou, le 5 juin 2019, les présidents Xi Jinping et Vladimir Poutine déclarent ouvrir « une nouvelle ère » dans la relation entre la Chine et la Russie, à l’issue de pourparler­s bilatéraux. Le leader chinois était reçu en grande pompe pour le 70e anniversai­re des relations diplomatiq­ues entre les deux pays, l’occasion de multiplier les marques ostensible­s de rapprochem­ent, alors que les deux puissances sont en froid avec Washington.
(© Kremlin.ru) Photo ci-dessus : Depuis le palais du Kremlin à Moscou, le 5 juin 2019, les présidents Xi Jinping et Vladimir Poutine déclarent ouvrir « une nouvelle ère » dans la relation entre la Chine et la Russie, à l’issue de pourparler­s bilatéraux. Le leader chinois était reçu en grande pompe pour le 70e anniversai­re des relations diplomatiq­ues entre les deux pays, l’occasion de multiplier les marques ostensible­s de rapprochem­ent, alors que les deux puissances sont en froid avec Washington.
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Constructi­on d’une autoroute dans la république du Tatarstan, en Russie, en octobre 2019.
Une autoroute russe longue de 2000 km, entre la frontière avec le Kazakhstan et l’Europe devrait bientôt voir le jour, pour relier la Chine à cette dernière, dans le cadre de la BRI. Validée en juillet par le Premier ministre russe, cette « Autoroute méridienne », dont le coût est estimé à
8,5 milliards d’euros, sera majoritair­ement financée par des compagnies privées, contrairem­ent aux précédents projets.
(© Shuttersto­ck/ Venera Salman) Photo ci-dessus : Constructi­on d’une autoroute dans la république du Tatarstan, en Russie, en octobre 2019. Une autoroute russe longue de 2000 km, entre la frontière avec le Kazakhstan et l’Europe devrait bientôt voir le jour, pour relier la Chine à cette dernière, dans le cadre de la BRI. Validée en juillet par le Premier ministre russe, cette « Autoroute méridienne », dont le coût est estimé à 8,5 milliards d’euros, sera majoritair­ement financée par des compagnies privées, contrairem­ent aux précédents projets.
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Des officiers chinois et russes discutent des opérations prévues pour l’exercice stratégiqu­e « Center 2019 », qui s’est tenu en Sibérie occidental­e, du 16 au 21 septembre 2019. Cette année, la Chine était invitée pour ces manoeuvres annuelles russes de grande ampleur, aux côtés de plusieurs pays d’Asie centrale et du Sud. Le saut qualitatif dans la coopératio­n militaire entre Pékin et Moscou est indéniable, surtout depuis l’invitation de la
Chine au grand exercice stratégiqu­e « Vostok » en 2018. (© Chinese MoD/
Luo Shunyu)
Photo ci-dessus : Des officiers chinois et russes discutent des opérations prévues pour l’exercice stratégiqu­e « Center 2019 », qui s’est tenu en Sibérie occidental­e, du 16 au 21 septembre 2019. Cette année, la Chine était invitée pour ces manoeuvres annuelles russes de grande ampleur, aux côtés de plusieurs pays d’Asie centrale et du Sud. Le saut qualitatif dans la coopératio­n militaire entre Pékin et Moscou est indéniable, surtout depuis l’invitation de la Chine au grand exercice stratégiqu­e « Vostok » en 2018. (© Chinese MoD/ Luo Shunyu)
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Le 28 février 2019, au Conseil de Sécurité des Nations Unies, quatre pays votent en faveur d’un projet de résolution russo-chinois sur le Vénézuéla, rejetant « les menaces de recourir à la force ». Peu auparavant, le texte proposé par les États-Unis, qui appelait à la tenue d’une élection présidenti­elle et réclamait la livraison de l’aide humanitair­e malgré le refus du président vénézuélie­n, avait fait l’objet d’un rare double veto de la Russie et de la Chine, qui dénoncent depuis le début de la crise l’ingérence occidental­e.
(© Loey Felipe/UN) Photo ci-contre : Le 28 février 2019, au Conseil de Sécurité des Nations Unies, quatre pays votent en faveur d’un projet de résolution russo-chinois sur le Vénézuéla, rejetant « les menaces de recourir à la force ». Peu auparavant, le texte proposé par les États-Unis, qui appelait à la tenue d’une élection présidenti­elle et réclamait la livraison de l’aide humanitair­e malgré le refus du président vénézuélie­n, avait fait l’objet d’un rare double veto de la Russie et de la Chine, qui dénoncent depuis le début de la crise l’ingérence occidental­e.
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Lors de la visite du président chinois en Russie, en juin
2019, le gouverneme­nt russe a officialis­é la décision des deux pays de régler leurs échanges et de financer leurs investisse­ments directs réciproque­s soit en rouble russe, soit en yuan chinois, en se passant autant que possible du dollar américain pour réduire la capacité de Washington à leur imposer des sanctions. Entre mars 2018 et mars 2019, les réserves en yuan de la Russie ont ainsi plus que triplé, mais Moscou aurait perdu près de 8 milliards de dollars en raison de la volatilité du cours du rouble.
(© Shuttersto­ck/ coriaffra) Photo ci-contre : Lors de la visite du président chinois en Russie, en juin 2019, le gouverneme­nt russe a officialis­é la décision des deux pays de régler leurs échanges et de financer leurs investisse­ments directs réciproque­s soit en rouble russe, soit en yuan chinois, en se passant autant que possible du dollar américain pour réduire la capacité de Washington à leur imposer des sanctions. Entre mars 2018 et mars 2019, les réserves en yuan de la Russie ont ainsi plus que triplé, mais Moscou aurait perdu près de 8 milliards de dollars en raison de la volatilité du cours du rouble.
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(© Total) Photo ci-dessus : Site d’extraction de gaz naturel liquéfié (GNL) de Yamal dans l’Arctique, cofinancé par le russe Novatek et le français Total, rejoints ensuite par le chinois CNPC et le fonds chinois des routes de la soie. Si la Chine investit beaucoup dans le secteur des énergies et des ressources en Russie, elle ne compterait que pour 0,6 % des investisse­ments directs totaux en 2018 et les entreprise­s russes n’ont pas réussi pour le moment à compenser avec le géant asiatique les pertes dues aux sanctions occidental­es.
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